Mercredi 17 avril, un Airbus A330 de Swiss s'apprête à décoller de l'aéroport JFK de New York à destination de Zurich. Il s'élance, quand soudain ses pilotes remarquent plusieurs autres avions qui traversent la piste un peu plus loin, apparemment avec l'autorisation de la tour de contrôle.
La piste n'étant pas dégagée, le pilote suisse, déjà lancé à presque 80 km/h, décide d'interrompre le décollage et en informe le contrôleur aérien.
Les autorités américaines ont ouvert une enquête sur l'incident. Il est donc trop tôt pour tirer des conclusions. Mais ce cas n'est pas isolé. Le nombre d'incidents qui auraient pu mener à une collision a augmenté aux Etats-Unis, poussant l'agence américaine de réglementation du transport aérien, la FAA, à s'y intéresser de près.
L'agence, aussi responsable du contrôle aérien dans le pays, a publié un rapport d'experts sur le sujet fin 2023. Elle a aussi annoncé, la semaine passée, une série de mesures pour renforcer le repos des contrôleurs aériens.
Fatigue et manque de personnel global
Interviewé par l'émission Tout un Monde avant l'incident de la semaine dernière à New York, Sylvain Fivaz, pilote et porte-parole romand du syndicat Aeropers, explique: "La fatigue est un problème chronique qu'il faut prendre très au sérieux. Et les problèmes d'effectifs chez les pilotes (...) mettent la pression sur le système tout entier".
Il analyse: "Depuis la fin de la pandémie, c'est toute l'aviation mondiale qui est à flux tendu. Il manque du personnel à peu près partout, dans les avions, mais également au sol, que ce soit le personnel d'enregistrement, les bagagistes, le personnel du tarmac, etc."
Et le système souffre d'une certaine inertie: "Pour un pilote, à partir du moment où il entre en formation, il se passe deux ans avant qu'il soit opérationnel sur la ligne. Je crois savoir que c'est même plus long pour un contrôleur aérien. Ce processus est en route, mais cela prend du temps. C'est vraiment dans cette direction qu'il faut aller pour relâcher la pression sur toute l'aviation civile internationale".
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Communication compliquée avec les contrôleurs aériens aux USA
Quant au cas des Etats-Unis, au-delà des problèmes de fatigue et d'effectifs se rajoutent ceux de la communication. Sylvain Fivaz explique qu'aux États-Unis, "les contrôleurs aériens ont une tendance marquée à parler vite. Souvent, les fréquences sont très, très chargées, voire même à la limite de la saturation". Il souligne qu'ils aiment bien utiliser un phrasé local qui s'éloigne sensiblement des standards internationaux.
Une particularité qui demande aux pilotes une grande adaptation, ajoute Sylvain Fivaz: "Ces trois effets compliquent effectivement la communication pour les pilotes. Sur les gros aéroports américains avec énormément de trafic, il faut donc être très attentifs sur la communication. Mais on a toujours eu ces difficultés, elles ne sont pas nouvelles".
Une solution pour éviter les incidents au sol
Les Américains ne sont pas les seuls impactés par des incidents d'aviation au sol. En janvier dernier, à l'aéroport Haneda au Japon, c'est une réelle collision qui a eu lieu entre un avion de Japan Airlines et un appareil des gardes-côtes qui n'aurait pas dû se trouver sur la piste. Cinq personnes ont perdu la vie.
Des systèmes existent pour signaler aux pilotes la position des autres avions en vol, mais au sol, la situation est différente. "Nous sommes très dépendants des contrôleurs aériens", constate Sylvain Fivaz. "Nous avons peu, voire pas de moyens techniques pour savoir ce qui se passe autour de notre propre avion", surtout en cas de mauvaise visibilité.
Pour le pilote de ligne, de nouveaux systèmes et une complémentarité entre le contrôleur aérien et le pilote pourraient améliorer la situation et la sécurité.
Il imagine: "Le lead resterait quand même auprès du contrôleur aérien, qui a la vue d'ensemble sur la piste et tous les mouvements de l'aéroport. Mais nous, pilotes, serions tout à fait favorables à tout système qui pourrait nous aider à comprendre ces décisions, à voir le trafic, à éventuellement corriger une erreur – parce que tout le monde en fait".
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Mathias Délétroz
Le service suisse d'enquête débordé
Des situations de plus en plus dangereuses dans le trafic aérien ont poussé le service suisse d'enquête de sécurité (SESE) à bout. Celui-ci n'a élucidé que 4% des incidents impliquant des avions en cours d'enquête, indique dimanche le SonntagsBlick.
Le SESE affirme qu'il mise depuis quelque temps de plus en plus sur des enquêtes moins détaillées afin de décharger les collaborateurs et d'avancer plus rapidement. Les enquêtes durent souvent deux fois plus longtemps que prévu, le délai légal étant d'un an à un an et demi.
L'année dernière, le SESE a reçu 1800 cas, contre 1260 en 2015. Le service doit aussi de plus en plus faire face aux avocats mandatés par les personnes impliquées dans les accidents.