Plongée dans l'arrière-pays australien
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Plongée dans le gigantesque arrière-pays australien

L'Outback australien représente neuf dixièmes du territoire. Région reculée, loin des villes et des plages, très peu peuplée et semi-désertique, cette portion du pays, grande comme les deux tiers de l'Europe, n'est habitée que par quelques irréductibles, des aborigènes pour la plupart. Et pour les autres, ceux qui osent partir à l'assaut de ses routes interminables, "aventure" ne doit pas être un mot qui leur fait peur.

L'émission de la RTS Tout un monde s'y est rendue cet été pour tenter de lever un peu le voile sur ce gigantesque bout de territoire.

Sujets radio: Léo Roussel et Grégory Plesse

Textes et mise en page pour le web: Fabien Grenon, Emilie Délétroz et Antoine Michel

Le Big Red Bash

Un festival aux portes du désert de Simpson

Aux portes du désert de Simpson, chaque début juillet, le Big Red Bash transforme la minuscule ville de Birdsville en un haut lieu de la musique rock australienne. Accessible seulement après plusieurs centaines de kilomètres de pistes et souvent coupée du monde en cas de pluie, Birdsville a d'ailleurs été difficile d'accès cette année.

Mandie et ses amis, par exemple, ont dû faire face à des routes impraticables et ont passé trois nuits dans un hôtel en chemin avant d'arriver. Le périple pour rejoindre le festival est une aventure en soi, avec des routes mythiques comme celle de Birdsville, longue de 500 kilomètres, qui laisse un souvenir impérissable à ceux qui l'empruntent. "Ça a été un long voyage, mais on est très contents d'être enfin là!", se réjouit Mandie au micro de Tout un monde.  

Le Big Red Bash, c'est moins un simple festival qu'une expédition, attirant près de 8000 participants prêts à parcourir des milliers de kilomètres. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]
Le Big Red Bash, c'est moins un simple festival qu'une expédition, attirant près de 8000 participants prêts à parcourir des milliers de kilomètres. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]

8000 festivaliers avides d'aventure

Le Big Red Bash, c'est moins un simple festival qu'une expédition, attirant près de 8000 participants prêts à parcourir des milliers de kilomètres en 4X4 ou en caravane pour trois jours de rock au pied des dunes du Simpson. Pour Greg Donovan, l'organisateur, cet isolement fait partie intégrante de l'expérience: "Il faut faire tout un périple à travers toutes ces petites villes... Ça fait autant partie de l'expérience que le festival en lui-même."

Le festival séduit particulièrement un public senior, avec une moyenne d'âge entre 40 et 60 ans, bien que quelques enfants accompagnent leurs parents.

Grands noms de la musique australienne

Le festival a accueilli par le passé des légendes comme Midnight Oil et continue d'attirer de grands noms de la musique australienne. Cette année, la tête d'affiche était Tina Arena, l'une des chanteuses australiennes les plus connues en Europe.

À la fin du festival, les participants doivent souvent précipiter leur départ pour éviter d'être bloqués par la pluie, prolongeant ainsi l'aventure jusqu'au dernier moment.

>> Ecouter le reportage lors de l'édition 2024 du Big Red Bash :

Désert de Simpson, dans l'Outback australien. [EPA/Keystone - DAN PELED AUSTRALIA AND NEW ZEALAND OUT]EPA/Keystone - DAN PELED AUSTRALIA AND NEW ZEALAND OUT
Outback australien, ép. 1 : un festival au pied du désert / Tout un monde / 5 min. / lundi à 08:15

Stephan Pursell

Le policier le plus solitaire au monde

Birdsville, petite ville aride du Queensland à 1600 kilomètres de Brisbane, sur la côte est, ne compte qu'une centaine d'habitants, dont Stephan Pursell, le seul policier responsable de la sécurité de cette petite bourgade et au-delà, sur un territoire désertique plus vaste que le Royaume-Uni. Stephan patrouille chaque matin, prenant directement les appels pendant sa ronde.

Zone de couverture de près de 300'000 km2

"Ma zone de couverture fait 294'000 km²! À l'ouest, il y a le désert de Simpson. En cas de problème, ça peut prendre deux heures pour arriver sur le lieu d'un accident de voiture," explique-t-il. La météo, imprévisible, complique souvent les choses, mais la solidarité des habitants de Birdsville aide à surmonter ces défis.

