Denis Mukwege: "Aujourd'hui, l'impunité est la règle et la justice une exception"

Denis Mukwege, activiste contre les violences sexuelles comme arme de guerre: son interview (vidéo)
Denis Mukwege, activiste contre les violences sexuelles comme arme de guerre: son interview (vidéo) / Forum / 10 min. / hier à 19:00
Instrumentalisées dans les conflits, les violences sexuelles sont particulièrement destructrices. Invité dans Forum, Denis Mukwege, militant des droits humains et prix Nobel de la paix 2018, appelle à une mobilisation internationale pour briser l'impunité et soutenir les victimes partout dans le monde.

Les violences sexuelles dans les conflits ont augmenté de 50% en 2023, alertait l'ONU il y a une année. Dans 95% des cas vérifiés par les Nations Unies durant cette année-là, les victimes étaient des femmes, que ce soit en République démocratique du Congo, au Moyen-Orient, en Ukraine, au Soudan, en Haïti et ailleurs.

"Malheureusement, dans tous les conflits, on observe l’utilisation du viol comme arme de guerre. C’est une arme peu coûteuse, terriblement efficace, qui détruit non seulement la victime, mais également son entourage: les enfants, les conjoints, les proches qui assistent à ces atrocités", déplore mardi dans Forum le médecin gynécologue et défenseur des droits humains Denis Mukwege.

Un combat acharné

Originaire de Bukavu, en RDC, il sait de quoi il parle. Il mène un combat acharné contre les violences sexuelles. Son engagement, entamé il y a de nombreuses années, a d'ailleurs été récompensé en 2018 par le comité Nobel, qui l'a distingué aux côtés de Nadia Mourad, une survivante des violences sexuelles perpétrées par le groupe État islamique.

La souffrance humaine reste présente, et pour nous, il est primordial de redoubler d’efforts pour soutenir les victimes et développer des stratégies afin qu’elles soient entendues

Denis Mukwege, militant des droits humains et prix Nobel de la paix 2018

De passage à Genève au siège de son ONG Global Survivors Fund (Fonds mondial pour les survivants) pour rencontrer des donateurs, des acteurs de l’humanitaire et de la Genève Internationale, il assure que son engagement demeure toujours aussi fort. "La souffrance humaine reste présente et, pour nous, il est primordial de redoubler d’efforts pour soutenir les victimes et développer des stratégies afin qu’elles soient entendues."

Des complications sur le plan judiciaire

Si son ONG donne enfin une voix aux victimes, il admet que les choses se compliquent sur le plan judiciaire. "Aujourd’hui, l’impunité est la règle et la justice une exception. Cette impunité alimente un cycle de violences, car elle incite à commettre toujours plus d’atrocités. Nous appelons les États et la communauté internationale à inverser cette tendance pour faire de la justice une norme", insiste-t-il.

Ce sont les victimes qui me donnent la force de continuer. Elles se relèvent, se battent pour leurs droits, ceux de leurs enfants et de leurs communautés. Leur capacité à transformer la douleur en puissance est une source d’inspiration incroyable

Denis Mukwege, militant des droits humains et prix Nobel de la paix 2018

Plus que jamais, il dit croire en une mobilisation internationale. Et ce malgré les critiques et le scepticisme envers le droit international. "Nous sommes à un tournant où le multilatéralisme est menacé. Si ce système, conçu après la Seconde Guerre mondiale, venait à disparaître, ce serait la loi du plus fort qui prévaudrait", insiste-t-il. "Et dans ce scénario, les femmes et les enfants seraient les premières victimes. Nous devons préserver et renforcer ce système de protection internationale, car sa destruction signifierait un recul pour l’humanité."

Ce qui pousse Denis Mukwege à continuer, malgré les obstacles, c’est avant tout la force des victimes. "Elles se relèvent, se battent pour leurs droits, ceux de leurs enfants et de leurs communautés. Leur capacité à transformer la douleur en puissance est une source d’inspiration incroyable."

Entouré d’hommes et de femmes engagés, Denis Mukwege voit dans ce combat non seulement une mission personnelle, mais une responsabilité collective pour l’avenir du monde.

Propos recueillis par Mehmet Gultas et Coraline Pauchard

Texte pour le web: Fabien Grenon

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