Sortie mondiale de "Patriote", les mémoires posthumes de l'opposant russe Alexeï Navalny
"Quelle est la probabilité que je sois encore vivant à midi? Je n'en sais rien. Six sur dix? Huit sur dix? Peut-être même dix sur dix? Je ne cherche pas à éluder la question ni à fermer les yeux, ou à faire comme si le danger n'existait pas. Mais un jour, j'ai pris la décision de ne plus avoir peur."
La quatrième de couverture des mémoires d'Alexeï Navalny, présentées comme un "évènement éditorial international", ne rend pas forcément grâce au ton d'un livre mêlant lucidité et légèreté, dans lequel l'opposant se raconte simplement, de son goût pour les dessins animés à son amour pour sa femme.
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Fils d'un militaire et d'une économiste
Fils d'un militaire et d'une "économiste", Alexeï Navalny grandit en URSS, où les pénuries sont courantes et où l'absence de chewing-gum incarne à ses yeux d'enfant le "symbole de la supériorité d'autres régions du monde sur l'Union soviétique".
Puis à son adolescence, l'URSS se disloque en 1991 et la Russie se convertit à marche forcée au libéralisme. Des oligarques s'approprient des pans entiers de l'économie et Alexeï découvre dès son entrée à l'université les professeurs qu'on achète et l'omniprésente corruption.
Vladimir Poutine a volé à la Russie les vingt dernières années
Il dit perdre toute illusion sur l'élite politique. Le président des années 1990, Boris Eltsine est qualifié de "malhonnête", d'"alcoolique entouré d'escrocs cyniques". Dmitri Medvedev, qui relaiera Vladimir Poutine au Kremlin entre 2008 et 2012 n'est pour Navalny "pas seulement un crétin, mais un type corrompu jusqu'à la moelle".
Quant à Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 1999, il affirme "le détester", "pas seulement parce qu'il a cherché à me tuer ou qu'il a mis mon frère en prison", mais "parce qu'il a volé à la Russie les vingt dernières années" à force d'autoritarisme et de prévarication.
Jeunesse à un moment clé de l'histoire de la Russie
Cette partie du livre consacrée à la jeunesse d'Alexeï Navalny est très précieuse, comme l'a expliqué dans Forum Morvan Lallouet, coauteur du livre "Alexeï Navalny, l'homme qui défie Poutine" paru chez Tallandier.
Ses jeunes années expliquent beaucoup son évolution ultérieure et ses convictions profondes
"Il était très rarement revenu sur ses jeunes années, car Navalny était surtout quelqu'un tourné vers le futur et non pas vers le passé", a ajouté l'expert. Quoi qu'il en soit, son enfance et sa jeunesse se passent à un moment clé de l'histoire de la Russie, soit l'effondrement de l'empire soviétique. "Et ses jeunes années expliquent beaucoup son évolution ultérieure et ses convictions profondes."
Lutte contre la corruption
Alexeï Navalny raconte ensuite son engagement dans la lutte contre la corruption et la répression qu'il subit en retour. La censure et son recours aux médias en ligne pour la contourner. Son entrée en politique, ses premières détentions. Ses condamnations. Et le soutien populaire dont il bénéficie.
En 2020, il est victime lors d'un déplacement en Sibérie d'un empoisonnement à l'agent neurotoxique qui lui cause "18 jours de coma, 26 jours de soins intensifs et 34 jours d'hôpital", ainsi qu'une longue convalescence après son évacuation en Allemagne. Il ne sait plus parler, écrire. "Mes mains ne m'obéissaient pas", "il me restait à réapprendre à marcher correctement".
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Il choisit pourtant de rentrer en Russie en janvier 2021, où il est arrêté dès son atterrissage à Moscou.
Une grève de la faim
Et l'opposant de raconter les brimades en prison, les refus de soin dont il dit être victime alors que son dos et l'une de ses jambes sont "en piteux état". La grève de la faim qu'il observe 25 jours durant pour finalement obtenir d'être examiné par des médecins civils. Mais aussi la surveillance continuelle dont il explique faire l'objet et le placement à l'isolement.
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A partir d'août 2022, on l'enferme à de multiples reprises au "Shizo", un "trou noir en béton" où il fait parfois "si chaud qu'on peut à peine respirer" mais qui le plus souvent s'apparente à "une cave froide et humide", "un lieu de torture" où l'on passe "constamment de la musique à plein volume".
En 2023, narre-t-il, on place dans la cellule voisine "un fou furieux", qui passe "quatorze heures par jour et trois par nuit" à pousser des hurlements qui font "gonfler les veines du cou".
En décembre 2023, Alexeï Navalny est transféré dans une colonie pénitentiaire au-delà du cercle arctique, où le froid y est si intense qu'"on peut marcher plus d'une demi-heure (dehors) à condition d'être sûr de pouvoir se faire repousser un nez, des oreilles et des doigts", plaisante-t-il début janvier.
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Mort à 47 ans
Le 16 février 2024, l'opposant de 47 ans est déclaré mort, dans des circonstances troubles. Ses proches accusent l'Etat russe de l'avoir tué.
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"Ce sont des livres qu'il est important de publier", a commenté Caroline Babulle, de la maison d'édition Robert Laffont, qui a acheté les droits de l'ouvrage en français.
Quelque 60'000 exemplaires ont selon elle été imprimés dans un premier temps en français, pour des centaines de milliers dans le monde. "Patriote" sort simultanément dans "des dizaines de pays et dans plus de vingt langues", postait récemment sur X la veuve de l'opposant Ioulia Navalnaïa.
fgn avec afp
La tombe de Navalny "recouverte de fleurs fraîches au quotidien", selon sa veuve
La tombe de l'opposant russe Alexeï Navalny reçoit "tous les jours" des visites et des "fleurs fraîches", preuve qu'il compte, même défunt, encore "énormément de partisans", a affirmé mardi sa veuve Ioulia Navalnaïa, à l'occasion de la sortie du livre.
"Il était essentiel pour le régime qu'il se sente rejeté par tous. Et ce n'est évidemment pas le cas" a déclaré sur France Inter l'opposante de 48 ans, évoquant les innombrables lettres que recevait son mari avant son décès en février 2024 dans une prison de l'Arctique.
"Même après sa mort, tout cela continue. Il y a énormément de partisans d'Alexeï Navalny. Et également en Russie, tous les jours, il y a des visites sur sa tombe. Sa tombe est recouverte de fleurs fraîches au quotidien", raconte-t-elle.
Alexeï Navalny était selon elle "le seul concurrent réel de Vladimir Poutine".