Trois ans après le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan, l'économie et le droit des femmes en berne
A l'issue d'une campagne éclair, les talibans ont pris Kaboul le 15 août 2021, marquant leur retour à la tête de l'Afghanistan.
En réaction, les Etat occidentaux ont frappé le nouveau gouvernement de sanctions et ont massivement réduit leur soutien au développement de ce pays pauvre d'Asie du Sud désormais sous la tutelle de l'organisation fondamentaliste islamiste.
Des Etats, ONG et organisations internationales ont toutefois maintenu leur aide humanitaire, estimant que malgré les atteintes aux droits humains, en particulier ceux des femmes, commis par les talibans, la population devait être soutenue, car elle fait face à une crise majeure et est durement touchée par la pauvreté.
Environ un quart des quelque 45 millions d'Afghans font face à une "insécurité alimentaire sévère", d'après le Programme alimentaire mondial de l'ONU. Pour ne rien arranger, l'agriculture, secteur clé de l'économie du pays, est menacée par les effets du dérèglement climatique.
Selon les derniers chiffres de la Banque mondiale, le PIB du pays a chuté de 2020 à 2021. De presque 20 milliards de dollars, il est passé à 14,3 milliards. Pour l'institution basée à Washington, "la croissance sera de zéro pour les trois prochaines années et le revenu par tête baissera sous la poussée démographique". Le chômage a de son côté augmenté.
Exclusion des femmes
L'Afghanistan souffre notamment de la fuite des cerveaux, du manque d'infrastructures et d'expertise étrangère, et des entraves à l'accès au système financier international.
Les restrictions au niveau de l'emploi des femmes ne sont pas non plus propices au développement économique. La fermeture des salons de beauté, l'été passé, a notamment privé de nombreuses femmes de leur revenu et d'un dernier espace de socialisation.
L'exclusion des filles de l'école à partir du degré secondaire - et donc de l'université - fait également craindre pour l'avenir du pays. Avec l'interdiction aux femmes de travailler dans des ONG, cette restriction devrait "considérablement exacerber la pauvreté en Afghanistan et aggraver la crise actuelle", écrit l'UNESCO.
La scolarisation globale des enfants a également connu une baisse significative. Le nombre d’élèves inscrits est passé de 6,8 millions en 2019 à une estimation de 5,7 millions. Cette situation est exacerbée par le fait que "l'éducation des garçons en Afghanistan a subi un impact négatif suite à l'interdiction faite aux femmes d'enseigner et au recrutement d'enseignants non qualifiés pour remplacer les enseignantes précédemment en poste", explique Hoda Jaberian, experte en éducation, jeudi dans l'émission Tout Un Monde de la RTS.
Développement du secteur minier
Il n'y a toutefois pas que des ombres au tableau. Après 40 ans de guerres et malgré la menace des attentats à la bombe du groupe Etat islamique, les biens et les personnes circulent désormais de manière plus sécurisée de Kaboul à Hérat (ouest), de Mazar-e-Sharif (nord) à Jalalabad (est). La corruption n'atteint plus les sommets d'avant et l'impôt est mieux collecté.
L'exploitation minière pourrait servir de planche de salut. Le sous-sol afghan est immensément riche en métaux, pierres précieuses, minéraux ou encore énergies fossiles.
Les talibans souhaitent tirer profit de ces ressources, dont l'exploitation a été freinée par le manque d'infrastructures et la corruption endémique.
Selon une enquête menée par le Financial Times et le Centre for information resilience et basée sur les données du ministère des Mines et du Pétrole, le gouvernement taliban a signé plus de 200 accords dans le domaine entre 2021 et cette année. Un nombre deux fois supérieur à celui des trois dernières années de la république.
Autre signe d'une volonté d'être actives dans le secteur, les autorités ont organisé le mois dernier une exposition d’émeraudes dans la province du Panchir, dans l’espoir d’attirer les investisseurs étrangers.
Le projet de Mes Aynak vient par ailleurs d'être relancé par Kaboul et Pékin. Ce lieu comprend un important site archéologique bouddhiste, mais surtout le second gisement de cuivre non exploité au monde.
Un certain dynamisme de l'extraction minière se reflète dans les données disponibles. Selon l'Organisation mondiale du commerce, les exportations du secteur ont bondi de 51 millions de dollars en 2020 à 304 millions en 2022. Cela représente un peu moins de la moitié des exportations la même année de produits agricoles, marchandises numéro 1 de l'Afghanistan. Ces chiffres doivent être pris avec des pincettes, car ils ne correspondent pas à d'autres données. Mais ils peuvent mettre en évidence une certaine tendance à la hausse. Reste cependant la question des retombées d'un éventuel boom du secteur minier pour la population.
Vers la fin de l'isolement?
Pour l'heure, le gouvernement taliban, qu'aucun Etat ne reconnaît formellement, reste isolé sur la scène internationale. Mais les lignes commencent à bouger. De nombreux pays de la région ont noué de facto des relations diplomatiques et commerciales avec Kaboul.
Pékin a, notamment, envoyé un nouvel ambassadeur en septembre dernier. Bilal Karimi, le représentant des talibans en Chine, s'est pour sa part établi cet hiver dans la capitale chinoise. Il est le premier ambassadeur nommé par le régime à être reconnu.
Antoine Michel avec l'afp