Reportages en Pennsylvanie, l'Etat pivot que cajolent Donald Trump et Kamala Harris
L'élection se jouera dans une poignée "d'Etats pivots", dont la Pennsylvanie, qu'on surnomme the "Keystone State". Ses grands électeurs, au nombre de 19, reviendront tous au candidat qui remporte le scrutin dans cet Etat du nord-est, le cinquième du pays en termes de population.
Donald Trump et Kamala Harris ne peuvent donc en aucun cas le négliger. C'est d'ailleurs dans sa plus grande ville, Philadelphie, qu'ils ont tenu leur premier débat télévisé.
Le milliardaire avait remporté la Pennsylvanie d'un cheveu lorsqu'il avait été élu en 2016. Quatre ans plus tard, l'Etat tombait dans le giron démocrate, avec une avance d'un peu plus d'1% des suffrages. Aujourd'hui, il penche de plus en plus du côté des républicains, surtout dans les régions frappées par la désindustrialisation.
Reportages et interviews de Cédric Guigon, Jordan Davis et Eric Guevara-Frey
Edition web: Antoine Michel
Luzerne
Un comté représentatif de la poussée républicaine auprès des ouvriers
Le comté de Luzerne (du nom d'un aristocrate français sans rapport avec la ville alémanique) représente bien cette tendance. L'influence des syndicats s'est érodée. En août, Donald Trump s'est exprimé lors d'un meeting à Wilkes-Barre, le chef-lieu de ce comté du nord-est. Attendu pour parler de tarifs douaniers, il a surtout attaqué les immigrés illégaux, "des monstres sauvages", selon lui.
Devant le siège du gouvernement local, la RTS a assisté à cette scène: une poignée d'activistes républicains, casquettes Trump vissées sur la tête et munis de portevoix, tentaient d'interrompre une conférence de presse d'un groupe affilié aux démocrates.
"J'étais enregistré comme démocrate", raconte leur meneur, T.J. Fitzgerald. "Le parti représentait la classe ouvrière, le rêve américain. Mais ça a changé. Quand Donald Trump parle des illégaux qui entrent, ça nous touche au cœur. Tous ces gens qui viennent d'ailleurs et ne parlent pas la langue changent notre culture. Ils utilisent nos logements et les prix ont triplé. Ce n'est pas juste", lance-t-il.
Scranton
Kamala Harris peut-elle faire le plein de voix dans la ville natale de Joe Biden?
Le 20 novembre 1942, un certain Joe Biden naissait à Scranton. Cette ville du nord-est de la Pennsylvanie est aussi appelée "Electric City", un surnom témoin de son passé industriel glorieux. La cité fut l'une des premières à installer l'éclairage électrique et la première des Etats-Unis à posséder un tramway électrique.
Puis, il y a eu le déclin industriel, une hémorragie d'habitants, la diversification pour redémarrer. La vocation industrielle de Scranton n'a cependant pas disparu. De passage dimanche, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a remercié les ouvriers d'une usine qui fabrique des obus d'artillerie utilisés dans la guerre contre la Russie.
"Comme Joe Biden est originaire de Scranton et de la Pennsylvanie, il y avait un soutien naturel pour lui ici", déclare en interview la maire démocrate Paige Cognetti, première femme élue à ce poste, avec 72% des voix. Kamala Harris arrivera-t-elle à garder cet électorat? "Je pense que la campagne Harris-Waltz a fait un travail remarquable en très peu de temps. Elle a présenté Kamala Harris aux électeurs d'une nouvelle manière. Elle a mis en avant ses projets politiques et elle a présenté le contraste avec Donald Trump", répond l'élue.
Erié
Le "comté pivot" de l'Etat pivot
C'est un peu l'histoire du battement d'aile de papillon. Et si l'élection se jouait dans le comté d'Erié, en quelque sorte le "comté pivot" de cet Etat pivot? Au cours des 25 dernières élections au niveau de l'Etat, cette région à la frontière canadienne a voté 23 fois pour le gagnant.
Selon Joseph Morris, professeur de sciences politiques à l'université Mercyhurst, le comté est une image réduite de l'Etat entier. "Nous avons un bon équilibre entre républicains et démocrates, comme la Pennsylvanie. Nous avons un équilibre entre électeurs urbains et ruraux comme la Pennsylvanie. Et nous avons un groupe démographique absolument capital pour les républicains: des ouvriers sans diplôme universitaire", analyse-t-il. En 2020, les démocrates l'avaient emporté dans le comté, peuplé par 270'000 personnes, avec seulement 1400 voix d'avance.
