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Quel est le champ d'action de la Cour pénale internationale?

Cour pénale Internationale. [AFP - Martin Bertrand / Hans Lucas]
C'est quoi la CPI? Et quels sont ses pouvoirs? / Tout un monde / 6 min. / le 22 mai 2024
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) demande des mandats d'arrêt contre Benjamin Netanyahu, son ministre de la Défense et trois dirigeants du Hamas palestinien. Quelle place occupe cette instance judiciaire, au bilan jugé assez maigre, au sein du système judiciaire international?

"La Cour pénale internationale, qui siège à La Haye aux Pays-Bas, est la première juridiction pénale internationale permanente. Elle est compétente pour juger les individus pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide et les crimes d'agression", explique mercredi dans l'émission Tout un monde Mathilde Philip-Gay, professeure de droit à l'Université Jean Moulin Lyon 3.

"Elle peut être saisie par des Etats, le Conseil de sécurité [des Nations unies] ou à l'initiative de son procureur", ajoute la juriste.

>> A lire sur le sujet : La CPI demande un mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahu et des dirigeants du Hamas pour crimes de guerre

Une instance critiquée

Créée pour éviter l'impunité, la juridiction est entrée en fonction en 2002, après la ratification, par 60 Etats, du Statut de Rome. En deux décennies d'existence, la CPI présente toutefois un bilan assez maigre, reconnaissent les experts de cette institution.

La Cour, qui emploie près de 900 personnes, est critiquée pour des coûts de fonctionnement élevés et la rareté de ses verdicts définitifs.

Son budget 2024 se monte à 185 millions de francs; la contribution suisse à un peu moins de 4 millions. Elle a émis jusqu'à présent 46 mandats d'arrêt et prononcé dix condamnations.

>> Ecouter au sujet du financement de la CPI :

Parlons Cash – Le financement de la Cour pénale internationale (CPI)
Parlons Cash – Le financement de la Cour pénale internationale (CPI) / La Matinale / 3 min. / le 22 mai 2024

Un premier verdict en 2012

Il a fallu attendre dix ans avant qu'elle ne rende son premier jugement. Le procès de Thomas Lubanga, un chef de milice congolais, avait commencé en 2009. Il était accusé d'avoir enrôlé des enfants soldats. Il a été condamné trois ans plus tard à 14 ans de prison pour crimes de guerre.

Il a été reproché à la Cour de porter son attention essentiellement sur le continent africain, a expliqué mardi dans le 19h30 Vincent Chetail, professeur de droit international à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID).

Aujourd'hui, des enquêtes sont en cours dans une dizaine de pays, la plupart en Afrique, mais également en Amérique du Sud, en Asie et en Europe.

>> Le sujet du 19h30 sur la CPI :

Critiquée pour sa focalisation sur les États africains et ses punitions exclusivement dirigées contre les plus faibles, la Cour pénale internationale n'hésite désormais plus à viser les grandes puissances
Critiquée pour sa focalisation sur les États africains et ses punitions exclusivement dirigées contre les plus faibles, la Cour pénale internationale n'hésite désormais plus à viser les grandes puissances / 19h30 / 2 min. / le 21 mai 2024

Guerres en Ukraine et au Proche-Orient

La Cour fait l'objet d'une attention accrue avec l'invasion russe de l'Ukraine, qui a commencé en février 2022. Le procureur de la CPI Karim Khan a demandé un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine, accusé d'un crime de guerre, l'expulsion illégale d'enfants ukrainiens. Le magistrat de nationalité britannique a obtenu ce mandat en mars de l'année passée. Un moment historique pour la Cour, car c'est la première fois qu'un dirigeant d'un Etat membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU se trouve dans son viseur.

>> A lire également : Sous mandat d'arrêt de la CPI, Vladimir Poutine sera-t-il un jour arrêté?

Lundi, Karim Khan a requis des mandats d'arrêt contre les dirigeants du Hamas pour l'attaque en Israël du 7 octobre dernier et l'enlèvement d'otages.

Le procureur, élu en 2021 sans grande majorité, grâce notamment au soutien des Etats africains, a aussi sollicité des mandats visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant. Ils sont accusés de crimes contre l'humanité dans la cadre de la guerre contre le mouvement islamiste palestinien dans la bande de Gaza. La balle est désormais dans le camp des juges de la CPI, qui doivent examiner cette requête.

>> Ecouter le portrait de Karim Khan dans La Matinale :

Qui est Karim Khan, le procureur de la CPI? [Keystone - EPA/Miguel Gutierrez]Keystone - EPA/Miguel Gutierrez
Portrait du procureur de la CPI Karim Khan / La Matinale / 1 min. / le 22 mai 2024

Arrestations par les Etats

La Cour ne peut toutefois pas procéder elle-même à des arrestations, quand bien même un mandat d'arrêt serait émis à l'encontre des dirigeants accusés. Cette tâche revient aux Etats parties. Il faut donc que l'accusé se trouve dans l'un desdits Etats pour être interpellé.

"On voit mal aujourd'hui Vladimir Poutine ou Benjamin Netanyahu être déférés rapidement devant la Cour pénale internationale", relève dans Tout un monde Philip Grant, le directeur général de l'ONG Trial International.

"Mais, par les actes d'accusation et les mandats d'arrêt qu'elle peut délivrer, elle assigne aussi à ces responsables une sorte de mise en cause morale, devant la scène internationale, pour les crimes qui auraient été commis", précise le spécialiste de la justice criminelle internationale.

Des poids lourds pas parties à la CPI

Aujourd'hui, 124 pays sont parties à la CPI. Mais pas les Etats-Unis, la Chine, la Russie ou encore Israël.

"Certains pays font tout pour que la CPI n'ait pas de portée universelle, en ne ratifiant pas son statut et, en plus, en s'y opposant systématiquement et en la dénigrant", remarque Mathilde Philip-Gay.

L'experte pointe une "ambivalence des pays qui jouent à ce jeu-là". Elle prend l'exemple des Etats-Unis: "Ils collaborent avec la Cour pénale internationale sur l'Ukraine, mais refusent sa juridiction concernant Israël", souligne-t-elle.

"Cela prouve qu'ils n'ont pas très bien compris son intérêt, qui n'est pas d'être un instrument politique, mais un instrument juridique. Il faut revenir à l'essentiel: la CPI a été créée pour que les victimes puissent réclamer justice, quelles que soient leur religion, leur couleur de peau ou leur nationalité." Et de conclure: "Elle est en train de prendre son essor."

Texte web: Antoine Michel Sujets radio: pcz, fms et dct

Sujet TV: smz

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La CIJ, une autre cour qui fait l'actualité

La CPI ne doit pas être confondue avec la CIJ, la Cour internationale de Justice. Également basée à La Haye, elle existe depuis 1945. "C'est l'instance [judiciaire] suprême des Nations unies. Elle ne juge pas des individus suspectés d'atrocités, mais des litiges entre Etats", souligne Philip Grant.

"Les conventions dans le cadre des crimes internationaux – la convention contre les génocides, la convention contre la torture – sont utilisées de manière croissante comme fondement par un Etat pour en attaquer un autre devant la Cour internationale de justice", précise-t-il.