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Sous le feu des projecteurs, la Seine-Saint-Denis espère tirer son épingle des Jeux

Le département de Seine Saint-Denis, le plus pauvre de France métropolitaine, a indéniablement bénéficié d’un « effet Jeux ». [APA/Keystone - ANNE-CLAUDE BARBIER]
Les JO 2024 transforment aussi la banlieue de Paris / Tout un monde / 5 min. / le 5 août 2024
En banlieue parisienne, la Seine-Saint-Denis accueille de nombreuses épreuves durant ces Jeux olympiques. Le département le plus pauvre de France métropolitaine a bénéficié de nombreux investissements pour l'occasion, mais ses bénéfices à long terme sont loin d'être garantis.

Les Jeux olympiques font souvent miroiter de grandes transformations urbaines. Et à en croire les autorités locales, le "Neuf-Trois", département populaire frappé d'une mauvaise réputation, va indéniablement bénéficier d'un "effet Jeux".

Son territoire est largement mis à contribution, avec le Stade de France, les villages des athlètes et des médias, et une dizaine d'épreuves au programme, dont l'athlétisme, la boxe, le rugby à sept ou encore le plongeon et le water-polo.

Des nouveaux quartiers ont ainsi vu le jour, dont le village olympique qui doit être ensuite transformé en logements. Des ponts ont été construits au-dessus des autoroutes, réparant certaines fractures géographiques. Des sites industriels pollués ont été assainis. Enfin, les nouvelles gares du Grand Paris ont vu le jour dans toute la région Île-de-France.

Un immeuble faisant partie du village olympique.
Un immeuble faisant partie du village olympique.

Réhabiliter l'activité physique

De plus, le nouveau centre aquatique, construit pour l'occasion, et d'autres équipements sportifs devraient profiter à la population encore fortement handicapée par le manque d'infrastructures. Par exemple, un jeune Séquano-Dionysien sur deux ne sait pas nager lorsqu'il entre au secondaire, vers 12 ans, soit bien plus que la moyenne nationale.

"La Seine-Saint-Denis est très carencée en équipements sportifs", souligne Martin Citarella, urbaniste au Comité départemental olympique et sportif. "Il y a 16 équipements sportifs pour 10'000 habitants, contre 24 en Île-de-France et 50 en moyenne nationale. Cette carence, évidemment, sera en partie compensée."

Mais pour que cet héritage puisse fructifier, il faut une réflexion plus large à long terme, prévient-il. "Après ces Jeux, la flamme doit persister! Plus qu'un héritage, il nous faut un élan post-olympique. Au-delà des fonds, ça nécessite aussi une vision différente de la ville et un plan à long terme (...) pour favoriser l'activité physique de manière générale."

Valoriser les atouts du 9-3

Le département est souvent caricaturé et résumé aux aspects les plus négatifs de la banlieue. D'après son président Stéphane Troussel (PS), il y a donc aussi une occasion à saisir pour mettre en valeur ses qualités:

"C'est un département très dynamique sur le plan économique, troisième contributeur national à la TVA. C'est un territoire très jeune, et dans un pays, un continent qui est en train de vieillir, c'est un atout considérable! C'est un territoire où il y a un bouillonnement culturel assez extraordinaire."

Il souligne aussi que son département peut constituer une offre touristique alternative à l'hypercentre parisien et son surtourisme.

Le spectre de la gentrification

Mais si les Jeux sont l'occasion d'investir dans le développement urbain, certaines critiques soulignent le risque de gentrification de ces zones populaires. Or, alors que le "nettoyage" policier des sans-abri au centre de Paris a déjà fait polémique, ce coût social indirect pourrait aussi reléguer les populations les plus précaires loin du centre.

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"Avec la construction de gares et donc de lieux de spéculations immobilières, qui sont déjà très intenses, il y a aussi une montée des loyers. C'est une logique récurrente des Jeux olympiques. Faut-il vraiment participer ou imaginer ce chamboulement urbain?", interroge l'architecte Marc Perelman, enseignant à l'Université de Paris-Nanterre.

"On assiste vraiment à ce que j'appelle la grande centrifugeuse des Jeux olympiques, c'est-à-dire que les gens qui sont là, plutôt des gens modestes, sont expulsés", poursuit-il. "Ces transformations urbaines font reculer les pauvres de plus en plus loin."

Ni ghettos de riches, ni ghettos de pauvres

Pour Stéphane Troussel, toutefois, la gentrification n'a pas attendu les Jeux pour toucher le Grand Paris et l'Île-de-France. "Il y a des villes de Seine-Saint-Denis qui se sont déjà considérablement transformées et diversifiées", argue-t-il.

Selon lui, la Seine-Saint-Denis "reste un territoire très populaire" et le restera au lendemain des transformations qui sont à l'œuvre. "Moi, je suis contre les ghettos, les ghettos de riches comme les ghettos de pauvres", poursuit-il. "La réalité c'est que l'Île-de-France est très ségréguée. (...) Il faut plus d'équilibre partout."

Reste qu'une fois la flamme éteinte et les projecteurs dirigés ailleurs, les financements seront plus difficiles à obtenir pour que ce département puisse continuer de surfer la vague olympique.

Sujet radio: Alexandre Habay

Texte web: Pierrik Jordan

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