Kherson, la vie sous les bombes 

Grand Format

RTS - Maurine Mercier

Introduction

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine décidait d’envahir totalement l’Ukraine. Deux ans plus tard, Maurine Mercier s'est rendue à Kherson, une ville ciblée quotidiennement par les frappes russes. Pendant une semaine, la correspondante de la RTS en Ukraine a vécu chez Alexeï, un habitant de Kherson, pour faire découvrir dans l'émission Tout un monde cette vie sous les obus et les attaques de drones.

Chapitre 1
Les bons réflexes à adopter

A Kherson, tous les bâtiments du centre-ville ont été touchés par les bombes. Le marché, la gare, les infrastructures médicales, les habitations: rien n’a été épargné. Contrairement à Kiev, Kherson ne bénéficie pas d'un système de défense antiaérien puissant. Le mois dernier, la Russie a tiré sur la ville plus de 13'700 obus, selon le décompte des autorités ukrainiennes.

La peur, c'est toi qui la manges, ce n'est pas elle qui doit te manger

Alexeï, habitant de Kherson

Le bruit des explosions est constant, mais avec le temps, Alexeï a appris à gérer sa peur. Son conseil: "la peur, c'est toi qui la manges, ce n'est pas elle qui doit te manger". Les habitants de Kherson, habitués aux bombardements, connaissent les réflexes à adopter.

Dans la rue, les gens vont d'un point A à un point B sans jamais s'attarder. Si un drone apparaît, il ne faut jamais le regarder ou, pire, le pointer du doigt. "Si tu fais ça, ils peuvent lâcher les explosifs sur toi", expliquent-ils. Et en cas d'explosion, il faut se plaquer au sol et ouvrir la bouche pour éviter que la pression ne fasse sauter tous les organes.

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Alexeï peut même indiquer quel est, selon lui, le restaurant le plus sûr de la ville. Les Russes ont déjà détruit le bâtiment administratif en face de l'établissement, donc il ne risque a priori plus rien. "Ils ont déjà fait le boulot. Ils ne vont pas tirer deux fois", dit-il en rigolant, parce qu'il faut bien rire du pire.

>> Ecouter la note vocale de Maurine Mercier sur son arrivée à Kherson :

Immersion à Kherson, sous les bombes. [RTS - Maurine Mercier]RTS - Maurine Mercier
Tout un monde - Publié le 19 février 2024

Chapitre 2
L'enfer du front

Keystone - Mstyslav Chernov - AP Photo

A partir de 18h, il devient trop risqué pour les habitants de Kherson de rester dehors. Les bombardements résonnent toute la nuit, mais Alexeï ne se réveille pas. Le lendemain, en sortant, il se rend cependant compte qu'un missile Iskander est tombé à 300 mètres de sa maison.

Le bruit des tirs est constant ce jour-là et plusieurs personnes se sont abritées dans un petit magasin. Parmi elles se trouve un militaire de 34 ans, tout juste rentré du front. "J'ai besoin d'une gueule de bois", affirme-t-il d'emblée.

On boit tous. Si tu ne bois pas, tu deviens fou

Il raconte l'enfer qu'il a vécu. Il a besoin de se confier. "On était 129 hommes", dit-il. "On est plus que 24. Je suis revenu, j'ai survécu". Il explique que l'alcool permet aux soldats de retrouver leurs esprits. "On boit tous. Si tu ne bois pas, tu deviens fou", déclare-t-il.

La situation sur le front s'est compliquée ces dernières semaines. Les soldats manquent d'armes, de nourriture et même d'habits, raconte ce militaire. Sur la rive gauche, faute de moyens, ils n'arrivent pas à garder les Russes qu'ils capturent comme prisonniers de guerre, confie-t-il. Alors ils les tuent tous. "Ils font exactement la même chose avec nous", précise-t-il.

>> Ecouter la note vocale de Maurine Mercier sur sa rencontre avec le militaire rentré du front :

Des tirs d'obus russes font trois morts dans la ville ukrainienne de Kherson. [RTS - Maurine Mercier]RTS - Maurine Mercier
Tout un monde - Publié le 20 février 2024

Chapitre 3
Actions de solidarité

RTS - Maurine Mercier

Pour venir en aide aux soldats, plusieurs opérations de solidarité se sont développées à Kherson. Devant l'un des hôpitaux de la ville, Alexeï et d'autres volontaires livrent des sacs mortuaires. "On dépose les cartons, mais il ne faut vraiment pas traîner ici", indique Alexeï. Il estime que l'hôpital est l'un des lieux les plus dangereux de la ville. "Les Russes tirent chaque jour dessus", ajoute-t-il.

