"Toutes mes émotions ont été atrophiées", raconte un ex-prisonnier de guerre ukrainien torturé
Les cellules sont accessibles depuis un long couloir d’un centre de détention de la région ukrainienne de Soumy. Dans chaque pièce vivent entre une demi-douzaine et une douzaine de prisonniers de guerre russes, selon la taille de la cellule. La visite se fait en présence d’un responsable de la prison qui montre volontiers les lieux, ainsi que les repas préparés pour le dîner. Ce jour-là, un bortsch ukrainien figure au menu. Les détenus ne s’en plaignent pas.
"Les conditions de détention sont normales. Le repas est servi trois fois par jour, le grand bain a lieu une fois par semaine", raconte à la RTS Artiom*, prisonnier de guerre. "Le seul désavantage pour nous, c’est le manque de cigarettes et de thé."
Quand on sert dans l’armée, on ne demande pas son avis au militaire. Le militaire suit les ordres
Artiom raconte avoir rejoint l’armée russe afin de sortir de la prison civile dans laquelle il était détenu. Mais sur la ligne de front, il dit s’être perdu. Capturé par l’Ukraine, il espère être libéré au plus vite. "J’aimerais être échangé, mais mon objectif final est de ne plus combattre. Il n’est pas clair qui se bat pour quoi dans cette guerre", affirme-t-il.
Plusieurs prisonniers russes acceptent de prendre la parole devant la caméra. Mais Artiom est le seul à dire clairement qu’il ne veut plus aller au front. Les autres ont été mobilisés. Après leur libération, ils continueront d’obéir, disent-ils. "Quand on sert dans l’armée, que ce soit dans la nôtre, dans l’armée ukrainienne ou une autre, on ne demande pas son avis au militaire. Le militaire suit les ordres", martèle Alexeï*.
Monnaie d'échange
Dans ce centre, 25 prisonniers russes sont détenus, des hommes qui se battaient dans la région russe de Koursk, théâtre d’une offensive ukrainienne depuis cet été. Ces hommes représentent une monnaie d’échange pour Kiev, dans l’objectif de récupérer des prisonniers de guerre ukrainiens détenus en Russie. Un échange entre deux réalités.
Selon un rapport de l’ONU, si des prisonniers de guerre russes ont été soumis à de mauvais traitements et de la torture en Ukraine avant leur arrivée dans des centres de détention officiels, les autorités russes ont de leur côté fait subir des actes de torture aux prisonniers ukrainiens de manière généralisée et systématique.
Torture et travail de sape
Aiguilles sous les ongles, coups de marteau et électrochocs: c’est ce que Vladislav Zadorin raconte de ses mois de détention dans les prisons russes. L’Ukrainien défendait l’île ukrainienne des Serpents, dans la mer Noire, quand il a été capturé au premier jour de l’invasion russe. Il subit alors interrogatoires, propagande russe et travail de sape sur son moral. "Ils nous mettaient des émissions de radio qui racontaient que l’Ukraine n’existait pas, qu’Odessa et Kiev avaient été conquises", explique l’ancien prisonnier de guerre ukrainien. "Et nous y croyions jusqu’au moment où de nouveaux prisonniers étaient capturés et nous racontaient la vérité."
Quand mes parents m'ont revu douze jours après ma libération, je n’ai rien ressenti, ni joie ni tristesse
Vladislav est libéré après 679 jours de captivité. Son retour en Ukraine fut difficile. "Durant ces deux ans de détention, toutes mes émotions ont été atrophiées. Quand mes parents m'ont revu douze jours après ma libération, je n’ai rien ressenti, ni joie ni tristesse. C’est seulement après avoir passé un peu de temps en société que j'ai ressenti des émotions de nouveau."
Le retour à la société se fait progressivement, après réhabilitation dans des lieux spécialisés. Certains de ces anciens prisonniers de guerre ukrainiens réussissent même à prendre la parole publiquement. Ils voyagent parfois à l’étranger pour raconter leur histoire, sous l’égide de l’organisation Break the Fake. "Nous ne voulons pas voir de telles choses se reproduire à l’avenir, pour qui que ce soit", explique Mikhailo Dankanych, responsable du projet. "Cela ne devrait pas exister au 21ème siècle, cela appartient au passé." Une horreur pourtant bien présente.
(*) Prénoms modifiés et visages masqués pour protéger les prisonniers de guerre en accord avec le droit international humanitaire.
Tamara Muncanovic