Sur fond de polémique, Missak Manouchian, figure de la Résistance française, entre au Panthéon
"Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée. Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde": les premiers mots de son ultime lettre à sa bien-aimée, qui lui a survécu jusqu'en 1989, ont percé le silence, à la nuit tombante, dans un moment saisissant d'émotion.
Les cercueils du résistant et de son épouse, drapés aux couleurs de la France et portés par des soldats de la Légion étrangère, ont franchi ensemble les portes de ce temple des grandes figures de la nation française.
"Français de préférence"
"La France reconnaissante vous accueille. Missak et Mélinée (...) Missak, les 23 et avec eux tous les autres", a déclaré le président français Emmanuel Macron. Il a salué des "étrangers et nos frères pourtant", des "Français de préférence", à qui la France doit "reconnaissance".
Le chef de l'Etat signe là sa quatrième panthéonisation après celles de l'écrivain Maurice Genevoix, de Simone Veil, figure de la vie politique française et européenne, et de la star franco-américaine du music-hall Joséphine Baker. Il a aussi annoncé celle de Robert Badinter, qui porta l'abolition de la peine capitale en France en 1981 en tant que ministre de la Justice, mort le 9 février.
Le Pen présente: "inacceptable"
Comme lors des précédents hommages nationaux, la polémique était de la partie avec la présence de Marine Le Pen, invitée comme cheffe du groupe parlementaire d'extrême droite du Rassemblement national, arrivée sans dire un mot.
"Inacceptable", "insupportable", avait déploré par avance le comité de soutien à la panthéonisation de Missak Manouchian et les familles, qui accusent le Front national, dont le RN est l'héritier, d'avoir été fondé par des "nazis et des collaborationnistes".
Le chef de l'Etat avait provoqué la colère du RN en soulignant que "les forces d'extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes".
Symbole
En plein débat sur l'immigration et le repli identitaire d'une partie de la société française, l'hommage à ces combattants étrangers, "Français par le coeur et le sang versé", se voulait aussi un symbole. Cela démontre qu'être Français, "c'est avant tout une affaire de volonté" et que "cela apporte beaucoup au pays", selon la présidence française.
Missak Manouchian, d'origine arménienne, et ses camarades ont été fusillés pour 23 d'entre eux le 21 février 1944 au Mont-Valérien, près de Paris. Ils sont entrés au Panthéon 80 ans après, jour pour jour.
Si le couple reste uni dans la mort - ils reposaient tous deux au cimetière parisien d'Ivry - Mélinée n'est pas elle-même "panthéonisée". Les autres camarades de Manouchian entrent au Panthéon de façon symbolique, avec l'inscription de leur nom sur une plaque.
Rescapé du génocide arménien
Rescapé des massacres d'Arméniens dans l'Empire ottoman, réfugié en France en 1925, Missak Manouchian rejoint en 1943 la résistance communiste où il s'illustra dans les rangs des Francs-tireurs partisans - Main-d'oeuvre immigrée (FTP-MOI), un réseau alors très actif à Paris.
"Enfin on reconnaît au plus haut sommet de l'Etat, l'engagement de ces combattants, ces FTP-MOI qui ont mené la lutte armée en région parisienne", se félicitait Denis Peschanski, historien de la résistance étrangère.
"Ils ont donné leur vie pour défendre les valeurs universelles. Avec eux, ce sont tous les combattants de la liberté qui sont honorés", s'enthousiasmait la petite-nièce des Manouchian, Katia Guiragossian, sur la radio RFI.
Durant le procès de Missak Manouchian et ses camarades, la propagande nazie placarda dans la capitale une affiche avec les photos de dix d'entre eux, présentés comme "l'armée du crime", sur fond rouge.
Avec eux, "c'est toute la "résistance communiste et étrangère" qui entre dans le temple des grandes figures de la Nation, rejoignant Jean Moulin et la résistance gaulliste, honorés dès les années 60.
afp/hkr