Il faut avoir une personnalité qui vous permet d'être à la fois un ami, mais aussi celui qui fait respecter la loi. Il s'en est remarquablement bien sorti

Jenna, propriétaire de la roadhouse de Birdsville

On fait vite le tour de Birdsville, avec son aérodrome, son hôtel-pub, sa boulangerie célèbre pour ses tourtes au chameau et sa roadhouse. Jenna, propriétaire de la roadhouse, estime que Stephan, qui a longtemps travaillé dans les grandes villes du littoral, s'est bien adapté: "Il faut avoir une personnalité qui vous permet d'être à la fois un ami, mais aussi celui qui fait respecter la loi. Il s'en est remarquablement bien sorti."

Stephan, en poste depuis huit ans, a toujours rêvé de travailler dans une zone rurale, inspiré par son père. "Mon père était policier dans une zone rurale de Tasmanie, ça m'a toujours tenté. Et j'adore! Ça a été une expérience formidable," dit-il.

A une année de la retraite

Très apprécié de la communauté, Stephan, 60 ans, est essentiel au fonctionnement de la ville, selon Peta, la patronne du café: "On ne pourrait pas faire tourner la ville sans lui, c'est une légende vivante!" Il travaille également étroitement avec le dispensaire, où Jess, l'infirmière, souligne son importance: "On s'appuie énormément sur lui pour nous aider."

L'année prochaine, Stephan prendra sa retraite pour s'occuper de son petit-fils malade, mais il espère revenir. "On aimerait rester, mais je pense qu'on continuera à voyager dans des endroits comme ici," explique-t-il. Plusieurs candidats se sont déjà manifestés pour le remplacer dans ce poste isolé, mais crucial.

>> Le reportage aux côtés de Stephan Pursell :

Outback australien: le policier le plus solitaire au monde [Tout un monde - Léo Roussel et Grégory Plesse]Tout un monde - Léo Roussel et Grégory Plesse
Outback australien, ép. 2: le policier le plus solitaire au monde / Tout un monde / 5 min. / mardi à 08:14

La rivière Murray-Darling

Le symbole de la guerre de l'eau dans l'arrière-pays australien

L'Australie, l'une des régions les plus arides au monde, concentre son agriculture autour de deux bassins hydrographiques dont celui de la rivière Murray-Darling. Cependant, la sécheresse et la surexploitation ont fait baisser drastiquement le niveau de cette rivière, exacerbant le risque de pénurie pour les éleveurs et des communautés indigènes en aval.

À Wilcannia, la communauté aborigène observe de près la rivière, source d'inquiétude pour Brendon Adams, leader de la communauté aborigène locale: "Même s'il y a de l’eau, elle n'arrive qu'au niveau du genou, alors qu'il devrait y avoir huit mètres de profondeur. Cela me rend triste qu'elle ne soit pas saine."

Le nom de la population aborigène locale, les "Barkindji", signifie le "peuple de la rivière", qui dérive du nom indigène de ce cours d’eau, la Barka. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]
Le nom de la population aborigène locale, les "Barkindji", signifie le "peuple de la rivière", qui dérive du nom indigène de ce cours d’eau, la Barka. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]

Mesures d'urgence

La crise de l'eau a conduit à des mesures d'urgence. Il y a trois ans notamment, quand la sécheresse a provoqué une grave pénurie d'or bleu, la seule solution a été de faire venir par camion de l'eau en bouteille. Celle qui sortait du robinet était à l’époque impropre à la consommation, se souvient Brendon Adams: "Je me rappelle que mes enfants prenaient leur douche et qu'ils en ressortaient plus sales! Ces livraisons d'eau en bouteille étaient essentielles."

J'ai trois mères. Ma maman m'a mis au monde, ma grand-mère s'est occupée de moi et la rivière me nourrit

Badger Bates, artiste et membre respecté de la communauté aborigène locale

Malgré les investissements pour améliorer les infrastructures, notamment la station d'épuration locale, la méfiance persiste et l'eau en bouteille reste six fois plus chère qu'à Sydney.

Pour la population aborigène locale, ce n'est pas qu'une affaire d'eau potable. Leur nom, les "Barkindji", signifie le "peuple de la rivière", qui dérive du nom indigène de ce cours d’eau, la Barka. Cette rivière n'est donc pas seulement source de nourriture. Les Aborigènes entretiennent avec elle un lien sacré, voire filial, d'après Badger Bates, un artiste et un membre respecté de la communauté: "J'ai trois mères. Ma maman m'a mis au monde, ma grand-mère s'est occupée de moi, et la rivière me nourrit."