L'intégrale du premier épisode
Philadelphie
"Donald Trump ne fait pas campagne pour devenir pasteur ou prêtre"
La seconde émission spéciale de Tout un monde s'intéresse à la démocratie américaine, qui semble sur le point de vaciller. Avec Kush Desai comme première personne questionnée sur ce sujet. Le porte-parole de la campagne de Donald Trump en Pennsylvanie a accueilli la RTS dans ses locaux dans la banlieue nord de Philadelphie.
Lors de l'interview, il n’a pas dévié d'un iota de la ligne de l'ex-président, en répétant des rumeurs à propos de l’assaut du Capitole, pourtant démenties à plusieurs occasions, et en multipliant les attaques contre le camp démocrate, accusé de faire peser une menace sur la démocratie.
Questionné sur le personnage de Donald Trump, qui dérange même certains républicains, le communicant répond: "Les Américains n'élisent pas un pasteur ou un prêtre, mais un président qui doit veiller sur leur communauté, leur bien-être et leur compte en banque. Et pour cela, Donald Trump est le choix évident." Il se veut par ailleurs rassurant. Le pays a déjà connu une présidence du magnat new-yorkais. "C'était la paix, la stabilité et la prospérité pour les Américains", soutient Kush Desai.
Butler
Retour sur les lieux de la tentative d'assassinat contre Donald Trump
Le 13 juillet dernier, un tireur prenait pour cible Donald Trump lors d’un rassemblement de campagne à Butler, dans l'ouest de la Pennsylvanie. Le président du Parti républicain dans le comté, Jim Hulings, s’est occupé de faire visiter les lieux à la RTS.
Il raconte avec force de détails le déroulé des événements, dont il a été témoin: "On a entendu pan! pan! pan! Les gens ont dit que c’était un feu d'artifice! J'ai répondu que, non, c’était un AR-15. Je sais exactement quel son ça fait. Je tire assez souvent avec. Donald Trump, lui, s'effondre. Je me suis alors dit: c'est le pire moment de ma vie. Ils viennent de tuer l'une des personnes les plus incroyables qui ait vécu sur Terre."
Philadelphie
L'électorat afro-américain sera crucial pour le Parti démocrate
Berceau des Etats-Unis, Philadelphie est un bastion démocrate. La sixième ville du pays concentre notamment des électeurs afro-américains. Ils sont au cœur d'une bataille pour la défense du droit de vote, auquel certains élus républicains tentent de rendre l'accès plus compliqué, et représentent un électorat essentiel pour Kamala Harris.
Dans la première église noire du pays, fondée en 1794, les fidèles sont plutôt âgés, mais politiquement engagés. Plusieurs femmes portent des badges avec l'effigie de la vice-présidente. La pasteure appelle à se rendre aux urnes. Mais nombreuses sont celles qui n'ont pas besoin du rappel. "C'est le destin du pays qui est en jeu. Il nous faut quelqu'un qui ne nous déchire pas", déclare une fidèle. "Les droits de la santé et des femmes sont en jeu cette année. La démocratie aussi", acquiesce une autre.
Mais ailleurs dans la ville, Jay ne sait pas encore quel nom il va choisir de glisser dans l'urne le 5 novembre. Cet homme, qui vit depuis 50 ans dans le même quartier, pense que l'Amérique n'est pas prête à placer une femme à la tête de l'Etat. "Kamala n'est pas plus forte qu'Hillary", assène-t-il. Avec ses amis, ils avaient voté Clinton en 2016, mais hésitent désormais à faire le même pari.
Université de Pennsylvanie
"Nous avons tendance à croire que les traditions démocratiques vont nous sauver"
La démocratie américaine a-t-elle les reins assez solides, dans un contexte de remise en question permanente de ses principes?
Le mot de la fin de cette série de Tout un monde revient à Claire Finkelstein, professeur de droit et de philosophie à l'Université de Pennsylvanie à Philadelphie. Elle exprime son inquiétude à propos de la résilience des institutions américaines et d’une instrumentalisation du Département fédéral de la Justice. "Nous sommes testés à un niveau jamais vu depuis la Guerre civile", souligne-t-elle. La stabilité des Etats-Unis n'est pas garantie, assure-t-elle également. "Nous avons tendance à croire que les traditions démocratiques vont nous sauver", dit-elle. "Nous pensons que nous serons sauvés simplement par les bonnes intentions des gens. Mais ce n'est pas du tout ça! Ce ne sont pas les politiques d'autrefois."