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"Situation insurrectionnelle", "état de guerre civile"; mais pourquoi la Nouvelle-Calédonie s'embrase?

Depuis lundi, l’archipel français de Nouvelle Calédonie est secoué par de graves violences
Depuis lundi, l’archipel français de Nouvelle-Calédonie est secoué par de graves violences / 12h45 / 1 min. / le 15 mai 2024
Incendies, pillages et échanges de tirs, ébranlent la Nouvelle-Calédonie. Une réforme du corps électoral local, contestée par les indépendantistes kanaks, a mis le feu aux poudres dans ce territoire français du Pacifique Sud. Explications.

Malgré les appels au calme des principaux partis politiques du territoire et des autorités, la vague de violences entamée lundi, la plus grave depuis les années 1980, n'a donné aucun signe de reflux. Emmanuel Macron a décidé mercredi que l'état d'urgence serait instauré dans le territoire, après deux nuits d'émeutes qui ont fait quatre morts, dont un gendarme.

>> Lire aussi : Etat d'urgence annoncé en Nouvelle-Calédonie après la mort de quatre personnes dans les émeutes

"On est dans une situation que je qualifierais d'insurrectionnelle", a déploré Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. "Nous sommes en état de guerre civile", a de son côté lancé la principale figure du camp non-indépendantiste, l'ex-secrétaire d'Etat Sonia Backès.

L'archipel est secoué par la colère des indépendantistes contre une réforme électorale votée par le Sénat, puis par l'Assemblée nationale française dans la nuit de mardi à mercredi.

- UN STATUT PARTICULIER -

Le statut de la Nouvelle-Calédonie est né de l'accord de Nouméa de 1998. Inscrit dans la Constitution française, il confère une très large autonomie au territoire ultramarin, peuplé de quelque 271'000 habitants en 2019.

L'accord avait scellé le processus de décolonisation du territoire, français depuis 1853, et marqué pendant les années 1980 par de fortes tensions et des violences autour de la question de l'indépendance.

Signé entre l'Etat français, les non-indépendantistes et les indépendantistes, l'accord de Nouméa a mis sur les rails une décolonisation progressive, matérialisée par des transferts de compétences de l'Etat au gouvernement local.

- UNE REFORME ELECTORALE DECRIEE -

La révision constitutionnelle en cause porte sur le corps électoral de l'élection provinciale locale. Un scrutin très important en Nouvelle-Calédonie, où les trois provinces détiennent une grande partie des compétences.

Chose atypique, le corps électoral de ce scrutin est gelé: il se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes lors de la consultation locale sur l'accord de Nouméa en 1998 et à leurs descendants, excluant de facto les résidents arrivés après cette date et de nombreux natifs.

Cette spécificité répond à une inquiétude des indépendentistes kanaks, qui estiment que la colonisation les a rendus minoritaires sur leur propre territoire et craignaient de ne pouvoir faire entendre leur voix, rappelle le portail des Outre-mer de franceinfo.

Au fil des ans, ces conditions restrictives ont augmenté la proportion d'électeurs privés de droit de vote au scrutin provincial alors qu'ils sont autorisés à voter aux élections nationales (présidentielle, municipales...).

En 2023, cela concernait environ 20% des électeurs et électrices, contre seulement 7,5% en 1999, une situation "contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République", selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

Pour y remédier, le gouvernement souhaite dégeler le corps électoral en l'ouvrant à tous les natifs et aux personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans. Environ 25'000 électeurs pourraient alors être ajoutés aux listes.

- MINORISER LE PEUPLE AUTOCHTONE KANAK? -

Les non-indépendantistes sont favorables à la réforme, alors que les indépendantistes y voient un passage en force de l'Etat pour "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak", qui représentait 41,2% de la population totale lors du recensement de 2019, selon l'Insee.

"Si on a vécu en paix pendant quarante ans, c'est bien parce que le corps électoral était stabilisé", avait ainsi indiqué au mois de février l'indépendantiste Daniel Goa, président de l'Union calédonienne sur le portail des Outre-mer de franceinfo.

- LA QUESTION DE L'INDEPENDANCE -

Ce débat intervient aussi dans un contexte de tensions entre les partisans et les opposants à l'indépendance. Conformément à l'accord de Nouméa, trois référendums ont déjà eu lieu, et à chaque fois le camp du "non" l'a emporté.

Un premier référendum s'est tenu en 2018 (56,67% de "non"), puis un deuxième en 2020 (53,26% de non). Le troisième et dernier scrutin a eu lieu le 12 décembre 2021. Cette fois, le "non" l'a emporté à 96,50%. Les partis indépendantistes avaient boycotté ce référendum, car ils ne reconnaissent pas sa légitimité.

>> Lire aussi : Non massif à l'indépendance lors du référendum en Nouvelle-Calédonie

- UN DERNIER VOTE DU PARLEMENT PROBABLEMENT EN JUIN -

La réforme électorale a été adopté par le Sénat le 2 avril et voté par l'Assemblée nationale mardi soir (351 voix contre 153). Les députés de gauche s'opposaient à son adoption et la France insoumise appelle à "retirer en urgence" ce texte.

Pour être définitivement adoptée, la révision constitutionnelle doit maintenant être soumise à tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

Dans un courrier adressé mercredi aux représentants calédoniens condamnant des violences "indigne(s)" et appelant au "calme", Emmanuel Macron a précisé que ce Congrès se réunirait "avant la fin juin", à moins qu'indépendantistes et loyalistes ne se mettent d'accord d'ici là sur un texte plus global.

cab avec les agences

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"Ingérence néfaste" dénoncée

Les soupçons ou accusations d'ingérence étrangère dans la situation en Nouvelle-Calédonie sont également nombreux.

- AZERBAIDJAN -

Le ministre de l'Intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin a accusé jeudi l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie.

Interrogé sur l'existence en Nouvelle-Calédonie d'ingérences provenant de ce pays du Caucase, de la Chine ou de Russie, Gérald Darmanin a pointé du doigt Bakou. "L'Azerbaïdjan, ce n'est pas un fantasme, c'est une réalité", a-t-il déclaré sur la chaîne France 2, en regrettant "qu'une partie des indépendantistes aient fait un deal" avec ce pays.

Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin avait déjà dénoncé le 29 avril "l'ingérence extrêmement néfaste" de l'Azerbaïdjan après la signature le 18 avril d'un mémorandum de coopération entre le Congrès de la Nouvelle-Calédonie et l'Assemblée nationale de l'Azerbaïdjan.

Paraphé le 18 avril par Omayra Naisseline, élue du groupe UC-FLNKS (indépendantiste), au nom du président du Congrès Roch Wamytan, ce texte vise à développer les relations entre les deux chambres notamment en matière de culture, d'enseignement et de politique.

Les relations entre Paris et Bakou se sont détériorées ces derniers mois, notamment fin septembre au moment de l'offensive militaire azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh que la France a condamnée.

- RUSSIE -

Des banderoles souhaitant la bienvenue à Vladimir Poutine ou clamant "Président Poutine, libère nos colonies" sont aussi récemment apparues lors de manifestations indépendantistes, relevait également une enquête de franceinfo le 6 mai dernier.

- CHINE -

A celà s'ajoutent les ambitions chinoises dans le Pacifique Sud. La Chine serait intéressée par les réserves de nickel que recèlent les sols de Nouvelle Calédonie. Un minerai indispensable au développement des nouvelles technologies et de la voiture électrique. 

Or, le secteur du nickel, qui emploie directement ou indirectement 20 à 25% des salariés du territoire, est en crise suite à la chute du prix du minerai, qui a dévissé d'environ 40% en 2023.