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"Quand le système judiciaire est capturé par des corrompus, c'est la pire situation"

La Suisse stagne en matière de corruption dans le secteur public, selon un rapport de Transparency International. [Keystone - Martin Rütschi]
Corruption: deux tiers des pays en dessous de la moyenne / Tout un monde / 6 min. / le 31 janvier 2024
Dans le monde, deux pays sur trois obtiennent moins de 50 points sur 100 dans l'indice de perception de la corruption, selon les résultats d'une étude publiée mardi par Transparency International. D'après l'ONG, les efforts pour lutter contre ce fléau s'essoufflent, notamment dans le secteur public.

Voilà plus d'une décennie que Transparency International ne constate plus de progression dans la moyenne générale des 180 pays analysés dans cet index, qui se base sur des données d'une douzaine de sources différentes, dont la Banque mondiale ou encore le Forum économique mondial (WEF).

Pour François Valérian, président de l'ONG, les institutions judiciaires, même nouvellement créées et souvent associées à des textes législatifs précis, peinent parfois à combattre le phénomène. "Deux tiers des pays n'ont même pas la moyenne. Il y a donc stagnation, voire déclin dans un certain nombre de pays (...) sur les dernières décennies, on a obtenu des lois contre la corruption, des institutions judiciaires pour la combattre, mais le système judiciaire lui-même n'arrive pas à fonctionner dans la plupart de ces pays", analyse-t-il mercredi dans l'émission Tout un monde.

>> Lire : Le secteur public suisse reste vulnérable en matière de corruption

Pour cet expert, ces Etats manquent souvent de moyens humains et financiers pour combattre la corruption, une réalité également visible dans des pays du nord. Plus grave, leurs institutions sont parfois directement aux mains des corrompus.

"Quand le système judiciaire est capturé par des corrompus, c'est la pire situation. Des gens censés combattre la corruption servent en fait les intérêts des corrompus et intimident journalistes et organisations de la société civile", déclare-t-il.

Perte de dix places pour le Royaume-Uni

Dans le classement établi par l'ONG, les meilleurs élèves sont le Danemark, la Finlande et la Nouvelle-Zélande, alors que la Suisse est bien placée au sixième rang. D'autres pays, pourtant héritiers d'une longue tradition démocratique, obtiennent cependant des scores plus décevants. C'est notamment le cas du Royaume-Uni, qui a perdu dix places en l'espace d'une décennie.

Ce véritable décrochage est dû à plusieurs facteurs, notamment la crise sanitaire, durant laquelle les cas de corruption se sont multipliés. De nombreux contrats pour l'obtention de matériel médical ont été attribués sans concurrence, donnant parfois lieu à des arrangements douteux entre entrepreneurs et responsables politiques. Le parti conservateur au pouvoir est le principal visé, ayant été éclaboussé dans plusieurs affaires d'équipement inutilisable.

Quand on pense qu'on est établi dans une situation d'intégrité, qu'il y a une culture d'honnêteté et qu'il n'y a pas de corruption, que tout va bien en somme, c'est là que le danger guette

François Valérian, président de Transparency International.

L'arrivée au pouvoir de Rishi Sunak en 2022, qui avait promis le retour à l'intégrité et au professionnalisme, ne semble par ailleurs pas avoir changé la donne. Transparency International déplore l'absence d'actions concrètes de sa part pour restaurant la confiance des Britanniques dans la fonction publique.

"Quand on pense qu'on est établi dans une situation d'intégrité, qu'il y a une culture d'honnêteté et qu'il n'y a pas de corruption, que tout va bien en somme, c'est là que le danger guette", résume François Valérian à propos de la situation britannique. "Dans ces pays-là, ce n'est pas nécessairement la valise de billets qu'on pose sur le bureau pour obtenir un contrat, mais plutôt des conflits d'intérêts. Des gens qui ne voient pas bien la frontière entre leur rôle de décideur public et leurs intérêts avec des chefs d'entreprises et des gens issus du secteur privé", ajoute-t-il.

Beaucoup de progrès possibles

Mais alors, y aurait-il une part incompressible de corruption? Les vols et les escroqueries seraient-ils dans la nature humaine? Pour François Valérian, il est évident qu'il y aura toujours "des pouvoirs en place" et donc toujours "la tentation d'abuser de ces pouvoirs". Pour autant, il se refuse à tout fatalisme et juge qu'il existe une véritable marge de progression.

"On peut tout à fait réduire le niveau de corruption (...) Il y a encore énormément de possibilités de progrès dans de nombreux pays. Regardez l'Ukraine, depuis que la guerre a éclaté, le gouvernement fait vraiment attention à ce sujet. Il y a des gens qui sont arrêtés, des réseaux de corruption démantelés", rappelle-t-il.

François Valérian cite également le bon exemple de la Zambie, où "le gouvernement en place semble avoir pris au sérieux la politique anticorruption", stimulé par des organisations de la société civiles "très dynamiques".

Enfin, il signale que si le système démocratique n'est pas une garantie d'intégrité, il est bel et bien un premier pare-feu. Preuve en est, les pays autocratiques et les dictatures figurent tous en bas de classement.

Propos recueillis par: Patrick Chaboudez

Adapation web: Tristan Hertig

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