Six journalistes arrêtés en Azerbaïdjan pour avoir enquêté sur de l'or exporté en Suisse
Quel est le point commun entre une voiture Tesla, un téléphone Samsung et un ordinateur Apple? Ces marques ont besoin de très grandes quantités d'or pour leurs productions.
Une partie de ces tonnes d'or vient d'Azerbaïdjan. L'extraction de ce métal précieux est au cœur d'une investigation de six journalistes d'Abzas Media, qui enquêtaient sur la pollution suspectée d'une mine dans la région de Söyüdlü. Une enquête qu'ils n'ont pas pu terminer.
Depuis novembre 2023, Ulvi Hasanli, Sevinc Vaqifqizi, Mahammad Kekalov, Nargiz Absalamova, Elnara Gassimova et Hafiz Babali, tous membres de la rédaction d'Abzas Media, ont en effet été jetés en prison.
Ils font partie des derniers journalistes indépendants d'Azerbaïdjan. Officiellement, les six journalistes sont accusés de contrebande de monnaies étrangères.
Ces arrestations s'inscrivent dans un contexte de contrôle des médias dans le pays. L'Azerbaïdjan est dirigé par le président Ilham Aliyev. Le pays est considéré par Reporter sans Frontières comme un régime autoritaire, classé 151e sur 180 pays en termes de liberté de la presse.
Une vaste enquête sur des sujets sensibles pour le pouvoir
L'arrestation des six rédacteurs d'Abzas Media est liée à la réalisation d'un documentaire. Les journalistes azerbaïdjanais menaient une vaste enquête sur plusieurs sujets sensibles pour le pouvoir. Ils travaillaient sur la corruption, les exactions commises en prison et sur la mine d'or proche du village de Söyüdlü, à 450 km de la capitale Bakou. Avant leur arrestation, les membres de la rédaction d'Abzas Media étaient en contact avec Forbidden Stories (voir encadré).
Les journalistes d'Abzas Media enquêtaient sur des accusations de pollution autour de la mine de Söyüdlü. Des habitants de la région dénoncent la contamination de l'eau et des problèmes de santé au sein de la communauté.
Durant l'été 2023, des manifestations ont eu lieu. Ces démonstrations ont été réprimées par les forces de l'ordre. De son côté, la mine réfute toute pollution. Elle explique avoir mandaté des experts indépendants qui ont confirmé le respect des normes environnementales.
De l'or livré en Suisse
La situation en Azerbaïdjan est directement liée à la Suisse. En effet, tout l'or produit dans la mine termine en Suisse. Dans son rapport d'exploitation de 2022, l'entreprise propriétaire de la mine indique qu'elle exporte son or vers deux raffineries suisses.
Par courrier, la première raffinerie helvétique explique: "MKS PAMP prend très au sérieux sa responsabilité environnementale (…) Sur la base des informations fournies par la mine de Söyüdlü et par une société de conseils indépendante, ainsi que par nos propres clarifications, MKS PAMP a conclu qu'elle continuerait à s'y approvisionner".
La seconde raffinerie suisse, Argor-Heraeus, arrive à une conclusion radicalement différente. Elle a stoppé ses relations d'affaires avec la mine depuis 2022. La raffinerie Argor-Heraeus indique n'avoir pas reçu à l'époque les garanties suffisantes dans le cadre de son programme "Know Your Customer" sur le respect des normes éthiques, sociales et environnementales.
Tesla, Apple ou Microsoft comme clients
Une fois raffinée en Suisse, l'or est acheté par des grands groupes bancaires et technologiques. Des entreprises comme Tesla, Apple ou Microsoft indiquent être clients de la raffinerie suisse MKS PAMP.
Les industries électroniques utilisent l'or pour ses capacités de conductivité, mais aussi parce que l'or a la faculté de ne pas s'oxyder. C'est donc un métal idéal pour tous les équipements de type ordinateur, console et téléphone. Contactées, ces entreprises n'ont pas répondu à l'heure actuelle aux questions envoyées par Forbidden Stories.
En Azerbaïdjan, les journalistes d'Abzas Media sont toujours en prison. Ils attendent d'être jugés. Ils risquent jusqu'à huit ans de prison.
François Ruchti et Forbidden Stories dans le cadre du projet "The Baku Connection"
Information dans le 19h30 du 1er février 2024
Des fonds du Conseil de l'Europe financent les prisons d'Azerbaïdjan
Les six journalistes d'Abzas Media sont dans des prisons épinglées par plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme. Ces prisons ont pourtant touché de l'argent du Conseil de l'Europe, organisation internationale dont fait partie la Suisse, et qui est sans lien direct avec l'Union européenne.
Près de 1,3 million d'euros ont été versés dans le cadre d'un programme de formation pour améliorer le management des prisons en Azerbaïdjan. Au menu: des réunions sur Zoom pour discuter de "dynamique de sécurité", des workshops pour "coacher" les managers des prisons azerbaïdjanaises ou encore une "visite d'étude" d'une prison en Espagne.
Ce financement est critiqué par de nombreux opposants politiques. De son côté, le Conseil de l'Europe explique ne pas avoir financé le gouvernement d'Azerbaïdjan, mais des ONG qui sont soigneusement sélectionnées. Des programmes d'aide qui auraient permis, selon des documents internes du Conseil de l'Europe, d'améliorer le système pénal dans son ensemble.
Qu'est-ce que Forbidden Stories
Forbidden Stories est un consortium de journalistes d'investigation, dont fait partie la RTS, qui cherchent à poursuivre le travail de collègues menacés ou tués durant leur travail d'enquête.