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Vincent Desportes: "Les craintes d'un accident nucléaire à Koursk font partie de la manipulation russe"

Vincent Desportes, général de division français, professeur associé à Sciences Po, en duplex de Paris. [DR]
Les batailles près de la centrale nucléaire de Koursk suscitent la crainte d’un incident: interview de Vincent Desportes / Forum / 4 min. / le 27 août 2024
Trois semaines après le début de l'incursion ukrainienne en Russie, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique a visité la centrale nucléaire de Koursk. Alors que les combats s'intensifient dans la région, le risque d'un accident est craint. Mais pour le général Vincent Desportes, les Ukrainiens n'ont aucun intérêt à s'en prendre à la centrale.

Le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, a visité mardi le site de la centrale nucléaire russe de Koursk, visée selon Moscou par des attaques des forces ukrainiennes positionnées à 40 km de là depuis leur offensive lancée début août dans la région.

Le chef de l'agence onusienne a supervisé sur place une mission d'inspection qu'il entendait mener "personnellement, compte tenu de la gravité de la situation".

Après sa visite de la centrale, Rafael Grossi a déclaré qu'il existait un risque d'"incident nucléaire" et que la situation était grave. "Le danger ou la possibilité d'un incident nucléaire a émergé près d'ici", a-t-il déclaré à des journalistes, faisant référence aux combats qui avaient lieu dans la région de Koursk.

Une centrale nucléaire renforcée

Invité de l'émission Forum mercredi, Vincent Desportes, général de division de l'Armée française et ancien directeur de l'Ecole de guerre, estime que la théorie du risque d'une catastrophe est alimentée par le Kremlin.

"Tout ce qui a été dit sur ce possible accident vient de la communication russe, qui depuis le départ a essayé de faire monter cette idée qu'il y avait un danger et que les Ukrainiens voulaient prendre cette centrale et la bombarder. C'est évidemment une manipulation russe", juge-t-il.

Il y a encore une trentaine de kilomètres entre les lignes de front actuelles et cette centrale. On ne peut pas imaginer qu'un commando aille s'en saisir

Vincent Desportes, général de division de l'Armée française et ancien directeur de l'Ecole de guerre

Celui qui est actuellement professeur de stratégie militaire à Sciences Po et HEC rappelle aussi que la centrale a été passablement solidifiée. "La centrale de Koursk est du type de la centrale de Tchernobyl, mais elle a été renforcée. Et donc les experts semblent quand même dire qu'un accident de type Tchernobyl ne peut pas se produire", précise-t-il.

Et d'ajouter que les Ukrainiens n'auraient pas intérêt à s'en prendre à cette infrastructure. "Pour quelle raison les Ukrainiens bombarderaient une centrale nucléaire au risque de créer un accident grave dont ils seraient autant les victimes que les Russes?", s'interroge-t-il.

Incapacité ukrainienne à s'emparer de la centrale

D'un point de vue stratégique, le général reconnaît qu'une prise ukrainienne de la centrale pourrait être intéressante. La centrale fournit l'électricité de la ville de Koursk et d'une région assez importante, ce qui pourrait permettre à Kiev de mettre en place un chantage.

La guerre est un duel, on ne doit pas l'oublier. On prend des risques, mais on doit savoir que l'autre va réagir et ne restera jamais passif devant une action que l'on a soi-même conduite

Vincent Desportes, général de division de l'Armée française et ancien directeur de l'Ecole de guerre

Mais pour s'en emparer, il faudrait des capacités que les forces ukrainiennes ne semblent pas avoir actuellement. "Il y a encore une trentaine de kilomètres entre les lignes de front actuelles et cette centrale. On ne peut pas imaginer qu'un commando aille s'en saisir. Cela représenterait un effort militaire considérable, un effort que l'Ukraine est probablement incapable de fournir à un moment où l'armée russe avance dans le Donbass et alors que les troupes biélorusses sont en train de se masser à la frontière", analyse-t-il.

"Succession d'actions-réactions"

Questionné enfin sur l'attaque massive que mène la Russie depuis mardi sur les infrastructures énergétiques, Vincent Desportes y voit une réponse logique.

"La guerre est un duel et une succession d'actions-réactions et de tentatives pour reprendre l'initiative qu'on a perdue. Depuis maintenant presque un an, ce sont les Russes qui avançaient dans le Donbass, et si l'Ukraine ne faisait rien, elle allait perdre. Elle a cherché à reprendre l'initiative et l'a fait de belle manière avec son offensive vers Koursk. Maintenant, ce sont les Russes qui se retrouvent dans la situation où ils ont perdu l'initiative et ils veulent montrer qu'ils la conservent", explique-t-il.

Des frappes en guise de réponse "du berger à la bergère", selon le général, qui prédit que Kiev devrait à son tour répondre avec des frappes "sur Moscou".

"La guerre est un duel, on ne doit pas l'oublier. On prend des risques, mais on doit savoir que l'autre va réagir et ne restera jamais passif devant une action que l'on a soi-même conduite", conclut-il.        

Propos recueillis par Thibaut Schaller

Adaptation web: Tristan Hertig

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