Traductrice, huissier, cheffe du protocole: dans les coulisses des institutions européennes
- A Bruxelles, le quartier des institutions européennes se trouve vraiment au centre de la capitale belge. Avec les grands boulevards qui le traversent, ses bâtiments froids et ses drapeaux battus par des courants d'air, l'ensemble ne donne guère envie de s'y arrêter, loin du décorum lumineux de la Maison Blanche ou de l'Elysée.
- Pour parler des élections européennes, qui se tiendront dans les différents pays entre le 6 et le 9 juin prochains, Caroline Gillet a poussé des portes, est allée voir derrière les grandes vitres, pour comprendre le rôle et le travail des nombreuses chevilles ouvrières qui font tourner la démocratie européenne. Une série diffusée dans l'émission Tout un monde.
Sujets radio: Caroline Gillet
Adaptation web: Katharina Kubicek
Episode 1
Peter, l'huissier du Parlement
Le premier épisode se passe à Bruxelles, dans le grand bâtiment du Parlement européen. Peter Van Asbroeck est huissier. Depuis 22 ans au Parlement et avant cela à la Commission européenne, le bâtiment n'a aucun secret pour lui.
La première porte qu'on ouvre dans cette série mène à un petit hémicycle. "C'est ma salle principale. J'accueille les groupes politiques, les commissions parlementaires, les délégations parlementaires. Je passe ma vie ici", raconte-t-il.
Une partie de son métier, c'est de mettre les gens à l'aise. C'est lui notamment qui accueille les nouveaux députés après leur élection. "Et ça, c'est chouette. On crée tout de suite un petit lien." Pour dégager de la sympathie, la recette de Peter Van Aesbrock est simple: sourire tout le temps, se fendre de petits clins d'oeil de temps à autres.
"Quand ils arrivent, en général, ils sont très stressés, ils ne savent pas où aller, où ils peuvent aller chercher leur badge, quel est leur bureau. Ils ne savent rien en fait", décrit-il.
Peter leur indique aussi où s'asseoir. C'est lui qui place les petits chevalets avec les noms de toutes les personnes présentes pour chaque réunion dans sa salle. Pour cela, il doit connaître les têtes et les appartenances politiques des 705 députés.
Si l'huissier est en charge de détails délicats comme de mettre le drapeau européen avec les pieds des étoiles en bas, il s'occupe également des évacuations de députés énervés. "On le fait gentiment, poliment. Les gens ont quand même un respect pour nous."
Peter a été choisi pour devenir huissier parmi 4200 candidats et son histoire raconte les conséquences inattendues de la construction européenne pour sa ville et pour des destins comme le sien. Son souvenir le plus marquant: avoir vu le sculpteur américain Paul McCarthy. "Il avait fait une conférence de presse ici et je n'avais jamais vu autant de monde."
Episode 2
L'interprète Roxana, au plus proche de la pensée des députés
La deuxième porte poussée s'ouvre sur le bureau de Roxana Marcou, une cabine vitrée, parce que Roxana est interprète. Sa fonction est essentielle, au sein d'un Parlement qui parle 24 langues officielles. L'interprète travaille du français, de l'anglais, de l'allemand vers le roumain et du roumain vers le français.
Âgée de 47 ans, Roxana Marcou est née dans une toute petite ville proche des Carpates. Sa mère était infirmière, son père cheminot. La petite fille s'est mise à apprendre le français avec des Paris Match reçus d'une voisine, qu'elle essayait de déchiffrer avec les dictionnaires de l'époque. "C'était une ouverture sur le monde parce que la Roumanie, c'était un pays fermé. J'avais quatorze ans quand il y a eu la révolution. Même pour les films, il y avait une seule dame qui faisait le doublage des films de l'anglais vers le roumain. Elle faisait tous les personnages, dans tous les films", se remémore-t-elle.
La jeune Roxana Marcou est admise à l'Ecole d'interprète à Paris, où elle obtient son diplôme en 2004. La Roumanie rejoint l'Union européenne en 2006 et elle a fait partie de la toute première équipe d'interprètes roumains au Parlement européen. Sa famille la voit parfois à la télévision ou sur des photos officielles et en est très fière.
Sa profession peut s'apparenter à une pratique théâtrale. "En tant qu'interprète, on ne dit jamais ses opinions. On est comme un acteur, ce qui est facile et difficile à la fois. Et il y a un trac de la cabine. Mais je pense que parfois cette adrénaline est nécessaire." Sauf que l'exercice est sans filet: si les acteurs connaissent a priori leur texte, les interprètes, eux, le découvrent. "C'est vrai, mais le travail d'interprète est aussi basé beaucoup sur l'anticipation et sur l'intuition. On sait pertinemment qu'un député de gauche ne peut pas dire la même chose qu'un député de droite", précise Roxana Marcou.
Parfois, les enjeux sont très importants. "Quand on travaille pour une réunion de la commission des budgets et que les États membres négocient les sommes pour le budget européen, il faut être sûr de ne pas se tromper, ne pas dire milliers à la place de millions ou de milliards", sourit l'interprète.
Et plus on connaît ses députés, plus on connaît les sujets dont ils parlent, moins on est exposé à ce genre de contre-sens. Et les relations qui se tissent avec la personne interprétée est parfois forte. "Parfois je la vois dans les couloirs et je me dis que c'est bizarre, que je sais ce qu'elle pense, je connais ses tics de langue, j'étais dans sa tête alors qu'elle ne sait même pas que j'existe." Œuvrer dans l'anonymat ne pose toutefois pas de problème à Roxana Marcou. "Je savais que ça allait être un métier de l'ombre, ça me va très bien comme ça."
