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Patrick Youssef: "Le désespoir et la violence ont malheureusement pris le dessus" au Soudan

Patrick Youssef, directeur régional des opérations du CICR pour l'Afrique. [CICR]
Le Soudan plongé dans un chaos meurtrier: témoignage de Patrick Youssef du CICR / Tout un monde / 7 min. / le 8 février 2024
Le Soudan est en proie à une guerre civile depuis dix mois. Le directeur régional pour l'Afrique au sein du CICR Patrick Youssef évoque jeudi dans Tout un monde son récent voyage dans la capitale Khartoum et appelle à ne pas oublier la détresse humanitaire qui frappe ce pays.

Patrick Youssef qualifie tour à tour le conflit au Soudan de "crise majeure", de guerre "sanglante" et "intense", de situation "très préoccupante", "désastreuse" et "catastrophique".

Les hostilités ont débuté le 15 avril 2023 et voient s'affronter les forces du général Abdel Fattah al-Burhane et celles du général Mohammed Hamdane Daglo.

"Ma récente visite à Khartoum m'a démontré que le désespoir et la violence ont malheureusement pris le dessus et que les attaques incessantes, brutales et ciblées contre les civils constituent l'une des caractéristiques dominantes de cette guerre", décrit le responsable au sein du Comité international de la Croix-Rouge.

Ce constat "ne donne aucun espoir pour un cessez-le-feu ou pour une amélioration de l'accès aux populations civiles", déplore-t-il.

>> Revoir l'édition spéciale de Geopolitis au début du conflit au Soudan :

Géopolitis: Soudan, guerre des chefs [Keystone - AP Photo/Marwan Ali]
Soudan, guerre des chefs / Geopolitis / 26 min. / le 7 mai 2023

Une capitale "vide"

La population de Khartoum, dont l'agglomération comptait environ cinq millions d'habitants avant les hostilités, est privée de services publics, d'eau et d'électricité. La ville est "vide", pointe Patrick Youssef, qui fait état de combats dans ses environs.

"On perçoit des colonnes de fumée partout. Cela donne des indications que les combats continuent autour de la capitale, surtout au nord, dans la région d'Omdourman", note-t-il.

Une attaque récente contre Wad Madani (au sud de la capitale) a d'ailleurs fait prendre la fuite une seconde fois aux habitants de Khartoum qui s'y étaient réfugiés, indique-t-il encore.

Besoin d'aide humanitaire

Cette guerre sans ligne de front bien définie a contraint une bonne partie des Soudanais à quitter leur foyer. Le haut-commissaire des Nations unies aux réfugiés Filippo Grandi a avancé fin janvier le chiffre de près de huit millions de déplacés. "Des millions peinent à trouver un abri et certains dorment sous les arbres le long des routes", relève de son côté Patrick Youssef.

Environ la moitié des quelque 45 millions d'habitants du pays, l'un des plus pauvres sur la planète, ont besoin d'aide humanitaire pour survivre, selon l'ONU.

Le directeur régional pour l'Afrique du CICR rappelle que son organisation joue, depuis les premiers jours du conflit, le rôle d'intermédiaire neutre entre les deux factions rivales. Patrick Youssef s'est d'ailleurs rendu à Khartoum pour mener des pourparlers avec les Forces de soutien rapide, le groupe mené par Mohammed Hamdane Daglo. "Mais les blocages administratifs et, surtout, l'insécurité empêchent une action humanitaire comme il se doit", prévient Patrick Youssef.

Ne pas laisser le Soudan de côté

La guerre civile au Soudan a rapidement sombré dans la quasi-indifférence de la communauté internationale. Patrick Youssef ne critique pas le fait que l'attention soit portée sur d'autres crises dans le monde, en Ukraine et au Moyen-Orient notamment.

Mais il appelle à ne pas oublier le Soudan pour autant: "Quand on parle de 25 millions de personnes en détresse et dans le besoin, dans un seul pays, avec un impact sur toute la région de la Corne de l'Afrique, il faut s'alerter. Il faut que le monde apporte l'attention et le soutien financier pour que les organisations humanitaires puissent soutenir les personnes qui n'ont vraiment rien. Le Soudan a toujours été un lieu d'accueil pour de nombreux réfugiés de la région. Aujourd'hui, malheureusement, les portes sont ouvertes pour que des réfugiés sortent de chez eux et s'installent en grand nombre au Tchad, en Ethiopie, au Soudan du Sud et en Egypte", développe Patrick Youssef.

>> Ecouter aussi le sujet de La Matinale du 19 septembre 2023 sur les réfugiés soudanais au Tchad :

En direct de la ville d’Adré à l’est du Tchad, où les Soudanais trouvent refuge
En direct de la ville d’Adré à l’est du Tchad, où les Soudanais trouvent refuge / La Matinale / 2 min. / le 19 septembre 2023

"La Corne de l'Afrique est extrêmement stratégique, que ce soit pour le Moyen-Orient ou pour la Méditerranée et l'Europe. La stabilité de cette région est une évidence et une nécessité", souligne-t-il encore.

Patrick Youssef ajoute que, à ses yeux, le monde reste "scandaleusement silencieux devant cette crise". "Il faudrait mettre la vraie et bonne pression pour qu'un cessez-le-feu soit acté", plaide-t-il. Jusqu'ici pourtant, les tentatives diplomatiques en vue de négociations de paix ont échoué.

>> A lire aussi : Depuis mai, 1200 enfants sont morts dans des camps de réfugiés au Soudan

Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Texte web: Antoine Michel

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Appel de l'ONU à accroître l'aide financière

Les agences des Nations unies chargées de l'aide humanitaire et des réfugiés ont de leur côté lancé mercredi à Genève un appel pour obtenir 3,6 milliards de francs d'aide internationale pour le Soudan.

A cette occasion, le coordinateur aux Affaires humanitaires de l'ONU Martin Griffiths a indiqué que près de la moitié de la population du pays souffre "d'une grave insécurité alimentaire". Il a évoqué la possibilité que la famine vienne s'ajouter aux autres maux qui ravagent le pays.

Et il a lancé ce cri d'alerte: "Je pense que nous serons tous d'accord pour dire qu'il n'y a aucune humanité en nous si l'on permet que cela se produise".

>> Ecouter aussi le sujet de La Matinale :

L'ONU demande plus de 3 milliards d’aide humanitaire pour le Soudan [Keystone - AP Photo]Keystone - AP Photo
L'ONU demande plus de 3 milliards d’aide humanitaire pour le Soudan / La Matinale / 2 min. / le 8 février 2024