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Que sont devenus les opposants à Vladimir Poutine?

Le premier tour de la présidentielle a lieu ce week-end en Russie et déjà le résultat ne fait aucun doute. Vladimir Poutine sera réélu pour un troisième mandat consécutif, ne laissant aucune chance à ses opposants. Pourtant, certains ont essayé.

"Jouer" les opposants à l’homme à la tête de la Russie depuis presque 25 ans, c’est un peu jouer avec la mort. Empoisonnés, tués par balles ou morts en prison, les disparitions de journalistes, d’avocats-militants, de politiciens ou d’ex-agents du régime se sont multipliées depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine.

Le dernier exemple en date est bien sûr celui d’Alexeï Navalny, décédé le 16 février dernier après un malaise dans la prison où il était détenu.

>> Lire aussi : L'opposant russe Alexeï Navalny meurt en prison à 47 ans

Mais d’autres avant lui ont connu ce sort funeste. Boris Nemtsov, Anna Politkovskaïa ou Ravil Magnov: découvrez dans la vidéo ci-dessus les profils de ces personnalités assassinées ou mortes dans des conditions suspectes, mais aussi celles et ceux qui se battent encore pour tenter d’obtenir aujourd’hui une Russie libre et respectueuse des droits humains.

Concrètement, ce n’est évidemment pas prouvé que ces personnes ont été assassinées sur ordre de l’État russe, même si les indices sont parfois flagrants.

Terrain risqué

Le dernier rebelle en date à avoir connu une mort prématurée est Evgueni Prigojine, le chef de milice Wagner. Au début de la guerre en Ukraine en 2022, il s’était imposé comme une figure incontournable du conflit, un vrai atout pour Vladimir Poutine.

Mais en juin 2023, après avoir été à l’origine d’une rébellion dirigée contre l’état-major russe et le ministre de la Défense, il est qualifié de traître par Vladimir Poutine. Il trouvera la mort dans un crash d’avion entre Moscou et Saint-Pétersbourg le 23 août 2023.

Vladimir Poutine et Ravil Maganov photographié ensemble en novembre 2019. [afp - Mikhail KLIMENTYEV]
Vladimir Poutine et Ravil Maganov photographié ensemble en novembre 2019. [afp - Mikhail KLIMENTYEV]

On pourrait aussi citer les hommes d’affaires à la tête de sociétés qui ont osé se prononcer contre la guerre en Ukraine. Ravil Magnov, qui dirigeait le groupe pétrolier Lukoil, meurt en septembre 2022 après être "tombé d’une fenêtre" dans l’hôpital moscovite où il était soigné… Et trois mois plus tôt, un autre cadre de Lukoil avait connu une fin étrange, mortellement intoxiqué par du venin de crapaud lors d'une séance de chamanisme…

Du côté des politiciens, on se souvient de Boris Nemtsov, ancien vice-Premier ministre russe. Le 27 février 2015, il appelait à manifester contre Vladimir Poutine. Trois heures après, il est assassiné par balles. Un assassinat "minutieusement planifié", selon l’enquête.

Presse entravée

7 octobre 2007: l'ancien premier ministre russe Mikhail Kasyanov déposant des fleurs devant la maison où Anna Politkovskaïa avait été assassinée un an plus tôt. [Dmitry Kostyukov]
7 octobre 2007: l'ancien Premier ministre russe Mikhail Kasyanov déposant des fleurs devant la maison où Anna Politkovskaïa avait été assassinée un an plus tôt. [Dmitry Kostyukov]

Et pour rendre compte de tout ça, la presse n’a quasiment aucune liberté en Russie… Au classement de Reporters sans frontières, le pays se classe 164e sur 180. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la totalité des médias indépendants ont été interdits, bloqués ou déclarés "agents de l’étranger".

Amendes, intimidations, détentions injustifiées et condamnations en justice font partie de l’arsenal pour effrayer les journalistes depuis de nombreuses années déjà.

