Modifié

Pascal de Crousaz: "Si Israël veut entrer au Sud-Liban pour repousser le Hezbollah, c'est le moment de le faire"

Un avion de chasse israélien en train de voler au dessus de Beyrouth, la capitale du Liban. [Keystone/EPA - Wael Hamzeh]
"Si Israël veut entrer au Sud Liban pour repousser le Hezbollah, c'est le moment de le faire": interview Pascal de Crousaz / Tout un monde / 8 min. / le 20 septembre 2024
La pression israélienne sur le Hezbollah s'accroît depuis plusieurs jours avec les nombreuses explosions — non revendiquées — de ses moyens de communication. Dans Tout un monde, le spécialiste du Proche-Orient Pascal de Crousaz décrypte la situation, n'excluant pas une offensive israélienne de grande ampleur à la frontière avec le Liban.

Le Hezbollah est acculé dans ses derniers retranchements, après les explosions mardi et mercredi des bipeurs et des talkies-walkies de milliers de ses membres, qui ont fait des nombreux blessés, et les raids aériens israéliens sur ses lance-roquettes à la frontière israélo-libanaise.

>> A lire aussi : Neuf morts et près de 3000 blessés au Liban dans l'explosion de bipeurs de membres du Hezbollah

Tous les experts s'accordent pour dire que ces différentes attaques ont porté un coup dur à la milice chiite, ce qu'a également reconnu son chef Hassan Nasrallah. Une thèse partagée par le spécialiste du Proche-Orient, Pascal de Crousaz, qui estime que le Hezbollah est une menace "déclinante" en raison de l'accumulation des coups qui lui ont été portés.

"Le Hezbollah a perdu des centaines de combattants et de cadres, qui ont été blessés, mutilés. On dit que la plupart des officiers supérieurs agissant dans le théâtre d'opérations face à Israël ont été tués. Ils sont incapables de combattre, la mobilité est réduite et il y a des problèmes de communication, sans parler de leurs infrastructures. La milice reste une menace, mais elle est déclinante", explique-t-il.

>> A lire aussi : Karim Bitar: "La capacité du Hezbollah d'infliger des dégâts demeure considérable"

"Le Hezbollah se doutait d'une brèche"

Selon le spécialiste en relations internationales, une thèse circulant en Israël affirme que l'opération visant les moyens de communication était destinée à être utilisée en cas de guerre totale, car elle porte un choc terrible à l'adversaire.

"Le Hezbollah, dit-on en Israël, se doutait apparemment ces dernières semaines et jours qu'il pouvait y avoir une brèche de sécurité dans ses appareils. Un cadre avait la puce à l'oreille, si l'on ose dire. Il aurait été assassiné par Israël tout récemment et l'opération aurait donc été activée avant qu'elle ne soit découverte", rapporte Pascal de Crousaz.

>> Lire : Israël aurait créé plusieurs sociétés écran pour fabriquer et piéger les bipeurs qui ont explosé au Liban

Le cabinet de Benjamin Netanyahu a intérêt à exploiter dans les jours ou semaines à venir la confusion qu'il a créée

Pascal de Crousaz

D'après lui, les opérations menées par Israël — qui n'a pas toujours pas confirmé ou infirmé son implication, bien que cela ne fasse pas beaucoup de doutes (voir encadré) — visaient deux buts.

"Le premier, c'est une opération de préparation en vue d'une opération militaire de grande envergure. L'autre était une mise sous pression de l'adversaire, parce que vous exposez ses fragilités, en vue d'arriver à une issue diplomatique, avec l'application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de 2006, par laquelle le Hezbollah devait se retirer du Sud-Liban et laisser la place à l'armée libanaise."

>> A lire aussi : Comment le Mossad aurait organisé l'explosion de bipeurs au Liban, un vrai "coup dur" pour le Hezbollah

Israël pourrait profiter de la confusion

Le risque d'une guerre totale n'est donc pas une formule, mais bien une réalité, à en croire Pascal de Crousaz, pour qui la milice chiite est actuellement trop faible pour lancer une contre-attaque qui serait, à ses yeux, "suicidaire".

La rhétorique et les manœuvres militaires israéliennes laissent penser qu'une offensive à large échelle pourrait avoir lieu dans le nord. Le gouvernement israélien a, par exemple, déclaré que la tension remontait près de la frontière libanaise et que, parmi ses objectifs de guerre, il y avait le retour des 60'000 déplacés dans la région. Le chef de l'état-major israélien a, lui, déclaré que les plans d'attaque et de défense étaient prêts, rappelle aussi l'expert.

"Le cabinet de Benjamin Netanyahu a intérêt à exploiter dans les jours ou semaines à venir la confusion qu'il a créée par son opération. S'il est arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas d'autres choix que d'entrer au Sud-Liban pour repousser le Hezbollah au nord du Litani, et mettre en sécurité la population du nord d'Israël, alors c'est le moment de le faire", analyse Pascal de Crousaz au micro de la RTS.

Cette offensive israélienne coïnciderait aussi avec le premier anniversaire de l'attaque du 7 octobre 2023. "Benjamin Netanyahu pourrait se targuer d'avoir lavé cet affront, d'avoir restauré la dissuasion israélienne et réduit significativement la capacité de nuisance du Hamas et du Hezbollah", estime encore le docteur en relations internationales.

Gaza, une "opération de police"

Le déplacement des opérations militaires israéliennes à la frontière avec le Liban pourrait laisser penser que celle en cours à Gaza pourrait passer au second plan.

"L'opération continue à Gaza, mais elle devient presque une opération de police dans un territoire occupé", résume Pascal de Crousaz, rappelant que l'offensive dans le territoire palestinien est extrêmement lente en raison de la présence des otages israéliens.

"S'il n'y avait pas eu d'otages, l'armée israélienne aurait probablement pu s'emparer de la bande de Gaza en quelques semaines", conclut-il.

>> Notre suivi des derniers événements au Proche-Orient : Hassan Nasrallah reconnaît que le Hezbollah a reçu "un coup sévère et sans précédent"

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Article web: Jérémie Favre

Publié Modifié

Pas de confirmation d'Israël, un choix délibéré

Les explosions d'appareils de communication du Hezbollah n'ont toujours pas été officiellement revendiquées par Israël. Mais l'organisation de ces attentats par l'Etat hébreu fait assez peu de doute chez les experts.

Selon le spécialiste du Proche-Orient Pascal de Crousaz, il s'agit d'une stratégie usuelle menée par Israël pour laisser un certain "brouillard".

"Même si tout le monde a parfaitement compris de quoi il s'agit, il y a aussi une question de droit. Si vous prenez la responsabilité d'un acte, vous êtes potentiellement exposé à devoir en porter les conséquences du point de vue du droit international", explique-t-il à la RTS.