Impact des fermes de coton

La mauvaise gestion de l'eau et l'impact des fermes de coton situées en amont ont gravement affecté l'écosystème et la santé des populations locales. James McBride, éleveur à Tolarno Station, décrit la nécessité de filtrer l'eau pour ses animaux: "L'eau de la rivière est de très mauvaise qualité. Il faut la traiter pour protéger la santé de nos moutons et de nos vaches."

Son père, Robert, critique vivement le lobby du coton et la gestion désorganisée de la rivière: "Si la rivière meurt, tout le reste mourra aussi." Cette crise environnementale a par ailleurs entraîné la mort de millions de poissons et incité le gouvernement à envisager des réformes pour rééquilibrer les intérêts des grands irrigateurs et la santé environnementale.

>> Le reportage le long de la rivière :

Rivière Wilcania en Australie. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse
Outback australien, ép. 3 : la guerre de l’eau Murray-Darling, dans Tout un monde / Tout un monde / 6 min. / mercredi à 08:14

Broken Hill

Le Hollywood de l'Outback

Entre ses paysages de plages, ses villes et ses vastes étendues de désert, l'Australie est un paradis pour les producteurs de cinéma. Perdue en plein milieu de l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud, la petite ville de Broken Hill profite également de cette manne. Dernière superproduction en date: "Furiosa: une saga Mad Max", sortie en mai dernier. Pour réaliser son dernier film, George Miller est retourné au coeur de l’Outback australien, 40 ans après y avoir mis en scène Mad Max 2.

Ce long métrage a tellement marqué Adrian Bennett qu'il a décidé de quitter son Angleterre natale pour lui consacrer un musée, à l'autre bout du monde. "Broken Hill est connue comme le Hollywood de l'Outback, mais j'ai été surpris de voir qu'il n'y avait rien qui rendait hommage aux films tournés ici, dont 'Mad Max 2', LE gros film qui a tout changé", explique-t-il.

Un atout pour l'économie

Dans son musée, Adrian Bennett expose toutes sortes de pièces uniques, directement issues des tournages. Le musée attire chaque année des milliers de touristes, qui, en général, franchissent aussi les portes du pub voisin, le Silverton Hotel, qui figure lui-même dans 22 films. "Pendant le tournage de 'Furiosa', tous les soirs, il y avait 20 à 30 personnes qui venaient pour boire quelques verres", raconte le gérant, Peter Price.

Peter Price, gérant du Silverton Hotel. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]
Peter Price, gérant du Silverton Hotel. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]

La présence des équipes de tournage profitent également aux commerces, hôtels et restaurants, se réjouit Maryanne Trinder, patronne d'un café de Broken Hill. "Pour l'économie, c'est fantastique. On a eu 'Mad Max' pour trois mois, ça a boosté les affaires de tout le monde", indique-t-elle.

En tout, plus de 160 films et publicités ont été tournés à Broken Hill ces 50 dernières années. Selon Logan Pascoe, le patron du cinéma de la ville, les paysages de désolation de la région offrent un décor de fin du monde qui attire les cinéastes du monde entier. "Broken Hill et ses environs offrent un environnement parfait pour les films post-apocalyptiques. On a '’impression d'être sur une autre planète", dit-il.

>> Revoir le sujet du 19h30 sur la sortie de Mad Max Furiosa :

Sortie aujourd'hui de "Mad Max Furiosa" , 5ème épisode de la saga post-apocalyptique
Sortie aujourd'hui de "Mad Max Furiosa" , 5ème épisode de la saga post-apocalyptique / 19h30 / 2 min. / le 22 mai 2024

Festival de drag-queens

Parmi les centaines de films tournés sur place figure également "Priscilla Folle du Désert", l'un des plus célèbres films australiens. Esther La Rovere, la gérante du Palace Hotel, qui figure dans le film, a même créé un festival de drag-queens lui rendant hommage. "C'est une célébration d'un moment dans l'histoire auquel nous sommes associés", explique-t-elle, précisant que la grande parade rassemble entre 5000 et 6000 personnes.

Si dans le film, Broken Hill n'est pas dépeinte comme la ville la plus ouverte à l'organisation d'un festival de drag-queens, les mentalités ont évolué, assure Esther La Rovere. La ville est d'autant plus ouverte - aux drag-queens comme aux tournages de films - que ces activités attirent de nombreux touristes. Ils sont plus de 150'000 chaque année à visiter Broken Hill, pourtant située à plus de 13 heures de route de Sydney.

