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Les Kurdes de Syrie fuyant les milices pro-turques sont au bord de la catastrophe humanitaire

Des réfugiés kurdes arrivent dans le camp de Raqqa. [AP Photo / Keystone - Hogir El Abdo]
Vers une catastrophe humanitaire pour les Kurdes de Syrie / Tout un monde / 6 min. / vendredi à 08:13
Malgré la chute du régime de Bachar al-Assad, la Syrie reste profondément divisée et des populations subissent une grave crise humanitaire. Dans le nord-est du pays, les autorités kurdes, qui contrôlent le territoire, sont dépassées par le déferlement des 100'000 déplacés qui ont fui dans la précipitation, début décembre, les alentours de la ville d'Alep.

Début décembre, des groupes rebelles affiliés à la Turquie se sont attaqués aux enclaves kurdes de la province d'Alep, entraînant des déplacements massifs de populations dans des conditions extrêmes. Des milliers de familles ont ainsi trouvé refuge à Kobané – ville pourtant elle-même menacée par une offensive de grande ampleur – ou à Raqqa. L'hiver rigoureux et la guerre fragilisent la situation humanitaire de ces populations vulnérables déjà déplacées plusieurs fois par les conflits.

A Kobané, les milices pro-turques sont parvenues à encercler presque complètement la ville. Des combats violents ont lieu en ce moment entre ces milices et les forces kurdes autour d’un axe stratégique qui dessert la ville. En parallèle, des négociations ont cours en haut lieu pour tenter de freiner les ambitions turques et éviter un bain de sang.

Un périple de trois jours jusqu'à Raqqa

Zinab a trouvé refuge avec quatre de ses enfants dans les vestiaires gelés du stade de Raqqa. Là même où l'Etat islamique torturait ses victimes à l'époque où l'organisation terroriste gouvernait la ville. La famille s'agglutine autour d'un poêle sur quelques matelas posés au sol. "Les enfants n'arrêtent pas de pleurer. Ma fille n'arrête pas de me demander: quand est-ce qu'on pourra rentrer chez nous, à Chahba? Nous voulions sauver nos vies, nous avons entendu que l'Armée nationale syrienne (ANS) allait massacrer les femmes et les enfants… c'est pour ça que nous avons dû partir".

Des familles kurdes dans un camp de déplacés à Raqqa. [KEYSTONE - HOGIR EL ABDO]
Des familles kurdes dans un camp de déplacés à Raqqa. [KEYSTONE - HOGIR EL ABDO]

Zinab se remémore douloureusement le périple qui l'a conduite ici. "Nous avons marché pendant trois jours, il n'y avait pas d'essence. Nous ne pouvions pas nourrir les enfants, il n'y avait pas de pain à donner aux garçons, pas de lait pour les nourrissons. Il faisait très froid, il n'y avait pas de couvertures, rien pour nous couvrir. Mon fils est mort sur la route. Il s'appelait Nour et avait quatre mois et demi".

Nous avons l'impression de ne pas en faire assez pour répondre à leurs besoins essentiels. Vous avez vu le froid qu'il fait à cette période de l'année? 

Sabah, en charge de l'accueil des réfugiés à Raqqa

Comme Zinab, quelque 100'000 personnes ont fui en l'espace de trois jours vers les territoires administrés par les autorités kurdes. Cette situation a pris de cours les ONG locales et les services sociaux de la ville de Raqqa.

Rencontrée dans la cour d'une école mise à la disposition des familles déplacées, Sabah, en charge de l'accueil depuis les premières heures de la crise, avoue être dépassée: "Le nombre de déplacés est bien plus élevé que nous ne l'avions anticipé. La dizaine d'écoles que nous avions initialement réquisitionnées pour les accueillir n'a pas suffi: aujourd'hui, nous avons ouvert 74 abris. Notre plus gros défi, c'est la distribution de pain, de couvertures, de matelas, de meubles de base. Nous avons l'impression de ne pas en faire assez pour répondre à leurs besoins essentiels. Vous avez vu le froid qu'il fait à cette période de l'année? Je ne sais pas comment ces personnes font face à la situation".

