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TikTok, Instagram: les politiciens sont-ils les nouveaux influenceurs?

TikTok, Instagram: les politiques sont-ils les nouveaux influenceurs?
En France, les candidats aux élections européennes n'hésitent pas à emprunter les codes de certains influenceurs pour se démarquer.
Clips humoristiques, rencontres avec des "abonnés" ou clashs en vidéo: sur TikTok ou Instagram, les candidats et candidates aux élections européennes empruntent les codes des influenceurs pour se démarquer. En Suisse, quelques politiciens s'y mettent aussi. Mais à quelle fin et pour quels résultats?

Les traditionnelles interviews télévisées et campagnes d'affichage ne semblent plus suffire aux candidats pour faire grimper leur électorat. En France, la campagne des élections européennes du 9 juin se joue également sur TikTok. Leur présence soutenue sur l'application leur permet de toucher un public plus jeune, souvent perçu comme désintéressé par la politique, mais aussi susciter un fort engagement.

Et si certains tiennent à conserver une image institutionnelle sur leur compte personnel, d'autres choisissent d'adapter leur discours à leur audience. Cette stratégie de communication, souvent qualifiée de "politique 2.0", repose sur des codes bien spécifiques: des messages visuels forts, concis, mais aussi parfois très clivants.

L'exemple de Jordan Bardella

Suivi par plus d'un million de personnes, Jordan Bardella a bien compris les codes de TikTok et l'art du storytelling. Il re-partage régulièrement des vidéos de ses punchlines sur les plateaux télévisés, les coulisses de ses meetings ou encore les rencontres avec son électorat.

On y voit également le président du Rassemblement national (RN) en train de plaisanter en mangeant une barre protéinée ou se servir d'un hot-dog, quelques minutes avant d'entrer sur scène. En arrière-fond, on peut entendre distinctement les acclamations de ses partisans.

En partageant ces moments, ils tentent de donner aux citoyens l'impression d'un accès privilégié, presque intime, au processus politique

Jean Dutertre, consultant en communication politique

Pour Jean Dutertre, consultant en communication politique sur les réseaux sociaux, cette mise en scène de soi vise à créer un lien plus direct et plus personnel avec les électeurs. "On est très loin de la transparence politique, mais plus dans une sorte de populisme des réseaux sociaux. En partageant ces moments, ces politiciens tentent de donner aux citoyens l'impression d'un accès privilégié, presque intime, au processus politique", analyse-t-il.

En plus des vidéos de ses apparitions télévisées, toujours soigneusement montées, des vidéos humoristiques attirent également l'attention. Sur l’une d’entre elle, on y voit par exemple Jordan Bardella en train de boire une bière avec la phrase suivante surlignée: "POV (ndlr: acronyme de "point of view") tu bois les larmes des Macronistes". D'autres vidéos du même registre sont régulièrement publiées.

L'extrême gauche pas non plus en reste

A l'instar de certains influenceurs qui s’écharpent par vidéos interposées, il en est désormais de même pour certains élus. Dans une vidéo publiée sur son compte TikTok, le député de la France insoumise (LFI) Louis Boyard accuse ainsi son adversaire Raphaël Glucksmann d’escroquerie.

L'Insoumis n’hésite également pas à interpeller le Premier ministre Gabriel Attal pour que celui-ci paie les lycéens de la voie professionnelle, comme il s’y était engagé. Dans une autre vidéo, telle une star des réseaux sociaux, Louis Boyard prend le temps de remercier ses abonnés d’êtres toujours aussi nombreux à le suivre.

Le jeune député s'approprie également le concept des défis avec la création du hashtag #blocuschallenge. Ainsi, dans une vidéo TikTok tournée dans le cadre de la réforme des retraites, l'élu invite les lycéens et étudiants à bloquer leurs établissements et à partager sur les réseaux sociaux leurs photos avec le hashtag #blocuschallenge.

La musique, véritable "outil d'engagement"

Les députés accompagnent souvent les extraits de leurs discours d'une musique épique. "C'est un outil d'engagement puissant. La musique vise à susciter des émotions, à captiver l'attention de l'auditoire, à lui donner l'impression de participer à quelque chose de grand, de noble, presque d'héroïque", analyse Jean Dutertre.

De son côté, la députée LFI Leïla Chaibi a décidé d'utiliser la plateforme pour offrir un aperçu des coulisses de son travail. Ainsi, plutôt que de diffuser des messages politiques, elle présente face caméra les diverses facettes de son quotidien en tant qu'eurodéputée, le tout dans un style très décalé.

Une surexposition risquée?

