Peu avant huit heures, le navire Libra de la marine italienne est arrivé au port de Shengjin, dans le nord de l'Albanie. A son bord, 16 hommes originaires d'Égypte et du Bangladesh, des forces de l'ordre italiennes et des hommes en combinaison blanches. Leur voyage aura duré plus de 36 heures.
Les 16 hommes, tous plutôt jeunes, doivent désormais être enregistrés, photographiés. Leur identité doit être vérifiée, dans ces préfabriqués installés par l'Italie à quelques mètres des bateaux de pêches et des cargos, entourés de hautes grilles et gardés par les forces de l'ordre italiennes. Ils seront ensuite emmenés 20 km plus loin dans le camp de Gjader, qui pourra accueillir jusqu'à 880 personnes en même temps.
Là, installés dans des préfabriqués de 12 m², également entourés de hauts murs, et surveillés par des caméras et des membres des forces de l'ordre italiennes, ils pourront déposer leurs demandes d'asile: dix écrans géants ont été installés dans un tribunal à Rome pour permettre aux juges de superviser les audiences. Les demandeurs communiqueront avec leurs avocats par visioconférence.
Délai de 28 jours
Les demandes d'asile doivent être approuvées ou rejetées dans un délai de 28 jours — les personnes qui attendent encore une décision après ce délai seront envoyées en Italie. Mais ce laps de temps paraît difficile à tenir au regard de la lenteur des procédures administratives italiennes.
Ces millions auraient pu être utilisés pour la santé publique, alors qu'on les jette par la fenêtre pour déporter des migrants en piétinant leurs droits
Un bâtiment de 144 places sera destiné à ceux dont la demande aura été refusée et qui risquent un rapatriement. Une prison construite sur place pourra accueillir jusqu'à 20 personnes.
La construction des deux centres a coûté 65 millions d'euros à l'Italie, le double du budget prévu. A partir de 2025, le coût de l'accord pour l'Italie est estimé à 160 millions d'euros par an.
Accord controversé
Ces millions "auraient pu être utilisés pour la santé publique pour diminuer les listes d'attente, alors qu'on les jette par la fenêtre pour déporter des migrants en piétinant leurs droits", a fustigé mercredi matin dans un entretien au Corriere della Sera Elly Schlein, cheffe du principal parti d'opposition, le Parti démocrate.
Cette externalisation de la demande d'asile, une première en Europe, a été rendue possible par un accord controversé signé en novembre 2023 entre la cheffe du gouvernement italien d'extrême droite, Giorgia Meloni, et le premier ministre socialiste albanais, Edi Rama, au nom des longues relations qui unissent les deux pays.
Il concerne uniquement les hommes adultes interceptés par la marine ou les garde-côtes italiens dans leur zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales.
"Courageux" ou "inhumain"
Saluant mardi un "accord courageux", Giorgia Meloni s'est aussi dit "fière que l'Italie soit devenue de ce point de vue un exemple à suivre" - évoquant l'intérêt des gouvernements français, allemand, suédois ou britannique sur la politique italienne de gestion des flux migratoires.
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L'accord a été conspué par de nombreuses ONG de défense des droits humains qui y voient une violation des règles internationales. "Cet accord est une nouvelle stratégie d'un Etat membre de l'UE visant à externaliser la gestion des migrations et à se décharger ainsi de sa responsabilité en matière de droits humains des réfugiés", a écrit mardi l'ONG SOS Humanity.
En début de semaine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a mentionné dans une lettre aux Etats membres de l'UE une proposition de transferts de migrants dans des centres d'accueil de pays tiers, des "hubs de retour", appelant à tirer les "leçons" de l'accord Italie-Albanie.
ats/fgn