Ce que cache l'essor du tourisme chinois en Afghanistan

Trois ans après la chute de Kaboul, le régime taliban cherche à atténuer son isolement de la scène internationale en misant sur le tourisme. [DR]
Le régime taliban mise sur le tourisme pour atténuer son isolement international / Le Journal horaire / 22 sec. / aujourd'hui à 05:02
Trois ans après la chute de Kaboul, le régime taliban cherche à atténuer son isolement sur la scène internationale en favorisant l'essor du tourisme chinois. Pékin, de son côté, y voit une opportunité pour renforcer sa coopération avec l'Afghanistan dont les sols regorgent de richesses naturelles.

À première vue, l’Émirat islamique d’Afghanistan, renommé ainsi par les talibans après leur prise de pouvoir en août 2021, n'a rien d'une destination prisée par les vacanciers.

Dans ce pays d'Asie centrale, les femmes n’ont plus le droit d’étudier au-delà de l’école primaire, de chanter, de faire du sport, ni même de parler en public. Plus récemment encore, les talibans ont interdit les fenêtres dans les pièces occupées par des femmes.

Malgré cette forte répression, les chiffres officiels montrent une progression importante du tourisme: 691 visiteurs en 2021, 2300 en 2022, et 7000 l’an dernier. Ces derniers viennent principalement de Chine mais aussi, dans une moindre mesure, d’Europe et des États-Unis.

>> Relire : Qui sont les talibans, qui ont repris le pouvoir en Afghanistan?

Vols directs depuis la Chine

Les visas sont pourtant particulièrement difficiles à obtenir et coûteux. En effet, la plupart des pays occidentaux ont rompu leurs relations avec l'Afghanistan après le retour au pouvoir des talibans, et aucun pays ne les reconnaît comme dirigeants légitimes du pays. En outre, alors que la majorité des ambassades ont fermé leurs portes, la Chine figure parmi les rares pays à avoir conservé une présence diplomatique dans la capitale afghane.

D'après le site internet de l'ambassade d'Afghanistan à Pékin, les citoyens chinois peuvent obtenir un visa pour l'Afghanistan en 7 jours ouvrables. Ils peuvent ensuite réserver un vol direct au départ de Ürümqi, dans le nord de la Chine, vers Kaboul pour environ 550 dollars américains, soit 500 francs suisses.

Il y avait de moins en moins de médias et de plus en plus de touristes. Le calcul était vite fait

Massoud, gérant d'une agence touristique en Afghanistan

Sur le réseau social Douyin (version chinoise de TikTok), l'influenceur Daliang spécialisé dans les vidéos de voyage partage à ses quelque 2,9 millions d'abonnés son périple en Afghanistan. "En traversant l'Afghanistan au milieu de la nuit, les talibans ont frappé à la portière de la voiture, mais ils étaient en fait là pour me protéger", peut-on lire dans le descriptif de sa vidéo. Sur cette dernière, partagées plusieurs milliers de fois, on le voit notamment plaisanter avec deux talibans, lourdement armés.

Certains touristes chinois n'hésitent pas non plus à poser avec une arme devant un coucher de soleil tandis que d’autres s’essaient à manipuler des lance-roquettes ou posent tout sourires aux côtés de combattants talibans (voir photo ci-dessous). Des clichés qu'ils partagent ensuite sur leurs réseaux sociaux personnels.

Des touristes chinoises posent aux côtés d'un membre des forces armées talibanes. [DR]
Des touristes chinoises posent aux côtés d'un membre des forces armées talibanes.  [DR]

Visages découverts pour les touristes chinoises

Selon une enquête menée par France 2, ces touristes chinois se rendent toujours dans les mêmes lieux emblématiques du pays, à savoir le Musée national de Kaboul, les jardins de Bagh-e Babur, les Bouddhas de Bamiyan ou les lacs de Band-e Amir, un site interdit aux femmes afghanes depuis août 2023.

Parmi les centaines de contenus analysés par France Télévision, les femmes afghanes n'apparaissent que très rarement dans l'espace public. Dans une vidéo postée en ligne, on peut voir une influenceuce croiser une femme afghane portant un voile intégral, conformément aux règles imposées par les talibans.

