Sur le champ de bataille ukrainien, l'équipement militaire russe est de plus en plus obsolète
Au mois de février 2022, l'armée russe lance l'invasion de l'Ukraine avec une force estimée entre 160'000 et 190'000 soldats, à laquelle s'ajoutent quelques dizaines de milliers d'hommes du régiment tchétchène Kadirov, du groupe de mercenaires Wagner et des forces séparatistes de Lougansk et Donetsk.
Au début de cette opération de grande envergure, Moscou dispose de plus de 2600 chars de combats actifs dans les combats et de réserves importantes. Il s'agit alors de modèles T-90, T-80, mais surtout de T-72, qui sont largement majoritaires sur le front. Le chiffre qui suit le "T" correspond en général approximativement à la première année de mise en service du modèle de tank.
Le T-90 est donc le modèle le plus récent de la flotte de chars russes en Ukraine, d'autant qu'il a connu comme pour le T-72 et le T-80 plusieurs déclinaisons au fil des ans, avec des versions améliorées comme le T-90A ou encore le T-90M. Présenté lors du défilé de la Victoire à Moscou le 9 mai 2015, le T-14 Armata, censé être le nouveau joyau de l'industrie militaire russe, n'est lui jamais entré en action. Selon plusieurs spécialistes, ce nouveau char de combat ne serait pas abouti et n'aurait pas la confiance des militaires.
Un recul dans le temps
Sous-estimation de la résistance ennemie, impréparation, manque de communication et défaillance dans les opérations interarmées: les premières semaines et mois de la guerre ont révélé de graves lacunes côté russe, qui ont abouti à de lourdes pertes, notamment en termes de chars d'assaut.
>> Relire à ce sujet : Tanks à l'arrêt, camions en panne sèche... les carences logistiques de l'armée russe et Des communications radio interceptées confirment les défaillances de l'armée russe
Quelques mois après l'échec chaotique de l'offensive dans la région de Kiev, des modèles de tanks plus anciens ont commencé à faire leur apparition sur le front. Pour Nacho Montes de Oca, journaliste et spécialiste de l'histoire des conflits contemporains, c'est à cette époque qu'a commencé le débat sur la véritable capacité de l'industrie de défense russe. "En septembre 2022, des T-62 et des T-64 sont arrivés. Des modèles vieux de 58 ans et peu aptes aux combats modernes. C'était le premier signe des problèmes russes", explique-t-il dans une série de tweets sur X.
"A la même époque, d'autres observations ont montré des systèmes anti-sous-marins et des canons navals montés sur véhicules à chenilles ou encore des canons obsolètes de 100 mm accrochés sur des camions, ce qui témoignait davantage de l'improvisation que d'une industrie florissante à même de contribuer à l'effort de guerre", ajoute le spécialiste.
Au fur et à mesure des pertes, Moscou a dû piocher de plus en plus loin dans ses stocks de l'ère soviétique. Au mois de mai 2023, un peu plus d'un an après le début de la guerre, les premières preuves de l'utilisation sur le champ de bataille de chars d'assaut T-55 et T-54 sont apparues. Loin des standards en termes de ciblage ou de blindage, ces vieux tanks de plus de 60 ans, ont démontré un peu plus encore les limites de production de la Russie.
De moins en moins de tanks dans les unités
De février 2022 à juin 2024, 2701 pertes de tanks russes ont pu être confirmées visuellement par WarSpotting, un groupe spécialisé dans la recherche en sources ouvertes (OSINT). Sans surprise, les T-72, largement supérieurs en nombre, ont payé le plus lourd tribut devant les T-80, les T-62 et les T-90. Le faible nombre de pertes de T-54 et de T-55 s'explique par leur moindre utilisation sur le front.
Les capacités de réserves et de production de chars d'assaut russes sont par nature difficiles à estimer, car elles restent classées secret défense. Pourtant, de l'avis de nombreux experts, Moscou semble très loin de parvenir à combler ses pertes.
Dans une analyse publiée dimanche, Covert Cabal décrit une situation très inquiétante pour Moscou. A l'aide d'images satellites, la chaîne Youtube spécialisée dans les questions de Défense montre la chute vertigineuse des chars d'assaut T-80 dans les arsenaux russes. Sur les six bases sur lesquelles sont présents ces modèles, les T-80 visibles sont passés de 1200 unités avant le début de la guerre à 282 en juin 2024 (-76,5%).
En extrapolant le nombre possible de T-80 dissimulés dans des hangars ou envoyés en usine pour réparation ou rénovation (et donc non visibles par satellite, NDLR) et le rythme moyen des pertes en Ukraine, Covert Cabal arrive à la conclusion que d'ici mi-2026, les stocks russes pourraient être presque totalement épuisés.