Et ça peut aller encore plus loin. L’exemple le plus connu est celui de la journaliste d’investigation russe Anna Politkovskaïa, critique virulente de Vladimir Poutine. Elle a été abattue dans le hall de son immeuble à Moscou le 7 octobre 2006, soit le jour de l’anniversaire du président russe.

Les opposants en exil

Ceux qui osent encore élever leur voix ne le font quasiment plus que depuis l’étranger. Et même l’exil ne les préserve pas toujours de la mort, puisque plusieurs cas de suicides d’oligarques dans des circonstances étranges ont été recensés.

Parmi les opposants qui ont quitté le pays mais qui continuent leur combat, il y a notamment Garry Kasparov, l’ancien champion d’échecs, qui vit aux Etats-Unis. Il vient d’être placé sur la liste des personnes déclarées "terroristes et extrémistes" par les services russes du renseignement.

>> Lire : La Russie qualifie l'opposant et ex-champion d'échecs Garry Kasparov de "terroriste"

La Suisse, de son côté, avait brièvement accueilli en 2014 à sa sortie de prison le richissime homme d’affaires Mikhaïl Khodorkovski, qui avait rejoint sa femme et ses deux fils dans le canton de Saint-Gall, où ces derniers étaient scolarisés. L’homme, qui fût le plus riche de Russie avec sa société pétrolière Ioukos, vit depuis 2015 à Londres, d’où il continue son travail d’opposant.

Dans le cas d'Alexeï Navalny, sa mort ne marque pas forcément la fin de son combat: il a laissé derrière lui un vaste réseau d’opposants qui travaillaient pour lui, et dont l'un ou l'une pourrait reprendre le flambeau un jour. C’est notamment le cas de sa femme, Ioulia Navalnaïa, qui vit en exil en Europe dans un lieu tenu secret et qui s’est dit prête à prendre le relais.

Une poignée de courageux

Actuellement, seuls quelques opposant vivent en encore Russie. Mais les derniers à avoir osé critiquer la guerre en Ukraine l'ont souvent payé par une peine de prison.

Oleg Orlov, militant des droits humains avec l’ONG Mémorial, colauréat du Prix Nobel de la paix en 2022, vient d’être condamné fin février à deux ans et demi de prison.

>> Voir le sujet de Mise au Point :

Russie : une élection sur fond de terreur
Russie : une élection sur fond de terreur / Mise au point / 15 min. / le 10 mars 2024

Et pour d’autres, de très lourdes ont été prononcées: 19 ans de prison pour un ancien député local de Moscou, 25 ans pour le journaliste et militant Vladimir Kara-Mourza, condamné pour haute trahison et qui avait déjà survécu à deux empoisonnements, en 2015 et 2017.

La commission électorale russe a écarté la candidature d'Ekaterina Dountsova, candidate pacifiste. [Keystone]
La commission électorale russe a écarté la candidature d'Ekaterina Dountsova, candidate pacifiste. [Keystone]

Certains opposants ont bien tenté de se présenter aux prochaines élections présidentielles mais sans succès. Par exemple, la journaliste Ekaterina Dountsova, militante prodémocratie et opposée à la guerre en Ukraine. Avec ses 300'000 abonnés sur Telegram, elle a réussi à se construire une forte base de soutiens. Sa candidature a pourtant été écartée fin décembre 2023, la commission électorale invoquant des "erreurs dans les documents" soumis pour son enregistrement. Même chose pour Boris Nadejdine, candidat indépendant engagé contre la guerre.

Officiellement, il existe bien à ce jour trois candidatures "opposées" à celle de Vladimir Poutine dans la course à la présidence. On ne peut toutefois pas vraiment parler d’opposants quand l’un d’entre eux a dit qu’il n’appellerait pas à voter contre le président sortant, et a déjà prédit sa "victoire énorme".

Ce sera donc à coup sûr un troisième mandat consécutif pour Vladimir Poutine, à 71 ans. Un mandat de 6 ans au lieu de 4, puisqu’il a fait changer la Constitution en ce sens par référendum en 2020.

Sophie Badoux et Nicolas Rossi

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