En revanche, une touriste chinoise, dans une autre vidéo, apparaît le visage découvert. Elle souligne même face caméra, cheveux aux vents, la relative indulgence des talibans envers les femmes étrangères. Elle mentionne notamment qu’ils l’ont vue conduire seule sans manifester d'objection. Un discours qui contraste largement avec la répression des femmes en Afghanistan, dénoncée par plusieurs ONG.

>> Lire aussi : Les talibans ferment les salons de beauté, rares sanctuaires féminins d'Afghanistan

Entre 1000 et 3000 dollars par personne

Certaines agences telles qu’Untamed Borders, spécialisée dans les circuits touristiques en Syrie et en Somalie, avaient déjà fait du tourisme dans les zones "à risque" leur créneau. Et constatant l'essor du tourisme dans le pays, Massoud, qui a été pendant des années traducteur et "fixeur" pour des journalistes étrangers, a lancé sa propre agence en 2023 en Afghanistan.

"Il y avait de moins en moins de médias et de plus en plus de touristes. Le calcul était vite fait", témoigne-t-il dans le Figaro. Un séjour d’une semaine coûte entre 1000 et 3000 dollars par personne, selon ses dires. En un an, il a accueilli une centaine de voyageurs. Aucun n’a posé de questions sur les droits des femmes dans le pays, ni sur le contexte sécuritaire, même après l’attentat de Bamiyan en mai 2024 (trois touristes espagnols tués).

Sur le réseau social chinois Douyin, des annonces colorées proposent un voyage personnalisé et exotique, avec des démarches administratives simplifiées. Les visites sont soigneusement planifiées, les restaurants sélectionnés pour savourer la cuisine locale. Cette offre alléchante garantit une expérience sécurisée dans l'une des zones les plus périlleuses du monde.

Au-delà du tourisme, des intérêts financiers

Mais comment explique cet attrait de la Chine pour l'Afghanistan? Et pourquoi le régime taliban facilite-t-il leur venue dans le pays? Au-delà de l'attrait touristique, leur collaboration dissimule aussi et surtout des intérêts commerciaux. Sous le coup des sanctions internationales, les intégristes islamistes cherchent à exploiter les richesses du sol afghan, riche en cuivre, or, argent et lithium, tout en normalisant leur image.

Ils proposent régulièrement sur le site du ministère des Mines des appels d'offres pour différents projets. La Chine y voit l'occasion de mettre la main sur ces ressources, dont la valeur totale pourrait dépasser les 1000 milliards de dollars, selon un rapport commun de l’ONU et de l’Union européenne.

Les ressortissants chinois désireux d'investir en Afghanistan peuvent également compter sur une chambre de commerce non officielle basée dans le Chinatown de Kaboul. Ce complexe de plusieurs étages, inauguré en 2017, incarne l'expansion économique chinoise dans la région.

L'immeuble Chinatown à Kaboul, avril 2021. [Google maps]
L'immeuble Chinatown à Kaboul [Google maps]

Mais aussi des obstacles

Enfin, en juillet dernier, les deux pays ont officiellement relancé un projet d'extraction de cuivre, qui était enlisé depuis 2008 en raison de la guerre, mais aussi par la découverte sur place d'un site archéologique datant du IIIe siècle. Le projet évalué à plusieurs milliards de dollars est supervisé par la China Metallurgical Group Corporation. Il prévoit la construction d'une route de 25 km et pourrait aboutir à la deuxième plus grande mine de cuivre du monde.

Le ministre des Affaires étrangères par intérim de l'émirat, Amir Khan Muttaqi, accueille le ministre chinois des Affaires étrangères de l'époque, Wang Yi, à l'aéroport de Kaboul, avant une réunion des voisins de l'Afghanistan à Pékin, en mars 2022. [AFP]
Le ministre des Affaires étrangères par intérim de l'émirat, Amir Khan Muttaqi, accueille le ministre chinois des Affaires étrangères de l'époque, Wang Yi, à l'aéroport de Kaboul, avant une réunion des voisins de l'Afghanistan à Pékin, en mars 2022. [AFP]

Malgré les annonces de grands contrats miniers, l'Afghanistan est encore loin d'en tirer profit et l'engagement chinois dans le pays pourrait prendre des années à se concrétiser. Selon un récent rapport de l'Afghanistan Analyst Network, les projets chinois pourraient par ailleurs être retardés en raison des mauvaises infrastructures, du manque de main-d'œuvre qualifiée et des coûts élevés d'importation d'équipements.

Hélène Krähenbühl

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