Résumé de l’article
Mark Zuckerberg entre à son tour dans l'orbite de Donald Trump
Depuis ses débuts à la tête de Facebook, Mark Zuckerberg a présenté ses plateformes comme des outils de démocratisation de l’information, réaffirmant à maintes reprises son engagement envers la liberté d’expression. Mais ces dernières années ont été caractérisées par une montée des tensions, en particulier autour de la gestion des fake news et des critiques adressées aux réseaux sociaux dans leur rôle perçu "d’arbitres de la vérité".
Dans une vidéo surprise publiée le mardi 7 janvier, le multimilliardaire américain a annoncé un changement important: la fin du programme de fact-checking (ou vérifications des faits, en français) et son remplacement par un système de notes communautaires, inspiré du modèle de X (ex-Twitter).
Selon Mark Zuckerberg, "les vérificateurs ont été trop orientés politiquement et ont plus participé à réduire la confiance qu'ils ne l'ont améliorée, en particulier aux Etats-Unis".
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Lors d'une longue interview accordée vendredi à The Joe Rogan Experience, un célèbre podcast américain plutôt conservateur, Mark Zuckerberg a précisé sa pensée. D'après lui, il est important de revenir à la mission originelle du groupe, qui est de "donner aux gens le pouvoir de partager et de rendre le monde plus connecté".
Selon lui, les dix dernières années ont été marquées par des pressions pour mettre en place de la censure basée sur de l'idéologie. "Je pense que deux événements principaux ont vraiment déclenché cela. En 2016, il y a eu l'élection du président Trump, qui a également coïncidé avec le Brexit au sein de l'UE. Et en 2020, c'était le Covid. Je pense que c'est au cours de ces deux événements que nous avons été confrontés à une pression institutionnelle massive pour commencer à censurer du contenu pour raisons idéologiques", explique-t-il.
Le patron de Meta juge alors avoir été "trop déférent" envers beaucoup de personnes dans les médias qui expliquaient que Donald Trump avait été élu grâce à la désinformation sur les réseaux sociaux.
"Je suis parti du principe que tout le monde agissait de bonne foi, qu'il y avait des préoccupations sur la désinformation et que nous devions essayer de régler ce problème. Mais dès le début, j'étais vraiment inquiet à l'idée de devenir en quelque sorte celui qui décide de ce qui est vrai ou pas dans le monde. C'est une position dingue à occuper, quand des milliards de personnes utilisent votre service", précise-t-il.
Le cofondateur de Facebook indique alors avoir essayé de mettre en place un système où des vérificateurs tiers pourraient examiner "le pire du pire" en termes de canulars et autres fake news. Mais très rapidement, les vérificateurs se sont concentrés sur la vérification de faits politiques et "les gens ont senti que ces personnes étaient trop biaisées".
Une pression de l'administration Biden sur le Covid?
Au cours de son entretien avec Joe Rogan, Mark Zuckerberg rappelle également avoir fait face à des demandes insistantes de l’administration Biden pendant la pandémie de Covid-19.
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Comme il l'avait déjà expliqué à l'été 2024, des représentants du gouvernement auraient cherché à ce que Facebook retire des contenus liés aux vaccins, même lorsque ces informations étaient factuelles, notamment sur les potentiels effets secondaires. Mark Zuckerberg aurait alors exprimé son désaccord avec cette approche, affirmant que son entreprise n'était pas prête à censurer des discussions légitimes au nom d’un programme gouvernemental.
"Joe Biden a quand même déclaré, je ne sais plus si c'était à des journalistes ou lors d'une conférence de presse, que nous tuions des gens. Et ensuite, différentes agences et branches du gouvernement ont commencé à enquêter sur notre entreprise. C'était brutal", détaille encore le PDG de Meta dans le podcast. Pour lui, cette expérience aurait été un autre facteur déclencheur d'une prise de conscience sur le fait qu'il fallait donner plus de liberté d'expression aux personnes sur les réseaux sociaux.
Risques pour la démocratie ou liberté de ton retrouvé
Si Elon Musk a qualifié de "cool" la décision de ne plus avoir recours à des vérificateurs de faits, cette annonce a sans surprise provoqué de nombreuses réactions négatives.
Les professionnels de la vérification, tout d'abord, y voient une faute grave. "En s'alignant sur Elon Musk et Donald Trump, Mark Zuckerberg va accélérer la déferlante de la désinformation sur les réseaux sociaux. Et n'en doutez pas, cela aura un impact sur nos démocraties", prévient par exemple sur X Julien Pain, fact checker pour Franceinfo.
Plusieurs médias américains soulignent de leur côté qu'au-delà de la fin de la vérification des faits, des restrictions importantes sur les discours concernant l'immigration ou l'identité sexuelle ont été abolies. Dans un changement notable, l'entreprise dit désormais qu'elle autorise "les allégations de maladie mentale ou d'anomalie fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle, compte tenu du discours politique et religieux sur le transgendérisme et l'homosexualité", explique le magazine américain Wired.
Pour Meta, l'idée désormais est qu'il est anormal que des choses puissent être dites officiellement à la télévision ou au Congrès, mais pas sur les plateformes du groupe. Ces nouvelles règles, largement saluées par les conservateurs, sont perçues par les opposants comme une légitimation du harcèlement en ligne, essentiellement à l'égard des minorités.
