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Suzi LeVine: "Nous avons besoin que tout le monde s'engage pour sauver notre démocratie"

Suzan LeVine. [Michael Nakamura]
Ce que Kamala Harris change à la stratégie démocrate: interview Suzi LeVine / Tout un monde / 15 min. / hier à 08:13
La campagne présidentielle a pris un nouvel élan aux Etats-Unis. Ex-ambassadrice de Barack Obama en Suisse, Suzi LeVine mise sur cet enthousiasme pour remporter une élection qui s'annonce serrée. Avec, en toile de fond, une bataille d'image entre deux incarnations de l'Amérique que presque tout oppose.

Après le retrait de Joe Biden, les démocrates sont désormais focalisés sur la candidature de Kamala Harris, quasiment assurée d'être officiellement investie dans les prochaines semaines. Le financement de la campagne étant déjà acquis, son parti entend surfer sur ce nouvel élan pour conserver les clés de la Maison Blanche.

Membre du comité national de financement de la campagne, Suzan Gail LeVine connaît bien les dynamiques électorales de son parti. En 2008 et 2012, elle avait déjà participé aux campagnes de financement pour Barack Obama, ce qui lui avait valu d'être nommée ambassadrice en Suisse (2014-2017). Selon elle, l'un des principaux enjeux consiste désormais à convaincre les gens de voter.

L'important facteur participation

En effet, chaque voix risque de compter, en particulier dans les fameux Swing states: "Regardez les marges lors des deux dernières élections: Hillary Clinton et Joe Biden ont tous deux remporté le vote populaire national, mais Hillary Clinton n'a finalement perdu que pour 70’000 voix tandis que Joe Biden n'a gagné qu'avec 44'000 voix d'avance."

Elle cite en particulier l'exemple "très concret" des quelque 2,8 millions d'électeurs américains de l'étranger. "Sous Obama, 8% ont voté. Sous Joe Biden, c'était seulement 2%. C’est un chiffre significatif qui pourrait faire la différence dans l'un ou l'autre des Etats-clés où se joue l'élection", observe-t-elle.

Si nous restons les bras croisés, nous finirons par avoir une dictature et une autocratie. Je n'exagère pas!

Suzi LeVine, ancienne ambassadrice américaine en Suisse

Suzi LeVine se veut toutefois optimiste: "Je n'ai jamais vu un tel niveau d'enthousiasme, surtout aussi rapidement", dit-elle. "Les gens ont pris conscience des enjeux après la Convention républicaine. Ils ont compris l'horreur si Trump et Vance gagnent et mènent à bien leur 'projet 2025', que je considère comme un manifeste pour la destruction de notre pays."

Citant deux récentes décisions de la Cour suprême qui ont affaibli certains contre-pouvoirs [voir encadré], elle estime que "la combinaison de ces moments politiques a vraiment fait prendre conscience aux électeurs de ce qui pourrait arriver si nous restons les bras croisés: nous finirons par avoir une dictature et une autocratie. Je n'exagère pas!"

J.D. Vance, élu de l'Ohio, a été désigné vice-président par Donald Trump lundi en cas de victoire à la présidence des Etats-Unis. [REUTERS - Brian Snyder]
J.D. Vance, élu de l'Ohio, a été désigné vice-président par Donald Trump lundi en cas de victoire à la présidence des Etats-Unis. [REUTERS - Brian Snyder]

Palestine, climat et armes à feu

Dans ce contexte, la militante démocrate mise en particulier sur le vote d'un jeune électorat sensible à des enjeux spécifiques. "Tous ces nouveaux électeurs que j'ai entendus sont très enthousiastes à propos de Kamala Harris, en raison de son énergie et de sa jeunesse. Ils apprécient aussi sa position sur le Proche-Orient. Je pense qu'elle a trouvé un très bon équilibre entre le souci du bien-être à long terme d'Israël et celui des Palestiniens dans la bande de Gaza. Elle et les démocrates sont aussi très attachés au climat et à la prévention de la violence des armes", énumère-t-elle.

Selon elle, le mandat de Joe Biden était "historique" en termes de nombre de mesures adoptées, mais d'autres combats restent à mener: "Nous devons nous assurer d'inscrire dans la loi le droit à l'avortement, les droits des électeurs, le congé-maladie payé… Je sais que ça peut intriguer le public suisse parce que toutes ces choses sont déjà acquises dans votre pays. Mais aux Etats-Unis, nous avons du retard à combler", déplore-t-elle.

Fragilisée par le dossier migratoire?

La thématique de la migration est perçue comme l'un des points faibles de Kamala Harris, en raison de son investissement dans un projet visant à endiguer les "causes profondes" de l'immigration et qui n'a pas porté ses fruits [voir encadré].

Mais pour Suzi LeVine, la démocrate peut surmonter ces attaques en pointant la responsabilité de ses adversaires dans l'échec d'une loi migratoire très dure en début d'année. "Elle avait tout le soutien nécessaire, et puis Donald Trump l'a bloquée. Il a réussi à convaincre ses larbins au Congrès de ne pas la soutenir."

>> Lire à ce sujet : Joe Biden donne un coup de barre à droite sur l'immigration

Elle souligne aussi le ton plus humaniste de la vice-présidente. "Ce que j'ai apprécié jusqu'à maintenant dans les remarques de Kamala, en particulier lors de son premier meeting à Milwaukee, c'est qu’elle a parlé d'un gouvernement et d'une campagne centrés sur l'humain. J'aime cette idée de placer les gens en premier."