Episode 3
Dominique, gardienne du protocole pour les sommets des deux Conseils
Pour ce troisième épisode, Caroline Gillet est à Bruxelles, dans le bâtiment Europa, place Schuman, avec Dominique Cochard. Cette dernière s'occupe du protocole à la fois des sommets du Conseil européen et des réunions du Conseil de l'Union européenne.
La responsable circule entre les deux bâtiments qui sont reliés par des passerelles et, ce jour-là, elle s'occupe de l'organisation d'un Conseil de l'Union européenne, l'institution qui réunit les ministres des gouvernements des 27, qui sont regroupés par domaines.
Les sommets, eux, sont organisés par le Conseil européen. C'est là que siègent les 27 chefs d'Etat ou de gouvernement, ainsi que le président du Conseil européen - Charles Michel actuellement - et la présidente de la Commission européenne - Ursula von der Leyen. "Toutes ces personnalités se réunissent au moins quatre fois par an et le but de leur sommet est de définir la politique commune, notamment étrangère. C'est donc ici que, récemment, les 27 ont conclu un accord pour l'aide à l'Ukraine", explique Dominique Cochard.
Du passage sur le tapis rouge à l'organisation des interviews télévisées, en passant par la vérification des tenues et le port du badge, la responsable du protocole orchestre le bal des députés et chefs d'Etats au millimètre près, listes et trombinoscope à la main.
Une mission qui ne semblait en rien prédestiner l'adolescente qu'elle était, renvoyée de plusieurs collèges et lycées où elle était inscrite et qui "foutait le bordel tout le temps".
Un jour, par un concours de circonstances, Dominique Cochard arrive à Ljubljana, dans ce qui était alors l'ex-Yougoslavie. Elle postule pour un poste auprès de la toute nouvelle délégation de la Commission européenne qui ouvrait là-bas, après un divorce complexe. Elle se retrouve avec deux enfants à charge à l'ambassade de France. Et attention, leçon de vie!
"Je rencontre un stagiaire de l'ENA comme il y en a tous les six mois, avec lequel je me suis très bien entendue", raconte Dominique Cochard. "Il m'a dit: 'Mais tu ne vas pas toute ta vie ramer comme ça, tu es quelqu'un d'intelligent, tu vas passer un concours des institutions européennes que tu vas réussir.' Et je lui ai répondu que je n'avais pas le temps, que j'avais deux gosses à élever, mon boulot, que je faisais des traductions la nuit pour arriver à payer mes factures. Il m'a dit que c'étaient des excuses qu'on se donne pour ne jamais arriver à rien. Tu vas rentrer chez toi tous les jours, puis les quinze premières minutes, tu t'assois, tu travailles pour le concours. Tous les jours, quinze minutes. Et bingo, c'était vrai."
Episode 4
Hélène, représentante des intérêts commerciaux de l'UE en Chine
On connaît le travail des ambassades nationales, mais peut-être moins celui des représentations diplomatiques de l'Union européenne. Il y en a notamment en Chine. Cet épisode pousse une porte - du moins par webcam interposée - dans une tour de Pékin, celle du bureau où travaille la diplomate Hélène Juramy.
Derrière elle, un bonzaï et devant elle, un dictionnaire des incompréhensions dans lesquelles sont détaillées toutes les erreurs de traduction possibles entre Occidentaux et Chinois. Hélène Juramy s'efforce de comprendre l'Empire du Milieu et ses subtilités de langage tous les jours depuis qu'elle est en poste, il y a trois ans.
Pour comprendre la Chine, Hélène Juramy consulte les réseaux sociaux locaux, inaccessibles en Europe, tout comme les nôtres sont inaccessibles en Chine. Elle se dit chanceuse de pouvoir avoir des échanges au quotidien avec les collègues des États membres européens pour "unir les efforts". Son métier, c'est ensuite de transmettre ce qu'elle a compris à Bruxelles. "Et d'établir les contacts ici en personne, ce qui a été très utile puisqu'on n'a pas pu avoir de visites pendant plusieurs années", précise-t-elle.
En 2020, la Chine s'était en effet complètement fermée pour tenter d'endiguer l'épidémie de Covid-19. Hélène Juramy, en arrivant la première fois, a d'ailleurs dû commencer par deux semaines de quarantaine dans un hôtel. C'est là qu'elle a entamé ses cours de chinois.
L'autre mission d'Hélène en Chine est de faire des enquêtes antidumping. Le dumping, c'est quand une entreprise chinoise, dans ce cas-ci, vend des produits à des prix artificiellement bas et inférieur au marché local européen, en l'occurrence.
"Ma première enquête en antidumping, c'était sur les céramiques, les bols, les assiettes. Et donc on met en place des mesures douanières, un tarif à l'entrée en l'occurrence, pour essayer de rééquilibrer la situation pour les entreprises européennes, qu'elles ne soient pas face à une concurrence déloyale. L'Union européenne a la compétence sur le commerce pour toute l'UE."
Hélène voulait être diplomate depuis l'adolescence, ce qui à l'époque, surprenait ses parents enseignants en physique-chimie. Aujourd'hui, à seulement 35 ans, elle représente les intérêts commerciaux de l'Europe en Chine. Dans ses réunions avec les autorités chinoises, "dans la plupart des conférences où je parle, je suis la seule femme", relève-t-elle.