Ville-martyre de l’invasion russe en Ukraine, Boutcha oscille entre douleur et besoin de renouveau
Victor Shatilo habite à la rue de l'horreur à Boutcha, rue Jablonska. L'endroit a fait le tour des médias internationaux début avril 2022. C'est là qu'à l'époque les soldats ukrainiens venus libérer Boutcha ont découvert des corps portant des vêtements civils, gisant sur l'asphalte, abandonnés depuis des jours, voire des semaines. Certains cadavres ont été retrouvés les mains attachées derrière le dos, traces de balles dans la nuque, suggérant une exécution. Il s'agit de la rue de l'horreur qui a donné à Boutcha son statut de ville-martyre.
Depuis la fenêtre de sa maison, Victor a documenté ces semaines noires avec son téléphone portable, collectionnant des photographies datées du mois de mars, sur lesquelles, on voit des corps ensanglantés apparaître. Il s'agit d'exactions commises durant l'occupation russe au début de la guerre totale menée contre l'Ukraine.
"J'ai tout vu, mais je n'ai rien pu faire", raconte l'habitant de Boutcha au micro du 19h30. "Parce que les Russes tuaient tous ceux qui sortaient de chez eux." Victor réussira à fuir à la mi-mars avant de revenir après la libération.
Le besoin de se souvenir
Entre les corps gisant par terre, ceux retrouvés dans les habitations ou dans une fosse commune, les autorités locales ont répertorié 501 victimes civiles durant ces semaines d'occupation. Des civils qui ont désormais leur mur du souvenir près de l'église. Car la population ressent le besoin de ne pas oublier.
"Nous, nous savons ce qui s'est passé ici", raconte à la RTS Natalya, une autre habitante de Boutcha. "Mais d'autres, à l'étranger, qui ont seulement vu cela à la télévision, ne peuvent pas comprendre. Beaucoup ne savent pas à quel point cette guerre est horrible."
L'appartement de la famille de Natalya a été pillé par les soldats russes durant l'occupation. Elle l'a retrouvé à moitié détruit, en revenant vivre dans la bourgade en banlieue de Kiev. Au pied de son complexe résidentiel se trouve désormais un petit musée, créé par un promoteur immobilier, pour ne pas oublier. Les coupures de journaux attestent du nouveau statut de Boutcha, symbole de l'horreur de cette guerre.
Sécuriser, avant de reconstruire
Mais la ville a aussi voulu aller de l'avant. Dmytro Cheychuk, adjoint au maire, l'explique volontiers aux visiteuses et visiteurs étrangers: après la libération, la priorité des autorités a été de sécuriser les lieux, puis redémarrer les services sociaux, communiquer auprès de la population. Et enfin rénover et reconstruire.
"Notre première et principale volonté était de montrer qu'on ne veut pas vivre dans le chagrin, la boue, dans la mémoire de la guerre", explique Dmytro Cheychuk.
Ainsi, la rue Vokzalna, célèbre pour ses tanks abandonnés à la libération, a fait peau neuve, grâce à des fonds privés et publics. Car le statut de symbole de Boutcha a aussi attiré du soutien financier venant de l'étranger. Aujourd'hui, selon les autorités, 90% des habitants de Boutcha sont revenus vivre dans la ville.
Un traumatisme toujours palpable
Mais près de deux ans plus tard, le traumatisme est toujours palpable. Samedi, la ville a commémoré le deuxième anniversaire du conflit en rendant hommage aux soldats morts au combat. Et surtout aux civils. Pleurs étouffés et hymne national ont rythmé la matinée.
"Tout le monde sait désormais de quoi la Russie est capable", a déclaré l'orateur devant la foule, composée de locaux, d'officiels et de journalistes. En ce 24 février à Boutcha, la vie ne semble pas avoir repris, malgré la multiplication de chantiers de rénovation et les trottoirs refaits. Boutcha reste aux yeux de beaucoup une ville-martyre.
Tamara Muncanovic