Al Jazeera a rapporté dimanche que des soldats israéliens armés et masqués ont effectué une descente dans ses bureaux de Ramallah, avant d'ordonner leur fermeture.
Très populaire auprès des Palestiniens, Al Jazeera est accusée de diffuser l'idéologie du Hamas, ce que nie la chaîne créée à Doha le 1er novembre 1996 par un décret de l'ancien émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani.
>> Pour en savoir plus sur l'ordre de fermeture, lire : La communauté internationale très préoccupée par l'escalade des tensions, alors que le Hezbollah envisage tous les scénarios
Une chaîne déjà prise plusieurs fois pour cible par Israël
Ce n'est pas la première fois que l'Etat d'Israël s'en prend à cette chaîne de télévision, ni depuis le début de la guerre avec le Hamas, ni avant.
Avant le 7 octobre, il avait par exemple déjà envisagé de fermer ses bureaux à Jérusalem en 2017, puis, en mai 2021, son armée avait détruit un immeuble abritant les bureaux d'Al Jazeera et de l'Associated Press (AP) à Gaza.
>> Relire : L'armée israélienne détruit un immeuble abritant Al-Jazeera et AP à Gaza et Benjamin Netanyahu s'en prend à la chaîne de télévision Al-Jazeera
Depuis le 7 octobre, les mesures se sont intensifiées. Le Parlement israélien a interdit sa diffusion sur son territoire en avril, puis il a fermé ses bureaux le 5 mai pour une période renouvelable de 45 jours. Le cabinet a, lui, annoncé la révocation des cartes de presse de plusieurs de ses journalistes le 12 septembre. Enfin, quatre membres du personnel de ce média ont été tués dans des frappes israéliennes depuis le début de la guerre.
La Knesset a adopté une loi début avril afin d'autoriser la prise de mesures contre des médias étrangers "portant atteinte à la sécurité de l'Etat".
En avril, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a accusé Al Jazeera d'être "un organe de propagande du Hamas et d'avoir participé activement" à l'attaque du 7 octobre.
L'armée israélienne a, à plusieurs reprises, accusé ses journalistes d'être des "agents terroristes" à Gaza affiliés au Hamas ou au Djihad islamique. L'armée israélienne reproche au bureau d'Al Jazeera d'être "utilisé pour inciter à la terreur, pour soutenir des activités terroristes", et de mettre "en danger la sécurité et l'ordre public dans la région et dans l'ensemble de l'Etat d'Israël".
Israël estime que le géant arabe des médias présente une vision pro-palestinienne du conflit, notamment en mettant l'accent sur les souffrances des Palestiniens sous son occupation.
"Atteinte à la liberté de la presse"
Al Jazeera "condamne et dénonce avec véhémence cet acte criminel", a déclaré la chaîne dans un communiqué, ajoutant que ce "raid" sur son bureau et "la saisie" de son équipement n'étaient "pas seulement une attaque" contre elle "mais un affront à la liberté de la presse et aux principes mêmes du journalisme".
La chaîne est l'un des seuls médias internationaux à avoir des correspondants dans la bande de Gaza lui permettant de diffuser les conséquences de la guerre.
L'Association de la presse étrangère en Israël et dans les Territoires palestiniens s'est elle déclarée "profondément troublée par cette escalade" et a appelé Israël à "reconsidérer" sa décision, selon un communiqué.
Pour sa part, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a appelé les autorités israéliennes à "cesser de harceler" Al Jazeera. "Les efforts d'Israël pour censurer Al Jazeera portent gravement atteinte au droit du public à l'information sur une guerre qui a bouleversé tant de vies dans la région", a déclaré Carlos Martinez de la Serna, directeur des programmes du CPJ, dans un communiqué.
Je pense que l’objectif d’Israël est de déstabiliser petit à petit la médiation qatarienne
Israël craint également l'influence de la chaîne à l'international et donc que sa filiale Al Jazeera English qui s'adresse à un public anglophone soit en mesure de ternir son image mondiale. Les reportages réguliers sur les violations des droits humains commises par Israël contre les Palestiniens en sont un exemple.
La chaîne affirme couvrir 95 pays avec 70 bureaux et une équipe de 3000 employés, et dit toucher 450 millions de foyers.
Des relations israélo-qataries tendues
Les tensions avec Al Jazeera s'expliquent aussi par les relations diplomatiques complexes entre Israël et le Qatar, qui est l'un des pays médiateurs clés dans la guerre avec le Hamas.
D’un côté, le Qatar entretient des liens étroits avec le Hamas, offrant notamment une aide financière humanitaire au mouvement et à la bande de Gaza, bien qu'Israël craigne qu’une partie de cette aide soit détournée à des fins militaires. Le Hamas a également installé son bureau politique à Doha et plusieurs de ses hauts dirigeants y ont trouvé refuge.
De l'autre côté, le Qatar maintient une communication indirecte avec Israël, notamment en ce qui concerne les aides humanitaires à destination de la bande de Gaza et sur lesquelles l'Etat hébreu ne s'oppose pas, par peur d'une escalade des tensions avec le Hamas. Enfin, bien que rares, les deux pays entretiennent également des relations économiques et diplomatiques.
Méfiant de l'influence qatarie et de ses liens étroits avec le Hamas, Israël perçoit Al Jazeera comme une menace politique et un outil potentiel pour affaiblir son pouvoir. Interdire le média sur son territoire pourrait aussi être une manière pour l'Etat hébreu de "déstabiliser petit à petit la médiation qatarienne", estime Sébastien Boussois, chercheur spécialiste du Moyen-Orient, dans les colonnes du Parisien.
Julie Marty avec afp
Al Jazeera aussi dans le viseur des pays voisins du Qatar
Israël n'est pas le seul à prendre des mesures contre Al Jazeera. Depuis les soulèvements du printemps arabe en 2011, le média est considéré comme un acteur clé dans le façonnement de l'opinion publique, ayant accordé un temps d'antenne aux groupes d'opposition, en particulier au mouvement islamiste des Frères musulmans. En Egypte, par exemple, le régime l'a accusé d'être un porte-parole de ce mouvement et a arrêté trois de ses journalistes.
En juin 2017, dans le cadre de la crise diplomatique du Qatar, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont exigé la fermeture d'Al Jazeera l'accusant de soutenir "le terrorisme". Leurs relations diplomatiques avaient été suspendues le 5 juin.
L'Arabie Saoudite a fermé les bureaux de la chaîne qatarie et les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte, ont bloqué l'accès aux émissions.
>> Pour en savoir plus, lire : Al-Jazeera, la chaîne qui cristallise les tensions entre le Qatar et ses voisins