Résumé de l’article

  • La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie ouvre la voie à un possible rapprochement avec l'Occident et les monarchies du Golfe.
  • Le nouveau pouvoir, dirigé par un ex-groupe rebelle islamiste, suscite des inquiétudes chez certaines minorités malgré un discours prônant le pluralisme.
  • La reconstruction de la société syrienne, traumatisée par des décennies de guerre, représente un défi majeur, notamment concernant les disparus et les violations des droits humains.
  • Genève pourrait jouer un rôle clé dans les futures négociations pour la réconciliation et la reconstruction de la Syrie, grâce à son expertise sur le dossier syrien.
  • "L’Occident cherche à reprendre pied en Syrie"

    Syrie, les grandes manœuvres
    Syrie, les grandes manœuvres / Geopolitis / 25 min. / demain à 13:15

    Plus d'un mois après la chute du régime de Bachar al-Assad, les défis qui attendent la Syrie sont de taille, entre transition politique, enjeux diplomatiques et processus de réconciliation. Quelles sont les conséquences d'un tel renversement?

    Quelques jours seulement après la chute de la dynastie des Assad, qui a régné pendant plus de cinquante ans, les visites diplomatiques se succèdent à Damas. Représentants européens, ukrainiens, turcs… tous veulent rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed al-Charaa, plus connu sous son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani. C'est lui qui dirige le groupe rebelle islamiste Hayat Tahrir al Cham (HTC ou HTS), qui a renversé le régime de Bachar al-Assad le 8 décembre dernier au terme d'une offensive surprise. Le HTC est une ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, dont elle s'est désolidarisée en 2016.

    Vers un rapprochement occidental?

    "Ce qui se joue, pour les Occidentaux, mais aussi pour les monarchies du Golfe, c'est de se placer par rapport à ce nouveau pouvoir et de reprendre pied en Syrie, qui reste un pays absolument stratégique dans la région", analyse Souhail Belhadj Klaz, spécialiste de la Syrie et chercheur-professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, sur le plateau de Géopolitis.

    "[Sous le régime de Bachar al-Assad,] les pays occidentaux n'avaient plus aucune influence en Syrie, où seuls trois acteurs demeuraient: la Russie, l’Iran et la Turquie", précise-t-il. Le récent revers politique offre une occasion pour regagner de l'influence dans la région, face à une Syrie en quête de fonds pour sa reconstruction.

    "L'argent, mais aussi le savoir-faire qui peuvent servir à reconstruire la Syrie se trouvent majoritairement en Europe et aux Etats-Unis. Et le financement se situe aussi dans les pays du Golfe", constate Souhail Belhadj Klaz. Un rapprochement qui bénéficierait notamment au multilatéralisme, d’après l'expert: "Les pays européens sont des piliers de la communauté internationale. Les Nations unies, mais aussi d'autres grandes organisations internationales, comme le Fonds monétaire international, pourraient ainsi reprendre pied dans la région."

    Bien que perçue comme l'un des perdants dans ce nouveau contexte, Moscou, où Bachar al-Assad s'est exilé, semble néanmoins conserver une position stratégique. Le nouveau gouvernement souhaite maintenir une relation avec cet allié de la Syrie de longue date.

    Des espoirs et des craintes

    Du côté de la population civile, la chute de Bachar Al-Assad est globalement vécue comme une libération du joug de l'oppression. "L'institution du renseignement syrien (...) intervenait dans le quotidien des Syriens à tous les niveaux, du matin au soir", souligne le professeur.

    Cependant, pour certaines minorités, la montée au pouvoir d'une coalition islamiste inquiète, malgré les discours de tolérance des nouveaux dirigeants. C'est notamment le cas des chrétiens, qui représentent environ 10% de la population. Le 24 décembre, ils étaient des centaines à manifester à Damas après l'incendie d'un sapin de Noël près de la ville de Hama ainsi qu'une série d'attaques contre des cimetières et des églises.

    Des craintes notamment partagées par de nombreuses femmes, qui redoutent d'être à nouveau réduites au silence après que des milliers d'entre elles ont enduré des décennies d'emprisonnement, de torture et de viols.

    La communauté kurde de Syrie, longtemps réprimée et actuellement ciblée par des bombardements turcs dans le nord-est du pays, craint aussi pour sa sécurité face à une Turquie considérée comme l'une des grandes gagnantes du renversement politique. "Malgré l'idéologie islamiste radicale qui animait traditionnellement le HTC, les discours des nouveaux dirigeants prônent le pluralisme et se veulent plutôt rassurants", observe Souhail Belhadj Klaz, avant de nuancer: "Le nouveau pouvoir parle d'un régime unitaire et centralisé, plutôt que d’une fédération ou régionalisation qui aurait pu permettre à ces minorités de s'exprimer et de s'autogérer. (...) Il est permis d'être circonspect face à, d'un côté, un discours très pluraliste et inclusif, et de l'autre, l'intention d'organiser le pouvoir de manière centralisée."

    Documenter les atrocités

    Un des plus grands chantiers qui attend la Syrie restera sans doute la reconstruction de la société syrienne, ravagée par des décennies de guerre. Un mois après la libération des prisons par les rebelles, dont la tristement célèbre prison de Saydnaya, des dizaines de milliers de familles restent sans nouvelle de leurs proches. Certaines d'entre elles fouillent les cachots et même des fosses communes récemment mises au jour, révélant l'enfer carcéral du régime des Assad.

    Pour le CICR, notamment, qui n'avait jusqu'alors pas accès aux lieux de détention, c'est une véritable course contre-la-montre pour recueillir et préserver les preuves de ces atrocités. A ce jour, le CICR enregistre plus de 43’000 avis de disparition. Il ne s’agirait que d'une fraction du nombre total des disparus, avertit l'organisation.

    "La société syrienne est traumatisée psychologiquement par les atrocités de la guerre, commente Souhail Belhadj Klaz. La question de la santé mentale est capitale, tout comme celle de l'éducation."

    Pour l'expert, Genève est en bonne position pour accueillir de futures négociations en vue d'un processus de réconciliation et de reconstruction. "Depuis des années, le Conseil des droits de l'homme, mais aussi le bureau de l'Envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, travaillent pour documenter les violations des droits humains dans le pays. Ils connaissent donc les tenants et les aboutissants du dossier syrien et de sa transition. Cela permettrait surtout de garantir que le régime ne se radicalise pas en mettant justement des gardes fous à travers la communauté internationale représentée ici à Genève."

    Une institution indépendante de l’ONU a par ailleurs vu le jour à Genève en 2024 pour faire la lumière sur le sort des personnes disparues en Syrie.

    Rachel Barbara Häubi

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