Exil encore plus au nord

La saturation des espaces d'accueils à Raqqa pousse des centaines de familles à poursuivre leur exil plus au nord à la recherche désespérée d'une prise en charge.

La famille d'Hamid s'est installée à Kobané dans une concession automobile abandonnée et a rapidement déchanté, rattrapée par la guerre et sans la moindre présence d'ONG.

Des réfugiés arrivent à Raqqa. [REUTERS - Orhan Qereman]
Des réfugiés arrivent à Raqqa. [REUTERS - Orhan Qereman]

"La menace que représente la Turquie a entraîné la fermeture de la route, du coup les prix ont explosé. Nous n'avons pas d'argent, nous ne pouvons pas acheter de nourriture, seulement un peu de pain. Nous ne mangeons plus que du pain. Il n'y a pas non plus de médicaments, or nos enfants ont besoin de traitements… Il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, pas de fioul. Nous avons besoins d'ONG".

A l'hôpital de Kobané, le personnel médical est bien conscient de la précarité des familles déplacées. Mais pour son directeur Hogger, il est impossible de leur venir en aide alors que la guerre est aux portes de la ville.

A chaque fois, j'ai pu sauver ma peau au dernier instant

Amina, qui a dû fuir trois fois les avancées de la guerre

"Nous avons bien essayé d'ouvrir un centre médical d'urgence dans le camp, mais nous ne nous attendions pas à ce que la région devienne une zone de conflit. A cause des combats, le personnel médical disponible a été mobilisé sur la ligne de front pour offrir une assistance aux blessés".

Plus loin, des bâches de plastique sont incendiées pour se réchauffer. Amina, 30 ans à peine, son nouveau-né dans les bras, témoigne de son épuisement. Ce nouveau déplacement ravive les traumatismes des précédents: "C'est la troisième fois que je dois tout abandonner et fuir. Nous avons dû quitter Alep pour Afrin, à cause de la guerre, puis quitter Afrin pour Chahba à cause des persécutions de l'Armée nationale syrienne, et là nous venons de fuir Chahba et les attaques de ce même groupe armé. A chaque fois, j'ai pu sauver ma peau au dernier instant. J'étais enceinte au cours de chacune de ces fuites. J'ai l'impression d'avoir soufflé ma dernière respiration. Vous savez, mon état psychologique est en dessous de zéro, je souffre d'anxiété".

Toutes ces familles kurdes déplacées reconnaissent que ce nouvel exil forcé est de loin le pire qu'elles aient dû à endurer jusque-là.

Reportage radio: Lucas Lazo

Adaptation web. France-Anne Landry

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Pourquoi la Turquie et les groupes qui lui sont affiliés s'en prennent-ils aux populations kurdes de Syrie?

A la faveur de la guerre civile syrienne puis de la lutte contre l'Etat islamique, la minorité kurde de Syrie a consolidé une administration autonome au nord-est du pays, bordée à l'ouest par le fleuve Euphrate et au nord par la frontière turque.

Mais la Turquie considère que cette administration kurde abrite des combattants de la guérilla kurde du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), contre qui elle est en guerre depuis plusieurs décennies.

La Turquie souhaite donc affaiblir l'autorité des Kurdes de Syrie et créer une zone tampon à ses frontières, débarrassée de l'influence du PKK. Depuis de nombreuses années, l'aviation turque mène des frappes sur certaines cibles civiles et militaires de la région, mais la chute précipitée du régime de Bachar al-Assad a ouvert une nouvelle opportunité pour sécuriser ses frontières.

Sur le terrain, la Turquie se repose sur un ensemble de milices qu'elle arme et finance et qui se sont engouffrées dans le sillage de l'offensive sur Damas du groupe HTS.