>> Ecouter le reportage à Broken Hill :

Adrian Bennett, fondateur du Mad Max 2 Museum. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse
Outback australien, ép.4: du cinéma dans le désert / Tout un monde / 4 min. / jeudi à 08:14

Introduits au XIXe siècle

Les dromadaires pullulent dans le centre aride

L'Australie est le seul continent au monde qui n'abrite aucune espèce indigène d'animaux à sabots. Et pourtant, le pays compte aujourd'hui la plus vaste population de camélidés de la planète. Les dromadaires ont été importés à l'époque coloniale pour explorer l'intérieur désertique du pays. En l'absence de prédateurs naturels, ils y ont prospéré, au point que leur nombre est devenu problématique.

Avec une population estimée à plus d'un million de spécimens, les dromadaires sont aujourd'hui perçus comme une menace, pour la faune locale notamment, mais aussi les éleveurs de bovins.

Une ferme grande comme un tiers de la Suisse

Coincée entre trois déserts au centre du pays, Clifton Hills Station se tient sur la seconde marche du podium des fermes les plus vastes de la planète. Elle s'étend sur une superficie grande comme un tiers de la Suisse et dispose de 1000 km2 par vache. Cette surface n'est pas un luxe, mais une nécessité en raison de l'aridité du climat. "L'année dernière, on n'a eu que 10 mm de pluie… Ce n'est pas évident, mais les bœufs grossissent bien ici", explique Peter Nunn, le gérant de l'exploitation.

Outre les conditions météo, l'éleveur doit composer avec les camélidés qui pullulent dans cette région désertique. "L'année dernière, 600 dromadaires ont débarqué. On gère la situation comme on peut. Ils détruisent les clôtures et les abreuvoirs. Ils causent quelques problèmes, mais ne nous inquiètent pas plus que ça", décrit Peter Nunn.

Les dromadaires ont été introduits en Australie il y a 150 ans pour l'exploration de ce continent aride. [robertharding via AFP - CLAIRE LEIMBACH]
Les dromadaires ont été introduits en Australie il y a 150 ans pour l'exploration de ce continent aride. [robertharding via AFP - CLAIRE LEIMBACH]

Animaux abattus par dizaines

Les autorités prennent, elles, le problème au sérieux. Le gouvernement fait abattre des centaines de dromadaires dans le désert.

Peter Nunn se charge lui aussi de l'élimination de certaines bêtes: "Le gouvernement est venu plus tôt dans l'année pour en tuer 90. On ne s'en occupe donc pas tellement nous-mêmes, on n'a pas à en tuer autant. Je suis moi-même un amoureux des animaux. Mais bon, vous devez parfois faire ce que vous avez à faire…"

D'autres éleveurs n'ont pas autant de pudeur. Certains n'hésitent pas à se filmer, puis à diffuser sur YouTube des vidéos où on les voit abattre des dromadaires par dizaines, dont certaines font un carton d'audience.

Une opportunité pour le pays

Les camélidés jouissaient avant d'une meilleure réputation. Il y a moins de cent ans, ils étaient encore régulièrement utilisés pour acheminer le courrier et des marchandises dans les zones les plus reculées d'Australie.

On a un animal parfaitement conçu pour résister au réchauffement climatique

Ryan McMillan, guide de randonnées

Malgré leur mauvaise image, certains continuent d'entretenir cet héritage. Ryan McMillan organise des randonnées à travers la chaîne de Flinders, en Australie-Méridionale. Le guide utilise les dromadaires pour porter l'équipement, la nourriture et l'eau.

Selon lui, les camélidés ne sont pas des nuisibles, mais une formidable ressource largement inexploitée qui pourrait s'avérer cruciale à l'avenir: "On a un animal parfaitement conçu pour résister au réchauffement climatique. Ils prospèrent dans le désert, alors que rien d'autre n'y survit", argumente-t-il.

Quant au marché de la viande de dromadaire, il est embryonnaire et essentiellement tourné vers l'exportation. Le commerce du lait présente, lui, un très fort potentiel, car ce breuvage est riche en protéines et plus digeste que le lait de vache. Pour l'Australie, l'espèce nuisible d'hier pourrait devenir la manne de demain.

L'an dernier, un producteur de lait de dromadaire ainsi a reçu un coup de pouce de 2,5 millions de francs pour développer son activité.

>> Ecouter le reportage sur la prolifération des dromadaires :

Un dromadaire assis dans une ferme de l'Outback australien. [RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse]RTS - Léo Roussel et Grégory Plesse
Outback australien, ép. 5 : les dromadaires, une nuisance et une opportunité / Tout un monde / 5 min. / vendredi à 08:13