Modifié

Témoignages des enfants de Gisèle Pelicot au procès des viols de Mazan

Les fils de Gisèle Pelicot, David (à gauche) et Florian, sortent de la salle du tribunal où Dominique Pelicot est jugé avec 50 coaccusés. Avignon, le 18 novembre 2024. [AFP - Christophe Simon]
Témoignages des enfants de Gisèle Pelicot au procès des viols de Mazan / Le Journal horaire / 19 sec. / le 18 novembre 2024
"Une famille anéantie": Florian, David et Caroline, les trois enfants du couple Pelicot, sont revenus une dernière fois lundi sur la déflagration qu'a constituée pour eux et leurs enfants cette décennie de viols orchestrés par leur père, sur leur mère, par des hommes qu'il recrutait sur internet.

"Pour moi, [ce procès des viols de Mazan, ndlr.] c'est le procès de toute une famille, qui a été totalement anéantie", a affirmé, le ton ferme, l'aîné de la fratrie, David, 50 ans, devant la cour criminelle du Vaucluse, lundi après-midi: "Et il est très compliqué d'expliquer à ses enfants qu'ils ne reverront plus leur grand-père".

Mais "ma famille a envie et continuera de se battre et espère surtout qu'à l'avenir, nous puissions effacer, faire disparaître dans nos têtes l'homme qui est à ma gauche", a-t-il poursuivi, en parlant de son père, Dominique Pelicot, assis dans le box des accusés: "Aujourd'hui, nous n'avons plus aucune photo des albums de famille". Tout le long de son témoignage, il l'a décrit comme "ce monsieur".

"Ce que j'attends de ce procès, c'est que les décisions que vous serez amenées à prendre seront à la hauteur de nos souffrances. Que ces hommes qui sont derrière mon dos [les coaccusés], cet homme qui est dans ce box, soient punis pour les horreurs et les atrocités qu'ils ont commises sur ma mère", a insisté le quinquagénaire, avant de s'adresser directement à son père, droit dans les yeux: "Si tu as encore un peu d'humanité, tu entends? [Je voudrais que] tu dises la vérité sur les agissements que tu as eus sur ma sœur, qui souffre tous les jours et qui souffrira toute sa vie, car je pense que tu ne diras jamais la vérité!"

"Le diable en personne"

"Et sur mon fils aussi", a-t-il ajouté, faisant référence aux échanges entre Dominique Pelicot et un de ses petits-enfants, à qui il aurait demandé de "jouer au docteur". "Rien sur aucun !", lui a crié son père depuis son box. "Détends-toi, c'est moi qui parle, tu parleras plus tard!", lui a rétorqué David, avant d'ajouter, s'adressant à la cour: "Ça fait deux mois qu'il se donne une prestance... c'est insupportable!"

Auparavant, David Pelicot avait décrit "le tsunami" traversé par la famille quand, à l'automne 2020, elle avait appris les agissements de leur père. Et comment, en l'espace de deux jours, les enfants avaient déménagé toutes les affaires "de cette maison de l'horreur" où se sont produits les faits, à Mazan, dans le Vaucluse.

"On est tous tombés du 38ᵉ étage. Encore aujourd'hui on se pose des questions", a ensuite confirmé Florian Pelicot, 38 ans, le cadet de la fratrie: "J'ai beaucoup de gratitude pour avoir encore ma maman en vie. Mais encore beaucoup d'incompréhension sur pourquoi il a fait ça". Et d'asséner calmement à son père: "Tu as toujours dit que notre mère était une sainte, mais toi, tu étais le diable en personne".

Caroline Darian, convaincue d'avoir été droguée et violée par son père

Caroline Darian, 43 ans, la fille du couple Pelicot, a considéré être "la grande oubliée" du procès des viols de Mazan, se disant convaincue d'avoir elle aussi été droguée et violée par son père Dominique, comme sa mère Gisèle: "La seule différence entre elle et moi, c'est le manque de preuves me concernant. Pour moi, c'est un drame absolu", a-t-elle expliqué devant la cour criminelle du Vaucluse.

Entendue dès la première semaine du procès, débuté le 2 septembre, Caroline Darian [son nom de plume – inspiré du prénom de ses deux frères – sous lequel elle a publié un livre en avril, "Et j'ai cessé de t'appeler papa", ndlr.], 45 ans, a répété qu'elle "essayait de se reconstruire" car sa vie était "suspendue depuis quatre ans".

