Tchassiv Yar, la chute annoncée d'un des derniers bastions ukrainiens de la région de Donetsk?
Perchée au sommet d'une colline haute de 200 mètres, Tchassiv Yar, petite ville de 12'000 habitants avant le début de l'invasion, retient son souffle. Selon les sources officielles ukrainiennes, entre 20'000 et 25'000 soldats russes ont été déployés dans la région au cours des dernières semaines.
Parmi les troupes russes présentes dans le secteur figurent notamment des unités de la 98e division aéroportée de la Garde, un corps d'élite de l'armée russe. Une concentration quantitative et qualitative qui fait dire à Frontelligence Insight, une organisation spécialisée sur le conflit ukrainien et la recherche en sources ouvertes, que Tchassiv Yar est devenue "une priorité du commandement russe."
Il aura fallu près d'un an aux forces du Kremlin pour progresser de quelques kilomètres seulement depuis la ville voisine de Bakhmout, conquise en mai 2023 après des mois de combats extrêmement meurtriers. Mais les avancées récentes sur le terrain ont été beaucoup plus rapides.
Un verrou défensif
Les troupes de Moscou se rapprochent désormais de la localité à la fois par le sud-est et le nord-est. L'armée de l'air russe semble également concentrer ses efforts sur la petite ville, avec des dizaines de frappes aériennes par jour, selon des responsables ukrainiens. Interviewés par le média The Kyiv Independent, plusieurs soldats postés à Tchassiv Yar évoquent aussi un ciel saturé de drones russes.
Grâce à sa position en hauteur, mais aussi à l'existence d'un large canal à sa frontière est, Tchassiv Yar est considérée comme un bastion idéal pour assurer une défense. La petite ville est ainsi perçue comme l'un des derniers verrous ukrainiens de l'Oblast de Donetsk.
"Tchassiv Yar est le centre de gravité de la ligne défensive dans la région", décrypte dans le Financial Times Viktor Kevliuk, analyste militaire au Centre pour les stratégies de défense, un groupe de réflexion sur la sécurité basé à Kiev.
Une prise de Tchassiv Yar ou son contournement permettrait aux Russes de perturber les canaux logistiques qui traversent la ville. Dans un deuxième temps, une conquête de ce bastion ouvrirait à l'armée du Kremlin les portes de Kramatorsk, grande ville industrielle située à une vingtaine de kilomètres plus au nord. Puis, hypothétiquement, celles de Sloviansk.
La chute de la ville est probable
D'après des officiels ukrainiens, l'ordre aurait été donné d'apporter une victoire au Kremlin le 9 mai prochain, pour les célébrations du Jour de la Victoire de la Deuxième Guerre mondiale ou alors une semaine plus tard, pour la visite de Vladimir Poutine à Pékin.
Si la date reste bien entendu difficile à anticiper, les militaires ukrainiens semblent voir la perte de Tchassiv Yar comme inéluctable. Interrogé par The Economist, Vadym Skibitsky, le numéro deux des services secrets ukrainiens, explique que ce n'est qu'une question de temps avant que la cité ne tombe aux mains des Russes, après avoir été bombardée jusqu'à la destruction quasi-totale. "Pas aujourd'hui, ni demain bien sûr, mais cela dépendra de nos réserves et de nos approvisionnements", explique-t-il.
Interrogé plus tôt par l'hebdomadaire britannique, Pavel Fedosenko, le général de la 92e brigade, en charge de défendre la ville, partageait le même constat sur l'inéluctable perte de Tchassiv Yar.
Avec un rapport de feu trop défavorable et des rotations d'effectifs difficiles voire impossibles, les forces ukrainiennes ne devraient en effet pas tenir longtemps dans la ville de l'est ukrainien. "Notre problème est très simple: nous n’avons pas d’armes. Les Russes ont toujours su qu’avril et mai seraient une période difficile pour nous", résume Vadym Skibitsky.
Un nouveau gain tactique pour Moscou qui ne devrait toutefois pas chambouler le cours de la guerre, la plupart des spécialistes estimant les forces russes actuellement insuffisantes pour s'attaquer à nouveau à de grandes villes du pays.
Tristan Hertig