"Dans les faits, certains tanks T-80 sortis des usines de réparations seront toujours visibles sur le champ de bataille, mais à mesure que le stock diminue, ils seront aussi de moins en moins utilisés. Chaque unité en aura de moins en moins, ce qui voudra dire qu'il y en aura moins à détruire pour l'Ukraine. Associé à la chute très rapide des T-72, il ne restera bientôt à la Russie que le peu de tanks plus anciens qu'elle possède avec le peu de nouveaux T-90 qu'elle est en mesure de produire. Les Russes vont donc être en grande difficulté", conclut le média spécialisé.
Dégradation des véhicules de transport de troupes
Les tanks ne sont pas les seuls véhicules russes à ne pas pouvoir être remplacés efficacement en Ukraine. Les blindés ont également connu des pertes très importantes au cours des combats.
Au début de la guerre, Moscou utilisait principalement des BMP-3 ou des BMD-4. Ces véhicules de combat d'infanterie modernes sont conçus pour transporter des troupes tout en leur fournissant une protection blindée et un appui-feu sur le champ de bataille. Ils sont essentiels pour protéger les soldats de l'artillerie adverse et des drones alors qu'ils approchent du front.
Mais comme pour les tanks, une dégradation significative a pu être observée. Au fil des mois, des modèles plus anciens et moins efficaces comme les BMP-2 et les BMP-3 ont été aperçus de plus en plus fréquemment. En décembre 2023, c'est le MTLB, un véhicule soviétique datant des années 1960, qui a commencé à être utilisé. Comme l'explique Nacho Montes de Oca, le MTBL offre peu de protection pour l'infanterie, car de nombreux modèles ne possèdent pas de toit blindé et transportent des soldats à l'air libre, les exposant aux tirs ennemis et aux éclats d'obus.
Manquant significativement de matériel, les Russes ont ensuite été encore plus loin dans l'inventivité pour rapprocher leurs soldats du front. En décembre 2023, ils ont commencé à utiliser des camions, avec encore moins de protection contre les attaques d'artillerie.
En janvier 2024, ce qu'on a appelé les "voiturettes de golf" ont pu être observées sur le front. En réalité, il s'agissait de petites voitures électriques chinoises quatre places. Ne disposant d'aucune protection et n'étant pas capables d'emprunter des terrains accidentés (et donc moins prévisibles), elles ont coûté la vie à de nombreux soldats russes.
Un mois plus tard et pour tenter de parer aux drones ukrainiens, Moscou a lancé sur le front "les tortues", d'anciens chars T-62 ou MTLB recouverts de plaques de métal et de bois, un blindage rudimentaire fixe qui empêche de bouger la tourelle ou encore d'utiliser le canon. Un véhicule qui perd donc toute capacité offensive et qui a pour seul but de transporter des soldats.
L' improvisation s'est donc révélée de plus en plus criante. En février 2024, les forces russes se sont aussi mises à transporter leurs troupes dans des Bukhanka, de vieux fourgons datant de l'ère soviétique, puis de simples voitures civiles ukrainiennes.
Dernière étape de cette dégradation matérielle, Moscou a commencé en mai 2024 à utiliser des motos pour amener des troupes sur le front ou encore pour assurer la logistique. La vitesse des engins n'a pas suffi à échapper à l'artillerie et aux drones ukrainiens et de nombreuses images sur les réseaux sociaux ont montré que sans aucune protection, les soldats russes devenaient une proie facile.
Des soldats ont fini en juin 2024 à avancer à pied par endroits, sans aucune protection, notamment lors de l'offensive de Tchassiv Yar (est) ou lors de l'assaut raté de Voltchansk (nord-est), avec là aussi, des résultats catastrophiques.
Pour Nacho Montes de Oca, si les blindés du début de l'offensive étaient imparfaits et souvent vieux de plusieurs décennies, ils offraient une protection adéquate aux troupes. Les pertes massives de ces véhicules et l'incapacité de la Russie à en produire à une vitesse suffisante devrait donc continuer à faire augmenter le coût en vies humaines côté russe.
Tristan Hertig
Quid de l'Ukraine?
Au début de la guerre, l'essentiel de l'armée ukrainienne était également dotée de matériel soviétique en termes de tanks et de blindés, et la guerre lui a aussi fait perdre un nombre significatif de ces véhicules.
Mais avec l'aide américaine et européenne, Kiev a connu peu à peu une montée en gamme de ses équipements. Elle est ainsi passée des tanks T-64 et T-72 à des chars Leopard 1 et 2 allemands, à des Abrams américains ou encore à des Challenger britanniques. Des tanks toujours insuffisants en nombre, mais qui possèdent un taux de pertes nettement inférieur aux modèles russes.
Des modèles de chars qui sont moins souvent détruits que leurs homologues russes et qui, lorsqu'ils sont touchés, peuvent plus souvent être récupérés et réparés. "A mesure que l'Ukraine assimile davantage de modèles occidentaux de chars, son taux de perte définitive diminue. Une réalité qui s'applique aussi à d'autres types de véhicules blindés. En d'autres termes, l'Ukraine va du moins au plus alors que la Russie va du plus au moins. C'est ce que disent les chiffres", conclut Nacho Montes de Oca.