Depuis la pandémie de Covid-19, le manque de certaines substances médicinales se fait sentir dans le monde: paracétamol, antibiotiques, anesthésiques, anticancéreux ou encore produits pour les maladies cardiovasculaires, sont concernés.
Dans beaucoup de cas, ces pénuries concernent des médicaments à bas prix et des génériques, dont la fabrication des principes actifs a été délocalisée en Chine ou en Inde. Or, la demande mondiale est en hausse, alors que les chaînes d'approvisionnement restent passablement perturbées.
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Vers une relocalisation de la production
En France, par exemple, 37% des usagers ont été confrontés à au moins une pénurie de médicaments au cours de l'année dernière. Cette situation a poussé le gouvernement français à établir une liste de 450 molécules essentielles. Récemment, la Commission européenne a fait de même, lançant aussi une alliance pour améliorer la coopération entre ses pays membres.
Au nom de la "souveraineté sanitaire", l'Etat français a récemment décidé de relocaliser sur son sol la production de médicaments comme le paracétamol. Pour ce faire, des usines sont en cours de construction, dans l'Isère et à Toulouse. Cette dernière devrait ouvrir ses portes en 2025 et produire 3400 tonnes d'antalgiques par année.
Cette démarche est présentée par le gouvernement d'Emmanuel Macron comme une "révolution pharmaceutique". Une start-up française est à la base du projet toulousain avec le soutien public de la région.
Les règles européennes des aides d'Etat limitent la possibilité pour les Etats membres de soutenir la production, y compris de médicaments critiques
"Il y a eu des efforts de la part des industriels avec des investissements dans plusieurs pays européens, y compris pour certains médicaments critiques, en France, en Autriche, au Portugal, en Italie, en Grèce, par exemple. Il y a aussi eu un soutien de certains pays, de la France pour le paracétamol, également de l'Autriche pour les antibiotiques", relève Adrian van den Hoven, directeur général de Medicines for Europe, le lobby des entreprises de médicaments génériques.
Mais pour le Belge, interrogé dans Tout un monde, "on pourrait faire mieux". Adrian van den Hoven relève un problème: la participation publique et étatique à la fabrication de médicaments qui est actuellement "très limitée" par l'Union européenne, dont un des principes est le libre marché.
"Les règles européennes des aides d'Etat limitent la possibilité pour les Etats membres de soutenir la production, y compris de médicaments critiques. Dans le cadre de la France, l'UE a permis l'octroi d'aides étatiques pour le coût environnemental, donc pour les technologies innovantes de ce point de vue, mais pas pour la production même, parce que ça, c'est interdit", détaille le lobbyiste.
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Un processus qui prend du temps
Si une délocalisation est rapide à mettre en place, une relocalisation prend plus de temps, tout comme une extension de la production. Le fabricant de génériques et d'antibiotiques Sandoz est précisément en train d'agrandir une de ses usines en Autriche.
"C'est quelque chose qui prend des années. On ne le comprend pas toujours, mais même s'il s'agit d'augmenter la production à partir d'installations déjà existantes, cela prend en tout cas un ou deux ans", explique Stephan Schneider, analyste à la banque Vontobel.
L'entreprise suisse fondée à Bâle est un cas un peu particulier. Dans les faits, peu de firmes se pressent au portillon, alors qu'il faudrait avoir la maîtrise de plus de 200 molécules essentielles. Environ 20 Etats européens demandent l'adoption d'une loi permettant de soutenir la production et de mettre en place une véritable politique industrielle dans ce domaine.
Augmenter les prix pour garder les entreprises
En Europe, ce sont les Etats qui fixent les prix des génériques, réputés moins chers. "Le marché est organisé pour avoir le prix le plus bas et ces prix sont fixés par les Etats membres. Mais le résultat des courses, c'est que les industriels sont obligés de chercher des matières premières à très bas prix pour pouvoir rester sur le marché", détaille Adrian von den Hoven.
Certains pays, comme l'Allemagne ou le Portugal, ont décidé d'augmenter le prix des génériques pour éviter que les rares pharmas qui opèrent encore dans le domaine en Europe abandonnent leur production, faute de rentabilité. Objectif aussi: attirer de nouvelles entreprises. De son côté, l'Italie a décidé d'accorder une hausse des prix aux entreprises qui produisent localement.
Ces démarches des Etats membres de l'UE se font en ordre dispersé avec le risque que les pays qui veulent sécuriser leurs stocks de médicaments essentiels se fassent concurrence, comme au temps de la pandémie de coronavirus.
"Sécuriser l'approvisionnement? Un devoir de l'Etat"
C'est précisément la crainte de Patrick Durisch, expert sur les politiques de santé au sein de l'ONG Public Eye, qui demande plus de contrôle et de transparence sur toute la filière.
On a besoin d'une autorité qui intervienne et façonne le marché, de manière à ce que ça ne soit pas uniquement orienté vers un maximum de profits possible
"Ce qui manque dans ce domaine-là, c'est une incitation à maintenir la sécurité d'approvisionnement de ces médicaments qui sont laissés totalement au libre marché. Il suffit qu'un acteur ou plusieurs acteurs clés se retirent pour qu'on assiste à des pénuries", analyse-t-il au micro de la RTS.
Et le spécialiste de conclure son argumentation en faveur d'un interventionnisme étatique plus important. "Il y a aussi un manque d'investissement ou de politique publique proactive dans ce secteur pour corriger ses déficiences. Maintenant, on se rend compte qu'on ne peut plus laisser ça aux mains du seul marché. On a besoin d'une autorité qui intervienne aussi et qui le façonne, de manière à ce que ça ne soit pas uniquement orienté vers un maximum de profits possible, mais que ça assure la sécurité d'approvisionnement qui est un devoir d'un Etat."
Francesca Argiroffo
Adaptation web: Jérémie Favre