Du côté conservateur et républicain, si le revirement du groupe Meta est globalement bien accueilli, certains estiment toutefois qu'il arrive un peu tard. "Nous avons dû créer le réseau Truth Social à cause de ce qui se passait sur Twitter et Facebook (...) Si Zuckerberg fait son mea culpa, c'est génial (...) mais je pense qu'il devrait aider les entreprises comme Fox News, Truth Social, Rumble et maintenant X, qui ont combattu chaque jour cette censure", a par exemple réagi sur Fox Devin Nunes, PDG de Truth Social, le réseau social créé par Donald Trump.
Des questions liées à la temporalité
Le revirement de Mark Zuckerberg, qui intervient à quelques jours seulement de la prise de fonction officielle de Donald Trump à la Maison Blanche, interpelle. Le PDG de Meta, qui avait suspendu les comptes Facebook et Instagram de l’ancien président de janvier 2021 à février 2023 après les événements du Capitole, se positionne désormais comme un ardent défenseur d’une liberté d’expression quasi absolue. Ces annonces soulèvent des questions sur le timing et les motivations derrière ce changement, dans un contexte politique particulièrement chargé.
Interrogé sur cette temporalité dans le podcast The Joe Rogan Experience, Mark Zuckerberg dit comprendre qu'on puisse prendre ça pour de l'opportunisme politique. Il juge toutefois qu'il n'existe pas de véritables bons moments pour modifier les règles de contenu de ses plateformes et qu'en période électorale, cela aurait sans doute été encore moins compris. Pour lui, le faire après l'élection est aussi une façon de souligner l'importance de prendre en compte l'état d'esprit actuel de la société et d'adapter les politiques de l'entreprise à ce nouveau "pouls culturel".
Dans une enquête publiée vendredi, le New York Times, qui a pu interroger plus d'une douzaine d'employés, de dirigeants de Meta ainsi que de conseillers de Mark Zuckerberg, explique que cette transformation a bien comme objectif de replacer le groupe dans un paysage politique désormais dominé par les conservateurs à Washington. Mais le grand quotidien américain ajoute que ces changements relèvent aussi profondément des opinions personnelles du dirigeant.
Selon plusieurs sources contactées par le journal, le PDG aurait à de multiples reprises émis des inquiétudes quant au contrôle "des progressistes" sur la liberté d'expression et se serait senti "malmené" par "la posture anti-technologie" de l'administration Biden.
Preuve que le changement va peut-être plus loin que de l'opportunisme, le groupe a annoncé vendredi dernier à ses employés mettre fin à ses efforts de diversité, d'équité et d'inclusion, en supprimant le poste de responsable de la diversité et en mettant fin à ses objectifs de recrutement, qui exigeaient l'embauche d'un certain nombre de femmes et de personnes issues des minorités ou qui donnaient la priorité aux entreprises sous-traitantes appartenant à des minorités.
Dans son entretien avec Joe Rogan, le dirigeant est sans doute encore plus explicite à ce sujet. Il estime entre autres que les politiques favorisant la diversité et l'inclusion ont en quelque sorte "castré culturellement" le milieu du travail. Expliquant avoir lui-même été "entouré de femmes toute sa vie", n'ayant eu que des sœurs et n'ayant élevé que des filles, il dit avoir redécouvert les bienfaits de "l'énergie masculine" en s'initiant au jiu-jitsu brésilien. S’il admet que certaines femmes peuvent se sentir exclues par une masculinité trop dominante dans le milieu professionnel, il avertit qu’il ne faut pas pour autant "condamner la masculinité dans son ensemble".
Tristan Hertig
L'Union européenne, la cible annoncée
Pour d'autres analystes, le ralliement de Mark Zuckerberg à un discours trumpiste plus libertarien et conservateur sur le plan sociétal trouverait aussi son intérêt dans l'opposition à l'Union européenne.
Pour John O'Brennan, professeur de sociologie de l'université irlandaise de Maynooth, le dirigeant de Meta "a vendu son âme à Trump", comme Musk, "car il déteste l’UE en raison de son pouvoir de réglementer son entreprise et de lui infliger des amendes en cas de violation du droit européen".
Dans son long entretien avec Joe Rogan, Mark Zuckerberg a critiqué les réglementations européennes, les qualifiant de "poids excessif", voire de "tarif" entravant la capacité des entreprises technologiques à innover. Il a exprimé son souhait que les États-Unis défendent leur secteur technologique comme un véritable pilier stratégique, appelant l’administration Trump à protéger les entreprises comme Meta.
Cette démarche le rapproche d’Elon Musk, qui a récemment affronté le commissaire européen Thierry Breton au sujet de la régulation des contenus en ligne. Tout comme Elon Musk, Mark Zuckerberg semble vouloir un alignement des autorités américaines pour contrer l’influence de l’Union européenne, forgeant ainsi un front commun en faveur d’une vision où la tech américaine, libre de contraintes, serait considérée comme un secteur stratégique et non soumis aux règles imposées de l’extérieur.
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