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Quelles seraient les conséquences (épouvantables) d'une guerre nucléaire?

Les effets d'une guerre nucléaire pourraient être similaires aux brûlures, à la dévastation et la pollution à Hiroshima. [Keystone/AP Photo - DR]
Voici à quoi ressemblerait une guerre nucléaire / Tout un monde / 8 min. / le 8 mai 2024
La Russie a lancé cette semaine des exercices militaires sur l’emploi du nucléaire tactique. Ce sont des armes de moindre puissance destinées au champ de bataille, mais leur utilisation marquerait une escalade inédite dans l’histoire de la guerre. Ce n’est pas la première fois, depuis l’invasion de l’Ukraine, que cette menace est brandie.

Tout le monde a en tête des images de Hiroshima ou de fait une vague idée de l'Apocalypse. Mais alors que la notion de "guerre nucléaire" apparaît de plus en plus souvent dans l'actualité, personne ne peut vraiment imaginer ce qu'une telle attaque signifierait concrètement.

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Des milliards de morts

Une étude publiée par Nature en 2022 donne un début de réponse, même si tout dépendrait de l’ampleur d’une telle guerre. Les chercheurs avaient calculé qu'un conflit nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie tuerait plus de la moitié de l'humanité, soit cinq milliards de personnes. Un scénario que corrobore au micro de l'émission de la RTS Tout un monde Richard Lennane, conseiller politique sur les armes nucléaires au CICR, tout en y apportant quelques précisions. 

"Cette étude a été menée par un large groupe d'experts qui se sont basés sur les dernières modélisations climatiques. Ils ont découvert qu'une guerre nucléaire de cette ampleur enverrait tellement de suie dans l'atmosphère qu'elle provoquerait un hiver nucléaire." Selon leurs observations, l'approvisionnement en nourriture serait par conséquent considérablement réduit, ce qui entraînerait vraisemblablement la mort de plusieurs milliards de personnes.

Et le spécialiste d'ajouter que même dans le cas d'une guerre nucléaire limitée, les conséquences seraient très graves. "Une guerre nucléaire limitée à une région, entre l'Inde et le Pakistan par exemple, qui n'impliquerait que quelques centaines d'ogives nucléaires, entraînerait environ deux milliards de décès."

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"Fin de la civilisation telle qu'elle existe"

Il y a la question des morts, - mais aussi celle des survivants. Leur vie quotidienne changerait du tout au tout, comme l'explique Richard Lennane. "Ce n’est pas exagéré de dire que ce serait très certainement la fin de la civilisation telle qu'elle existe. La vie reviendrait vraiment à un état très primitif pour de nombreuses personnes."

Dans certaines régions de monde, des infrastructures pourraient résister. On pourrait vivre, certes pas normalement, mais ce ne serait pas non plus la fin de l’humanité. Il y aurait des survivants, on pourrait reconstruire dans certains endroits

Richard Lennane, conseiller politique sur les armes nucléaires au CICR

Quant aux infrastructures, elles en pâtiraient aussi. Du moins celles situées dans les zones directement concernées, souligne-t-il, comparant la situation à celle où un astéroïde frapperait la Terre. "Dans certaines régions de monde, des infrastructures pourraient résister. On pourrait vivre, certes pas normalement, mais ce ne serait pas non plus la fin de l’humanité. Il y aurait des survivants, on pourrait reconstruire dans certains endroits."

Mais en parlant d'armes nucléaires, il est peut-être plus utile de considérer l'impact d'une seule détonation, poursuit-il. "Par exemple, si une seule arme nucléaire explosait au-dessus de Genève ou Zurich, il s'agirait déjà d'une énorme catastrophe qui dépasserait notre capacité à réagir efficacement." Selon lui, on pourrait s’attendre dans ce cas à ce que 150’000 à 200’000 personnes soient immédiatement tuées. "Et un nombre similaire de personnes seraient grièvement blessées."

La capacité de réaction de la Suisse, et probablement de l'Europe, serait totalement dépassée. "Et on ne parle là que d’une seule détonation. Une guerre nucléaire impliquant des dizaines, des centaines ou des milliers d'armes, ne ferait que multiplier ce phénomène."

Services d'urgence indisponibles

Les services d'urgence seraient indisponibles. Il n’y aurait pas de secours, personne à appeler à l’aide et aucune ambulance disponible. Observation faite par le CICR et la Croix-Rouge japonaise qui ont été les premiers à se rendre à Hiroshima après l’explosion de la bombe atomique en 1945. "Plus de 80% des hôpitaux de Hiroshima avaient été détruits par la bombe. 80 à 90% du personnel médical avaient été tués ou blessés. Ça montre à quel point il est impossible d'apporter une réponse humanitaire efficace."

Une guerre nucléaire pourrait éclater cet après-midi, ou même maintenant au moment où nous parlons

Richard Lennane, conseiller politique sur les armes nucléaires au CICR

Et faire venir de l'aide de l'extérieur ne serait pas une mince affaire, au vu des problèmes qu'un tel événement pose en termes d'accès: rues bloquées par des débris, incendies, radiations... "En termes de réponse humanitaire, c’est une situation complètement impossible. C’est pourquoi nous disons depuis de nombreuses années que la seule solution, c’est la prévention."

Du point de vue du CICR, la menace est-elle plus grave aujourd'hui qu'il y a quelques années? Au vu de l'actualité, "nous sommes certainement plus inquiets aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans", répond Richard Lennane.

"Une guerre nucléaire pourrait éclater cet après-midi, ou même maintenant au moment où nous parlons. Il s'agit donc d'un sujet très actuel pour le CICR, sur lequel nous travaillons depuis 1945, car les conséquences sont horribles et le risque très grand."

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Fabien Grenon

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Utilisation légale d'une armée nucléaire difficilement envisageable

Au regard du droit humanitaire international, il est difficile d’envisager une utilisation légale de l’arme nucléaire, car elle n’épargnerait pas les civils si elle était tirée dans une zone habitée.

"Même avec une cible militaire à proximité d'une zone habitée, ce serait clairement disproportionné", insiste au micro de Tout un monde Richard Lennane, conseiller politique sur les armes nucléaires au CICR.

Et si certains affirment qu'il serait possible d'utiliser une arme nucléaire légalement - par exemple dans une zone reculée ou lors d'une attaque contre un navire de guerre en pleine mer -, les règles du droit humanitaire international relatives aux dommages causés à l'environnement ne seraient pas respectées, ainsi que les règles relatives à l'infliction de blessures superflues, souligne-t-il.

Le spécialiste d'ajouter que depuis 2021, le traité des Nations unies sur l'interdiction des armes nucléaires bannit totalement la possession, le développement, la production, l'utilisation et les essais d'armes nucléaires. "Si on y ajoute la convention sur les armes biologiques et celle sur les armes chimiques, ce traité complète le régime juridique international contre les armes de destruction massive."

Le CICR met actuellement la pression sur tous les Etats pour qu'ils y adhèrent. "Nous sommes incapables de réagir à une explosion nucléaire, nous ne pouvons pas nous préparer à ses conséquences. Nous devons donc l'empêcher. Et nous pensons que ce traité est le moyen le plus efficace d'interdire et d'éliminer les armes nucléaires et de prévenir les catastrophes dont nous avons parlé."