Rosatom est l’un des leaders mondiaux du marché du nucléaire. Le conglomérat russe détient 36% des parts du marché mondial. En Europe, près d’un quart de l’uranium naturel consommé provient de Rosatom, estime Teva Meyer, maître de conférences en géopolitique à l’Université de Haute-Alsace, lundi dans l'émission de la RTS Tout un monde.
“L’entreprise publique russe est un partenaire fondamental pour le continent”, poursuit l’expert en nucléaire civil. Actuellement, les alternatives d’approvisionnement sont encore rares.
A peu près un quart de tout l'uranium naturel qui est consommé en Europe vient de Rosatom
Une filiale enregistrée à Zoug
Cette dépendance au nucléaire russe a permis la constitution d’un essaim d’entreprises. Au total, Rosatom regroupe plus de 450 filiales réparties sur la planète. Parmi elles, Internexco Sàrl. Basée à Zoug depuis neuf ans, cette entreprise est spécialisée dans la commercialisation de produits pétroliers, nucléaires et gaziers. Ce printemps, elle a modifié ses statuts pour ajouter l’engrais et les céréales à la liste des biens qu’elle négocie et commercialise.
Internexco a remporté un contrat pour approvisionner en uranium la centrale nucléaire d’Angra, au Brésil, six mois après le début de la guerre, en août 2022. Cette situation indigne Florian Kasser, expert des questions nucléaires chez Greenpeace Suisse: "Rosatom est directement impliquée dans l’invasion de l’Ukraine. Ce sont ses ingénieurs qui occupent notamment la centrale de Zaporijia. Faire des affaires avec Rosatom ou accueillir une succursale de Rosatom, c'est finalement soutenir l'attaque de la Russie en Ukraine."
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Le Washington Post avait en outre révélé l’année dernière que Rosatom fournissait des équipements et des matières premières à la défense russe.
Faire des affaires avec Rosatom ou accueillir une succursale de Rosatom, c'est finalement soutenir l'attaque de la Russie en Ukraine.
D'autres filiales aujourd’hui inactives
Une plongée dans les registres du commerce montre que la structure zougoise n’est pas la seule. Une filiale de Rosatom basée à Mendrisio, au Tessin, qui a cessé ses activités fin août 2024, "était spécialisée dans le commerce d'équipement en fer forgé, de gros équipements d'industrie", détaille Florian Kasser.
Une autre société, filiale de Rosatom et actuellement en liquidation, a été enregistrée à Zoug pendant neuf ans: Universum Metal Cart. Au fil des ans, cette société a changé de nom. Parmi eux: Uranium One Trading. Cela permet de remonter jusqu’à Uranium One, une entreprise minière canadienne dans le giron russe depuis 2009 et actuellement active dans la région du Sahel.
Des membres du conseil d’administration d’Internexco avaient également des positions similaires chez Universum Metal Cart. Ces filiations illustrent la complexité des réseaux interconnectés de Rosatom et prouvent l'intrication entre ces entités.
Sanctionner Rosatom en ciblant ses succursales
Les sanctions contre la Russie se multiplient depuis février 2022. Mais la filière du nucléaire reste particulièrement bien épargnée. En mai dernier, les Etats-Unis ont décrété un embargo sur les importations d’uranium enrichi russe. L’Europe et la Suisse ne suivent pas la même voie et n’imposent aucune sanction.
"En théorie, la Suisse pourrait adopter des sanctions unilatérales sur le nucléaire russe", confirme Robert Bachmann, expert matières premières chez Public Eye, avant de nuancer: "Il est fort improbable que le Conseil fédéral prenne de telles mesures." En cause? La dépendance de centrales nucléaires à la Russie. En Suisse, l’uranium utilisé dans les deux réacteurs de Beznau est russe; à Leibstadt, il l’est en partie.
Pour Greenpeace, la route vers l'indépendance du nucléaire russe passe par des sanctions ciblant les succursales de Rosatom: "C'est dans ce domaine qu'on pourrait commencer à sanctionner Rosatom sans directement toucher à ses livraisons d'uranium." La Suisse pourrait avec cette stratégie augmenter la pression diplomatique sur Moscou.
"Il y a deux solutions pour ne plus être dépendants de Rosatom", confirme Teva Meyer. "Ne plus utiliser de nucléaire ou essayer de développer des capacités industrielles en Europe, aux Etats-Unis ou au Japon [...] Ce sont des décisions qui doivent être prises maintenant. Sinon, on sera dans la même situation dans dix ans." Selon le maître de conférences en géopolitique, le moment est opportun pour un débat: "On a une fenêtre d’ouverture parce qu'on en parle, parce qu'il y a la guerre en Ukraine."
Mathilde Salamin, avec la collaboration de Dimitri Zufferey