Kiev ne veut pas donner le nombre de soldats qui meurent au combat, mais un des jeunes volontaires présents sur place affirme avoir amené 1500 sacs mortuaires dans ce même hôpital il y a seulement trois semaines et que l'hôpital n'en a déjà plus en stock.

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Dans un local du centre-ville de Kherson, Ludmila s'active elle aussi. Des monticules de chaussettes en laine préparées par des grands-mères pour les militaires s'empilent. A côté se trouvent des sacs de canettes de bière vides qui doivent permettre aux soldats de fabriquer des armes et des explosifs.

Ludmila vient aussi en aide aux personnes âgées en collectant de la nourriture ou des médicaments. Dans la cuisine de son local, deux grands-mères sont arrivées. L'une d'elle vit juste en face. Elle raconte que même si elle n'a qu'à traverser la rue, elle est terrorisée. Beaucoup de ces personnes âgées sont tellement usées par les bombardements qu'elles font des crises cardiaques et ne sont retrouvées qu'après plusieurs jours dans leur appartement, raconte Ludmila.

Ludmila vient en aide aux personnes âgées en collectant de la nourriture ou des médicaments. [RTS - Maurine Mercier]
Ludmila vient en aide aux personnes âgées en collectant de la nourriture ou des médicaments. [RTS - Maurine Mercier]

Chapitre 4
Les enfants de Kherson

AFP - Wojciech Grzedzinski - Anadolu

Si environ 80% des habitants de Kherson ont fui, certains n'en ont toutefois pas les moyens, les loyers dans les villes plus protégées étant beaucoup trop élevés. Alexeï a pu faire évacuer à l'étranger son petit garçon de 6 ans, mais il n'oublie pas les 2000 enfants qui n'ont pas pu partir. Bien qu'il ne s'agisse pas de son métier, il accueille des enfants dans une salle de sport pour de l'art thérapie.

Environ 2000 enfants n'ont pas pu quitter Kherson. [RTS - Maurine Mercier]
Environ 2000 enfants n'ont pas pu quitter Kherson. [RTS - Maurine Mercier]

Ils ont entre 5 ans et 10 ans mais ont les traits de personnes âgées, des plis d'amertume qui disent l'angoisse et l'inquiétude gravés sur leur visage. Une petite fille d'environ 5 ans a dessiné un pistolet "pour tuer les Russes". Une autre, âgée de 8 ans, a vu sa maison se faire détruire par une bombe. Elle était à l'intérieur et un éclat d'obus a pénétré dans sa jambe.

Sa maman explique que lorsque Kherson était occupé par les Russes, leur petit commerce n'a pas tenu. Elle et son mari n'ont désormais plus de revenus et n'ont pas de quoi payer un loyer dans une ville plus sûre. Une autre petite fille de six ans explique que ce qui lui manque le plus, c'est son papa. "Il est soldat. Je l'aime", dit-elle.

>> Ecouter la note vocale de Maurine Mercier sur sa journée avec les enfants de Kherson :

Un bâtiment détruit à Kherson. [RTS - Maurine Mercier]RTS - Maurine Mercier
Tout un monde - Publié le 21 février 2024

Chapitre 5
L'espoir d'une mère

Keystone - Mstyslav Chernov - AP Photo

Si les enfants des soldats combattant au front souffrent de leur absence, les parents ne sont pas en reste. "Avec mon mari, on attend que notre fils revienne à la maison", confie Antonina. Son fils de 28 ans est sniper.

"Si je le pouvais, je prendrais sa place", poursuit-elle, admettant qu'elle a peur pour lui. "C'est mon seul enfant", explique-t-elle. Malgré l'émotion, le visage d'Antonina reste stoïque. Elle n'a plus eu de nouvelles de son fils depuis des mois. Elle remonte le fil de la conversation sur son téléphone. Le dernier message de son fils date du 17 septembre.

Si je le pouvais, je prendrais la place de mon fils

Antonina, mère d'un soldat ukrainien
Antonina et son père ont été évacués parce que son père, qui a perdu la vue, a besoin d'un médecin. Une fois son père soigné, ils rentreront chez eux, explique Antonina. Il n'est pas question pour elle de quitter Kherson. [RTS - Maurine Mercier]
Antonina et son père ont été évacués parce que son père, qui a perdu la vue, a besoin d'un médecin. Une fois son père soigné, ils rentreront chez eux, explique Antonina. Il n'est pas question pour elle de quitter Kherson. [RTS - Maurine Mercier]

Malgré tout, Antonina ne perd pas espoir. "En tant que mère, je sens qu'il ne lui est rien arrivé", affirme-t-elle. Mais dans la petite chambre d’hôtel, personne n'ose encore espérer qu'il puisse être vivant. 

