Pierre Krähenbühl: "Collectivement, nous nous sommes habitués à l’idée que la guerre est inévitable"
Pierre Krähenbühl a été de 2014 à 2019 le Commissaire général de l’UNRWA, l'agence de l'Onu chargée de secourir les réfugiés palestiniens. Mais, suite à des accusations de mauvaise gestion et d’abus de pouvoir, il a démissionné. Il a réfuté ces allégations, se déclarant victime de manoeuvres politiques et a fini par être blanchi. Malgré cela, son passage à l’UNRWA a suscité des critiques aux Etats-Unis, qui sont le principal bailleur de fonds du CICR.
Selon lui, les Etats-Unis ont la capacité de distinguer les mandats respectifs des organisations et reconnaissent l’importance du CICR dans le contexte des conflits actuels. Il ajoute que le mandat l'UNRWA est indispensable, "ni le CICR, ni personne d'autre, ne va remplacer cette organisation".
L'humanitaire a toujours été pris à partie. C'est une réalité lorsque vous intervenez dans des conflits armés.
Il existe une certaine méfiance envers des organisations comme l’UNRWA, mais Pierre Krähenbühl ne pense pas que celle-ci soit généralisée. Selon lui, nous vivons dans un monde extrêmement polarisé et les événements sont amplifiés par les réseaux sociaux.
L’humanitaire face à la désinformation des réseaux sociaux
"L'humanitaire a toujours été pris à partie. C'est une réalité lorsque vous intervenez dans des conflits armés. Je peux citer l’exemple que j’ai vécu lors de la guerre de Bosnie. Si vous étiez intercepté à un checkpoint, vous étiez accusé par l’un ou l’autre camp de soutenir l'adversaire (...) Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que la critique ne se manifeste plus uniquement au niveau du checkpoint local, mais à travers les réseaux sociaux. Elle a donc une résonnance mondiale. C’est un aspect que les organisations humanitaires doivent probablement apprendre à gérer de manière plus efficace", explique-t-il.
"Cette désinformation est d'abord dirigée contre les populations au coeur des conflits. C’est précisément là que se pose le défi de cette tendance à déshumaniser, à toujours injecter des messages qui cherchent à réduire l’autre à quelque chose qui n'est plus humain, justifiant ainsi les actions les plus violentes à son égard ou à leur égard", poursuit-il.
"Collectivement, nous nous sommes habitués, beaucoup trop facilement, à l'idée que la guerre est peut-être inévitable, c'est une des faiblesses du système international actuel", ajoute Pierre Krähenbühl.
Le CICR n'abandonne jamais le dialogue. C'est l'essence même de notre travail.
Dans le conflit à Gaza, le rôle du CICR est crucial, selon son directeur. Il souligne l’ampleur du drame humain que vit la population civile palestinienne, un drame qui dépasse l’imaginable. Malgré les défis, l'organisation maintient le dialogue avec toutes les parties concernées, y compris Israël et le Hamas, car le dialogue est l'essence même du travail de l'institution.
"La présidente du CICR Mirjana Spoljaric Egger est probablement la seule personne à avoir rencontré au plus haut niveau à la fois les dirigeants israéliens, comme le Premier ministre Netanyahu, et les dirigeants politiques du Hamas", souligne-t-il. Ces rencontres ont permis de transmettre de nombreux messages en matière du respect du droit international humanitaire.
Le nouveau visage du CICR
Le CICR, après avoir traversé une crise financière sévère avec une réduction de budget de 700 millions de francs et la suppression de 4000 emplois sur 22’000, se recentre sur sa mission première. Pierre Krähenbühl souligne que désormais l’organisation se concentre sur le sort des populations vivant l’horreur de la guerre. "C’est peut-être à la fois le plus beau mandat que l'on puisse imaginer, mais aussi le plus difficile et c'est là-dessus que nous devons nous concentrer", précise-t-il.
Sous sa direction, l'organisation ne sera donc plus un acteur du développement ou un expert du changement climatique, mais restera un acteur humanitaire dédié.
"Depuis 160 ans, nous oeuvrons sur les terrains de conflit les plus difficiles. C’est ce que j’évoque quand je parle d’une organisation avec une âme qui a été traversée par les drames humains les plus inouïs de l’histoire de l’humanité. C’est pour cela que nous sommes engagés. En réalité, c’est la seule raison pour laquelle on rejoint le CICR, il n’y en a pas d’autre", assure Pierre Krähenbühl.
Propos recueillis: Pietro Bugnon
Adaptation web: Miroslav Mares