Contrairement aux médias traditionnels, cette stratégie de communication a l'avantage d'offrir aux politiciennes et politiciens une maîtrise totale de leur image. Les temps morts et les hésitations sont supprimées, rendant le discours fluide et cohérent. En parallèle, l'aspect spontané de certaines vidéos qui semblent avoir été prises "sur le vif" crée un sentiment de proximité avec le public.

Cette exploitation à outrance des réseaux sociaux n'est pas sans risque. Elle peut nuire à leur image et à la transparence politique

Jean Dutertre, consultant en communication politique

Malgré tout, pour Jean Dutertre, si elle peut s'avérer bénéfique dans certains cas, une exploitation à outrance des réseaux sociaux n'est pas sans risque. "Elle peut nuire à leur image et à la transparence politique. Cela peut créer des attentes irréalistes et superficielles envers les politiciens, qui sont alors jugés sur leur capacité à se présenter de manière attrayante plutôt que sur la qualité de leurs idées ou leur compétence pour gouverner."

Qu'en est-il de la Suisse?

En Suisse romande, les politiciennes et politiciens qui investissent les réseaux sociaux avec des formats courts et non institutionnels sont nettement moins nombreux. Benoît Gaillard, ex-conseiller communal lausannois et membre du Parti socialiste, fait partie des rares personnalités politiques romandes à poster régulièrement du contenu vidéo sur TikTok et Instagram. Certaines de ses vidéos dépassent parfois les 100'000 vues.

Le Lausannois privilégie les vidéos explicatives qui décryptent des sujets concernants et serviciels comme la hausse des primes maladie, la pénurie de logements ou encore l'impact d'une 13ème rente AVS. Des vidéos tournées principalement devant sa bibliothèque, mais aussi directement dans la rue.

Interrogé par RTSinfo sur son implication sur ces plateformes, Benoît Gaillard souligne l'importance du feedback immédiat qu'elles lui apportent. "La réaction des internautes à mes vidéos, mais aussi les audiences me permettent de développer rapidement un instinct sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas."

Quand on fait de la politique, il faut prendre les gens là où ils sont, avec l'attention qu'ils ont et le langage qui leur parlera

Benoît Gaillard, ancien conseiller municipal lausannois (PS)

En plus de lui permettre d'atteindre une jeune audience, Benoît Gaillard voit en cette présence en ligne un autre intérêt: la construction d'un nouveau langage politique. "Quand on fait de la politique, il faut prendre les gens là où ils sont, avec l'attention qu'ils ont et le langage qui leur parlera."

Un outil indispensable, vraiment?

Pour Alexis Delmege, directeur général de Voxia, agence de communication et relations publiques, les réseaux sociaux, malgré leur omniprésence, ne sont pas nécessairement indispensables pour percer en politique.

"Tout dépend de l'audience et du public cible", explique-t-il à RTSinfo. "TikTok est un réseau à privilégier par les candidats et/ou partis qui font de bons scores chez les jeunes de 18-25 ans ou qui souhaitent communiquer autour d’un sujet qui les concerne directement et les mobilise".

 Les réseaux sociaux ne sont pas nécessairement indispensables pour percer en politique. Tout dépend de l'audience et du public cible

Alexis Delmege, directeur général de Voxia

En France, Raphaël Glucksmann (Parti socialiste) et Valérie Hayer (Renaissance) font partie des rares candidats aux élections européennes à ne volontairement pas avoir de compte TikTok. Invité en avril dernier sur le plateau de France2, Raphaël Glucksmann avait déclaré avoir quitté TikTok par refus d'y "faire le mariole" tout en y dénonçant les ingérences étrangères. De son côté, Valérie Hayer avait pointé les "risques d’espionnage" et "d’ingérence" du réseau social chinois.

Hélène Krähenbühl

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TikTok, une application dans le collimateur de l'UE

En février dernier, la Commission européenne a annoncé qu'elle interdisait l'usage de TikTok sur les appareils professionnels de son personnel, afin de "protéger les données" de l'institution. Les critiques craignent que les informations collectées par l'application chinoise puissent être accessibles au gouvernement chinois en vertu des lois locales sur la sécurité.

Déjà, en 2022, le Parlement européen avait adopté un rapport estimant "qu’il est démontré que des acteurs étrangers (…), parmi lesquels la Russie et la Chine, utilisent la manipulation de l’information et d’autres tactiques relevant de l’ingérence pour s’immiscer dans les processus démocratiques de l’Union" européenne.

TikTok avait d'ailleurs reconnu en novembre 2023 que certains employés en Chine pouvaient accéder aux données d'utilisateurs européens. Elle avait également admis que des employés avaient utilisé ces données pour traquer des journalistes afin d'identifier l'origine de fuites dans les médias.

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