A l'automne 2020, les trois enfants du couple apprennent cette décennie de viols orchestrés par leur père, sur leur mère, qu'il droguait aux anxiolytiques pour l'offrir à des dizaines d'hommes recrutés sur internet. Mais, sur les fichiers stockés dans l'ordinateur de Dominique Pelicot, les enquêteurs ont aussi découvert des images de Caroline nue, prises à son insu.

Sur certaines, elle semble endormie, portant parfois des dessous féminins de sa mère. Depuis, elle est "convaincue" qu'elle aussi a été droguée par celui qu'elle appelle son "géniteur", avec le doute lancinant d'avoir aussi été violée dans son sommeil. Des faits que Dominique Pelicot a persisté à nier lundi.

Après avoir assisté aux premières semaines d'audience, en septembre, Caroline était rentrée en région parisienne, où elle travaille et habite: "J'ai demandé à rentrer en clinique, pour espérer retrouver la paix intérieure, car je sais que je n'aurai jamais mes réponses. (...) Tu n'auras jamais l'amour suffisant à l'égard de ta fille", a-t-elle lancé lundi à son père.

Ce procès, c'est aussi le procès historique de la soumission chimique en France.

Caroline Darian, fille du couple Pelicot

"Dans tes dossiers dégueulasses, (...) tu ne me regardes pas comme un père regarde sa fille, mais de manière incestueuse. Mais tu n'auras jamais le courage de dire la vérité", a-t-elle insisté. "Si j'arrive à m'en sortir, c'est parce que je m'engage à travers mon association [M'endors pas]" d'aide aux victimes de soumission chimique, "parce que les Gisèle Pelicot, c'est 1% des victimes", selon elle.

>> Lire : La soumission chimique se passe en majorité avec des proches

"Pour moi ce procès, (...) c'est aussi le procès historique de la soumission chimique en France. Moi, j'œuvre en coulisses, j'interpelle les pouvoirs publics. Mais à quel prix? Celui de ma santé mentale, au prix de ma survie et de ma réparation personnelle", a-t-elle estimé.

"Je ne lâcherai pas, je suis engagée jusqu'au bout: tant qu'on n'aura pas réussi à obtenir des mesures [sur cette question des soumissions chimiques] en France, je continuerai à me mobiliser sur le terrain", a conclu Caroline Darian.

sjaq et l'afp

Publié Modifié

Un procès qui aborde une nouvelle phase

Après les auditions des enfant Pelicot, lundi en fin d'après-midi voire mardi, la cour d'Avignon devrait examiner les dossiers des deux derniers accusés. Puis le président Arata devrait donner une dernière fois la parole à Dominique et Gisèle Pelicot.

À partir de mercredi sans doute, ce seront alors les plaidoiries des avocats des parties civiles, puis des deux représentants du ministère public, pour un réquisitoire initialement prévu sur deux jours. La parole sera enfin donnée aux conseils des 51 accusés, pendant trois semaines, avec pour dernière intervention celle de Mᵉ Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicot.

Restera alors une semaine aux cinq magistrates et magistrats professionnels de la cour pour délibérer, avec un verdict attendu le 20 décembre au plus tard.

La plupart des accusés nient le viol

Pendant les dix premières semaines du procès, Gisèle Pelicot, 71 ans, a assisté presque quotidiennement au défilé des accusés: son ex-mari, Dominique Pelicot, et 49 autres hommes, âgés de 26 à 74 ans.

Un dernier accusé, Hassan O., 30 ans, est toujours en fuite et sera jugé in absentia.

Dominique Pelicot, 71 ans, décrit comme "le chef d'orchestre" de ce dossier, est accusé d'avoir drogué sa femme pendant dix ans, pour la violer et la faire violer par des dizaines d'hommes qu'il recrutait sur internet. Des faits qu'il reconnaît.

Parmi les coaccusés, 14 ont reconnu les faits de viols aggravés dont ils sont accusés et pour lesquels ils encourent jusqu'à 20 ans de réclusion criminelle.

Les 35 autres nient avoir violé Gisèle Pelicot et maintiennent avoir cru participer au scénario d'un couple libertin, dans lequel l'épouse faisait semblant de dormir.

"On fatigue. On fatigue beaucoup du côté de Gisèle Pelicot d'entendre à peu près systématiquement les mêmes explications des accusés sur le terrain juridique de l'intention, (...) entendre qu'elle a été victime de viol 'par accident', de viol 'par erreur de jugement', de viol 'à contre-cœur'", s'est insurgé Mᵉ Antoine Camus, l'un des deux avocats des parties civiles, Gisèle Pelicot, ses trois enfants et ses petits-enfants.