Mᵉ Béatrice Zavarro a été la première en début d'après-midi à prendre la parole pour la défense, plaidant pour Dominique Pelicot, clef de voûte du dossier des viols en série de Mazan, l'un des pires criminels sexuels de ces dernières décennies.
Pendant une heure, Mᵉ Zavarro s'est attachée à rappeler d'un ton calme et posé la face A du principal accusé, celle du "bon mari, bon père, bon grand-père" décrit par tous, puis elle a tenté de chercher dans une histoire familiale au "climat délétère" et dans ses ressorts psychologiques mal élaborés les raisons de sa "perversité".
L'avocate a rappelé son père tyrannique et incestueux, évoquant ensuite les traumatismes vécus dans l'enfance par Dominique Pelicot: un viol à 9 ans par un infirmier lors d'un séjour à l'hôpital, sa participation forcée, à 14 ans, à un viol collectif sur un chantier et le fait qu'il a assisté à des scènes de sexe – souvent violentes – entre ses parents.
Et de citer les psychiatres qui ont défilé à l'audience: "On ne naît pas pervers, on le devient". Pour elle, son client est tombé dans un engrenage, il s'est "réfugié dans ses fantasmes": tous ces éléments déclencheurs l'on conduit à devenir un criminel.
"Dominique Pelicot a accepté, a reconnu la prévention qui lui est reprochée", a-t-elle noté, le décrivant comme quelqu'un qui n'est "ni menteur, ni manipulateur". Elle a réfuté ce rôle de "chef d'orchestre" que lui attribuent nombre de ses coaccusés – qui s'étaient dits sous son "emprise", voire drogués par ses soins – , aucun d'eux n'ayant porté plainte".
Sur la peine réclamée par l'accusation, 20 ans de réclusion criminelle, soit le maximum possible pour viols aggravés, l'avocate a seulement demandé à la cour de s'en "éloigner quelque peu, peut-être", sans insister.
Demande de pardon
Et c'est face à Gisèle Pelicot qu'elle a fini son plaidoyer, tentant de mettre en avant "l'humanité" de celui qu'elle a nommé "l'autre Dominique": "Il attendait mille fois de demander pardon, je ne sais si vous l'entendrez, Madame, mais il le répète à nouveau".
Puis, évoquant les trois enfants du couple, présents lors du réquisitoire contre leur père lundi mais absents pour sa défense depuis, Béatrice Zavarro leur a demandé de "garder en tête le premier Dominique, celui qui vous a choyés, câlinés, profondément aimés".
"Rendre une part de son humanité volée à Gisèle Pelicot"
Dans la matinée, c'est Laure Chabaud, l'une des deux représentantes du Ministère public, qui s'est adressée à la cour criminelle du Vaucluse: "Par votre verdict, vous signifierez que le viol ordinaire n'existe pas, que le viol accidentel ou involontaire n'existe pas. Vous délivrerez un message d'espoir aux victimes de violences sexuelles", avait-elle insisté. "Vous rendrez une part de son humanité volée à Gisèle Pelicot".
Pendant dix ans, de juillet 2011 à octobre 2020, la septuagénaire avait été droguée à son insu par son désormais ex-mari, Dominique Pelicot, qui la violait et la livrait à des dizaines d'hommes recrutés sur internet; certains n'ont à ce jour toujours pas pu être identifiés.
"Par votre verdict, vous signifierez aux femmes de ce pays qu'il n'y a pas de fatalité à subir, et aux hommes de ce pays pas de fatalité à agir. Vous nous guiderez dans l'éducation de nos fils, car c'est par l'éducation que s'impulsera le changement", a ajouté la magistrate.
"Pas de formule magique"
Sa prise de parole est venue conclure trois journées de réquisitions menées au pas de course à l'encontre des 50 co-accusés de Dominique Pelicot, contre lesquels l'accusation a réclamé entre 4 et 18 ans de réclusion criminelle [lire encadré]. Pour Dominique Pelicot, qui a eu 72 ans ce mercredi, la peine maximale de 20 années de réclusion avait été requise lundi.
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"Il y aura un avant et un après" procès des viols de Mazan, a en tout cas espéré la procureure, une formule qu'elle avait écrite, a-t-elle précisé, "avant" qu'elle soit utilisée lundi par le Premier ministre Michel Barnier.
Laure Chabaud a souhaité que les peines qui seront prononcées lors du verdict, prévu au plus tard le 20 décembre, conduiront les accusés à "une prise de conscience réelle et profonde" de leurs actes, "notamment sur la notion de consentement". La magistrate a en revanche regretté que durant ces douze semaines de débats, il se soit "parfois dégagé de cette salle une communion dérangeante entre les accusés, menant à une décontraction inappropriée".
De même, elle a fustigé la "formule magique" de plusieurs accusés, qui ont répété "n'avoir pas eu l'intention" de violer Gisèle Pelicot, "pour faire disparaître leur responsabilité": "Sachez, messieurs, que les formules magiques ne fonctionnent pas dans les enceintes judiciaires", a-t-elle asséné.
L'avocate générale a enfin espéré que "l'ampleur du combat qui doit être mené" amène à "une prise de conscience collective, sociétale": "Ce procès est une pierre à l'édifice que d'autres après nous continueront à construire. Ce procès est un pas sur le long et sinueux chemin de la reconstruction", a-t-elle conclu.