>> Ecouter la note vocale de Maurine Mercier sur sa rencontre avec la mère d'un soldat :

La terre d'un champ brûlé après une attaque aérienne russe près de Kherson en Ukraine. [RTS - Maurine Mercier]RTS - Maurine Mercier
Tout un monde - Publié le 22 février 2024

>> Lire aussi : "Je ne dois pas survivre, mais vivre", témoigne une mère ukrainienne qui a perdu son fils sur le front

Chapitre 6
L'intensité de la vie

AFP - Virginie Nguyen Hoang / Hans Lucas

En rentrant chez lui, Alexeï tombe sur un de ses amis qui l'attend dans sa cour, tout sourire, les bras chargés de vin et de fromage. Sa maison a été totalement détruite par les bombes, mais lui non plus n'envisage pas de quitter Kherson. Pour payer les études de ses quatre enfants vivant à l'étranger – à cause de la guerre – il doit continuer à travailler dans son magasin, la seule chose qui a résisté aux bombardements sur sa propriété.

>> Voir son témoignage :

Un habitant de Kherson a vu sa maison se faire détruire par les bombes
L'actu en vidéo - Publié le 23 février 2024

Malgré les bombes quotidiennes et la destruction de son domicile, il sourit et profite de la vie. Car elle est puissante à Kherson. Après avoir vécu deux ans de guerre, dont huit mois et demi d'occupation, les habitants de la ville ont une toute nouvelle appréciation de la vie. Oleg, par exemple, raconte comment son atelier de confection de vêtements pour hommes a été pulvérisé par un missile. Sur son téléphone, des photos le montrent devant son atelier détruit, souriant et faisant des signes de victoire. S'il sourit, c'est parce qu'il a encore ses mains et ses jambes, dit-il.

Oleg montre une photo de lui au sortir de prison. [RTS - Maurine Mercier]
Oleg montre une photo de lui au sortir de prison. [RTS - Maurine Mercier]

La guerre a fait réaliser à Oleg que tout est relatif. Lorsque les Russes ont envahi Kherson, il exfiltre des soldats ukrainiens risquant de se faire tuer. Il se fait repérer et se fait enfermer pendant 61 jours dans un poste de police transformé en centre de torture. "Ils me frappaient et me pendaient à des barres dix heures durant. Mais bien d'autres ont été électrocutés et battus à mort", relativise-t-il. Il compare donc cette expérience à un séjour dans un mauvais hôtel. "Au moins dans mon atelier, les toilettes fonctionnent encore, pas comme dans l'hôtel russe", plaisante-t-il.

Si tu risques de mourir demain, tu ne te mens pas à toi-même, tu ne joues pas de rôle

Alexeï, habitant de Kherson

Les habitants de Kherson ont développé cette capacité à raconter des histoires dramatiques tout en étant heureux. Alexeï aussi veut profiter de la vie. Lorsque le ciel est dégagé, il veut continuer à boire des cafés dehors, même si cela signifie que les drones sont d'autant plus dangereux. "Si tu risques de mourir demain, tu ne te mens pas à toi-même, tu ne joues pas de rôle", résume-t-il. A Kherson, les gens ne sont pas effrayés à l'idée d'être eux-mêmes. D'une certaine façon, les Russes leur ont offert quelque chose qu'ils ne pourront plus jamais leur enlever désormais.

>> Ecouter la note vocale de Maurine Mercier sur son dernier jour à Kherson :

La note vocale de Maurine Mercier à Kherson. [RTS - Maurine Mercier]RTS - Maurine Mercier
Tout un monde - Publié le 23 février 2024

Chapitre 7
Le quotidien d'une correspondante de guerre

Maurine Mercier couvre pour la RTS la guerre en Ukraine. Pour cette semaine qui marque les deux ans de l'invasion russe, elle a choisi de se rendre à Kherson. Dans cette vidéo, elle raconte son quotidien dans cette ville frappée continuellement par les bombes.

Maurine Mercier raconte son quotidien à Kherson. [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 23 février 2024

>> Ecouter aussi le podcast Heure Locale qui revient sur son expérience en Ukraine :

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Heure Locale - Publié le 20 février 2024