>> Écouter sur ce sujet cet épisode du Point J :

Trump ou Biden... ça change quoi pour le Mexique ?
Election USA, ça change quoi pour l’immigration vers les USA ? EP 5/5 / Le Point J / 5 min. / le 19 juillet 2024

Une guerre d'image et de personnalité

Ainsi, pour Suzi LeVine, Kamala Harris représente un "regard vers l'avenir" tandis que Donald Trump "représente le regard vers le passé". "Le style et la substance vont donc s'entremêler ces prochains jours", anticipe-t-elle.

>> Lire aussi : Qui est vraiment Kamala Harris, l'espoir des "anti-Trump"?

"Les gens vont voir en Kamala Harris quelqu'un qui a 20 ans de moins, qui représente de nombreux groupes démographiques de notre pays, qui apporte de la joie et de la passion par opposition à la vengeance, à la vindicte, à la haine et à l'image d'une nation qui se désagrège. Donald Trump veut semer les graines de la peur et du doute; elle veut semer des graines d'espoir et d'opportunité."

"Il faut donner à ces gens une bonne raison de voter" en leur présentant "ce choix entre deux visions de l'Amérique", poursuit l'ancienne ambassadrice américaine à Berne. D'autant qu'en tant que figure encore émergente, les démocrates ont "une occasion de la définir et de la présenter au peuple".

Les jours qui mèneront à l'élection seront difficiles et épuisants

Suzi LeVine, ancienne ambassadrice américaine en Suisse

Pour Suzi LeVine, l'élan positif autour de Kamala Harris constitue le "pire cauchemar" de Donald Trump. "Mais nous ne devons absolument rien tenir pour acquis", prévient-elle. "Nous avons pris les républicains au dépourvu. Ils n'ont pas de réponse unifiée ni de message cohérent, mais ça ne va pas durer. Les jours qui mèneront à l’élection seront difficiles et épuisants."

Une certitude toutefois: l'élection sera serrée. "J'ai assisté au concert de Taylor Swift à Zurich il y a quelques semaines, et j'étais au milieu d'environ 50'000 personnes. Cette élection sera probablement décidée par moins de monde", glisse-t-elle. "Nous avons besoin que tout le monde s'engage, vote et fasse tout ce qui est en son pouvoir pour sauver notre démocratie."

>> Voir également :

Premier meeting de campagne pour Kamala Harris depuis l’annonce de sa candidature à la Maison Blanche
Premier meeting de campagne pour Kamala Harris depuis l’annonce de sa candidature à la Maison Blanche / 12h45 / 25 sec. / mercredi à 12:45

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Texte web: Pierrik Jordan

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Deux décisions de la Cour suprême inquiétantes pour la démocratie

La Cour suprême des Etats-Unis, à majorité ultra-conservatrice, a annulé fin juin la "doctrine Chevron" de 1984, une jurisprudence administrative parmi les plus citées par les tribunaux américains depuis 40 ans. Dans le cas où une loi était ambigüe et pouvait donner lieu à plusieurs interprétations, cette doctrine protégeait l'expertise des agences fédérales dans l'application de la loi.

Si la loi votée par le Congrès n'est pas claire, le tribunal ne doit pas imposer sa propre interprétation de la loi mais doit s'en remettre à l'interprétation qu'en fait l'agence, pourvu que celle-ci soit jugée raisonnable, stipulait le texte. L'abandon de ce principe risque de chambouler le droit administratif américain.

Quelques jours plus tard, la majorité conservatrice de la Cour a étendu l'immunité pénale présidentielle en faveur de Donald Trump dans l’affaire de l’assaut du Capitole, estimant qu'il avait "droit au moins à une présomption d'immunité pour ses actes officiels". Une décision qualifiée de dangereuse par certains juristes ainsi que par Joe Biden.

Quel a été le rôle de Kamala Harris sur l'immigration?

Contrairement à ce qui est parfois affirmé à son encontre, Kamala Harris n'a jamais été en charge des frontières durant le mandat de Joe Biden. En réalité, elle a été chargée d'une mission qui visait à s'attaquer aux "causes profondes" de l'immigration qui se heurte toujours plus violemment à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique.

Elle a ainsi mené une campagne diplomatique au Guatemala, au Honduras et au Salvador, une région parfois connue sous le nom de "Triangle du Nord de l'Amérique centrale" qui a été l'une des principales sources de migration vers les États-Unis au cours de la dernière décennie.

Son activité a été principalement de promouvoir la démocratie et le développement, et de convaincre des entreprises d'investir en Amérique centrale. En mars, la Maison Blanche a annoncé un engagement du secteur privé à investir plus de cinq milliards de dollars pour créer des opportunités économiques et réduire la violence dans la région.

"Changement systémique"

Les efforts visant à réduire les flux migratoires en améliorant les conditions de vie des migrants dans leur pays d'origine ont toujours été considérés comme une stratégie à long terme, l'administration Biden reconnaissant elle-même que le "changement systémique" qu'elle projette pour l'Amérique centrale "prendra du temps à se réaliser".

Toutefois, les flux migratoires ont changé ces dernières années. Alors que la plupart des migrants non mexicains à la frontière sud des États-Unis provenaient du "Triangle du Nord" avant la pandémie de Covid-19, leur proportion a chuté au profit d'autres pays d'origine, notamment en Amérique du Sud. Enfin, la position de Kamala Harris sur l'immigration a également suscité des critiques à gauche: lors d'une visite au Guatemala en juin 2021, elle avait lancé à celles et ceux qui avaient l'intention d'émigrer: "Ne venez pas!"