Stéphanie Jaquet et les agences
Réquisitoire contre les quatre derniers accusés
Mardi matin, Jean-François Mayet, avocat général, a achevé les réquisitions contre les accusés, allées crescendo depuis lundi.
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En moins d'une heure, il a d'abord requis 16 ans de réclusion à l'encontre de Jérôme V., 46 ans, venu six fois à Mazan, déclarant que c'était "le seul moyen [qu'il avait] trouvé pour avoir des relations sexuelles en pleine période de confinement", puis 17 ans contre Dominique D., 45 ans, lui aussi venu six fois au domicile des Pelicot, qui, à l'audience, "a reconnu la matérialité, mais pas les faits de viols", note le procureur, qui ajoute que "la victime n'existe pas dans son discours; l'autre est un objet".
L'homme de loi a également requis 17 ans de prison contre Mohamed R., un retraité de 70 ans déjà condamné pour viol aggravé sur une de ses filles; il expliquait qu'il n'avait pas commis un viol sur Gisèle Pelicot, "car il n'avait pas forcé la victime". Son avocat s'est insurgé: "Dix-sept ans de réclusion criminelle, on n'est qu'à trois ans de Dominique Pelicot, alors qu'en réalité, il n'est concerné que pour quelques minutes dans la vie de Dominique Pelicot. C'est une disproportion totale". Et d'ajouter que "la justice, ce n'est pas la vengeance".
Enfin, une peine de 18 ans a été demandée contre Romain V., 63 ans, séropositif venu lui aussi six fois à Mazan et ayant imposé de multiples pénétrations, notamment buccales, à la victime inconsciente. Rejetant toute responsabilité sur Dominique Pelicot, il avait expliqué être à la recherche de "lien social". Selon lui, "l'accord du mari valait le consentement".
Ces réquisitions, sensiblement plus sévères que la moyenne générale des condamnations pour viols en France – qui était de 11,1 ans en 2022 – avaient déjà été qualifiées lundi d'"ahurissantes" et de "hors de proportion" par d'autres avocats de la défense, qui ont reproché au parquet d'avoir requis sous l'influence de "l'opinion publique".
Gisèle Pélicot s'abstient
Du côté des parties civiles, Gisèle Pelicot s'est abstenue de toute prise de position après le réquisitoire du Ministère public.
"Il est important que le processus judiciaire soit respecté et madame Pelicot y tient particulièrement, c'est pourquoi elle ne formulera aucun commentaire sur les peines, aucun commentaire, aucun avis sur ces réquisitions", a réagi à sa sortie de l'audience l'un de ses deux avocats, Mᵉ Stéphane Babonneau.
Béatrice Zavarro, une femme sereine face à une lourde tâche
Petit gabarit, allure discrète, Béatrice Zavarro reste sereine face à la lourde tâche de défendre un homme honni; en l'espace de douze semaines, elle est passée de l'ombre à la lumière.
"A partir du moment où je défends un homme dont on me dit qu'il est un menteur, un manipulateur, qu'il a berné tout le monde, je dois tenter de rétablir la vérité", avait expliqué Mᵉ Zavarro à l'AFP. "Ma mission, c'est qu'on arrive à comprendre, même si on le déteste", comment il a pu réaliser "ces faits détestables".
"J'ai décidé de défendre Dominique Pelicot parce qu'il me l'a demandé. Il m'a accordé sa confiance", dit l'avocate, payée via l'aide juridictionnelle – un mécanisme financé par l'Etat dont peut bénéficier chaque détenu, reconnaissant cependant avoir "sous-estimé l'impact médiatique" de ce procès au retentissement mondial. C'est un de ses ex-clients qui l'avait recommandée à Dominique Pelicot, quand les deux hommes s'étaient connus à la prison marseillaise des Baumettes.
Fille de commerçants, cette amatrice de polars et de marche a prêté serment en janvier 1996 au barreau de Marseille: "Le pénal m'intéressait beaucoup, même si je n'étais pas forcément destinée à ce domaine-là. Mon gabarit, ma voix, ou le fait d'être une femme pouvait peut-être arrêter certains".
Opiniâtre, calme, courageuse, sans esbroufe
"Opiniâtre, très calme et courageuse, car elle a le mauvais rôle", selon son confrère Patrick Gontard, 45 ans de métier. Une consœur, Myriam Gréco, raconte qu'elle "prend ses dossiers à bras-le-corps mais avec une main de velours", décrivant "un petit bout de femme qui peut sortir ses griffes, mais sans esbroufe".
Un caractère qui semble correspondre à sa personnalité: sa robe d'avocate rapiécée ou son cabinet défraîchi du cœur de Marseille témoignent de son refus des effets de manche.
A Avignon, où elle réside momentanément, elle loge en périphérie, dans un quartier populaire. Deux fois par jour, elle parcourt en marchant les quelque deux kilomètres jusqu'au tribunal, pour "se libérer l'esprit", accompagnée de son mari Edouard: "Elle intériorise beaucoup, se livre peu, est dure au mal, donc je fais le bouffon de service pour la requinquer", atteste son conjoint depuis 30 ans, parfois pris pour son garde du corps en raison de sa taille imposante.
Pour Mᵉ Béatrice Zavarro, ce procès constitue "un épisode essentiel dans l'évolution du sujet qu'est le viol", avec "un premier palier qui est Gisèle Halimi [avocate de ce procès emblématique de 1978 qui contribua à faire reconnaître le viol comme un crime, ndlr] et un deuxième palier qui sera Gisèle Pelicot".