Résumé de l’article
Des dépenses de défense à 5% du PIB? L'exigence inaccessible posée par Donald Trump à l'Otan
Lors de son premier mandat à la tête des Etats-Unis, Donald Trump exhortait déjà les Européens à ouvrir leur portemonnaie pour renforcer leurs capacités militaires. Alors qu'il s'apprête à prendre ses fonctions pour la deuxième fois, le président américain élu a demandé aux pays membres de l'Otan de consacrer à l'avenir 5% de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense. Cet objectif est-il réaliste?
Historiquement, les membres de l'Alliance atlantique ont dépensé beaucoup plus qu'aujourd'hui pour leur armée, au-delà des 5% du PIB, notamment pendant la guerre froide. Au début des années 1970, les dépenses des Etats-Unis et du Royaume-Uni dépassaient d'ailleurs encore ce niveau, comme le montre le graphique ci-dessous basé sur les données du SIPRI, l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Volonté de réarmement contre difficultés budgétaires
En 2022, l'invasion russe de l'Ukraine a suscité en Europe un sentiment d'urgence à remplir les stocks d'armes et à faire grimper les dépenses de défense. Mais près de trois ans plus tard, la situation semble quelque peu différente, dans un contexte de ralentissement économique et de finances publiques tendues. Cette année, sept membres de l'Otan ont ainsi fait l'objet d'une procédure de déficit excessif de la part de l'Union européenne (UE).
Pour l'Allemagne, 5% du PIB correspondent à plus de 200 milliards d'euros, alors que le budget fédéral n'atteint même pas 500 milliards d'euros. Atteindre un tel niveau ne pourrait se faire "qu'avec des augmentations massives d'impôts ou des coupes sévères sur des choses qui sont très importantes pour nous", a déclaré le chancelier allemand sortant Olaf Scholz lundi en marge d'un événement de campagne électorale à Bielefeld.
Difficile de dépenser plus en temps de crise
Le chancelier social-démocrate a toutefois promis que Berlin respecterait l'objectif actuel de l'Alliance atlantique, à savoir les 2% du PIB fixés en 2014. L'Allemagne a atteint cette barre l'an dernier. Les chrétiens-démocrates de la CDU, favoris pour reprendre la chancellerie à la suite des élections du 23 février, s'en tiennent aussi à cet objectif.
L'objectif de 5% du PIB est jugé hors de portée par le gouvernement allemand, a confirmé en début de semaine le ministre de la Défense Boris Pistorius lors d'une rencontre avec ses homologues britannique, français, italien et polonais. Ces derniers sont presque tous sur la même longueur d'onde. "Augmenter les dépenses de défense en temps de crise économique est plus compliqué", a reconnu le ministre de la Défense italien Guido Crosetto.
La Pologne se mue en puissance militaire
Seule la Pologne, en passe de devenir la première puissance militaire européenne (hors Russie), soutient l'objectif de Donald Trump. Varsovie a doublé ses efforts au cours des deux dernières années. Echaudés par la guerre en Ukraine, les pays de l'Est comme l'Estonie sont à la pointe du mouvement de réarmement qui touche l'ensemble du continent européen.
Bien qu'ils restent, en chiffres absolus, les champions au niveau mondial, les États-Unis peinent eux aussi à maintenir leurs dépenses de défense au-dessus de la barre des 3%, loin des 5% vantés par Donald Trump. Fidèle à son caractère, le milliardaire semble viser très haut pour obtenir des concessions des alliés européens. Cette stratégie pourrait d'ailleurs profiter à l'industrie américaine de l'armement, qui tire déjà pleinement parti des bouleversements géopolitiques.
Vers un compromis à 3% du PIB?
Dans cette optique, selon des sources citées dans un article du Financial Times à la mi-décembre, un compromis pourrait être trouvé. Les pays membres de l'Otan entameraient des négociations pour fixer un niveau minimum de 3% du PIB à partir de 2030, lors du sommet qui se tiendra en juin à La Haye, aux Pays-Bas. Le secrétaire général de l'Alliance atlantique, l'ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte, n'a pas souhaité faire de commentaire.
Cependant, cet objectif n'est pas facile à atteindre. En plus de l'Islande qui ne possède pas à proprement parler d'une armée, pas moins de neuf des 32 pays de l'Otan, dont l'Italie et l'Espagne, n'ont pas encore atteint, après une décennie, l'objectif de 2% fixé en 2014. En 2021, avant la guerre d'Ukraine, six pays avaient atteint ce seuil.
Quid de la Suisse?
Même si elle souhaite une coopération plus étroite avec l'Otan, la Suisse ne fait pas partie de l'Alliance atlantique. Elle n'est donc pas tenue d'atteindre ses objectifs de dépenses. Au vu du contexte géopolitique, la majorité du Parlement a toutefois approuvé le mois dernier une augmentation de 530 millions de la manne dévolue aux dépenses d'armement pour l'année 2025, à 2,7 milliards de francs. Le budget total de l'armée s'élève quant à lui à 6,3 milliards de francs.
L'objectif de la Confédération est d'atteindre des dépenses de défense de l'ordre de 1% du PIB d'ici 2032. Si la Suisse souhaitait atteindre la barre des 5% du PIB, la facture totale s'élèverait à près de 45 milliards de francs, soit plus de la moitié du budget fédéral (86,5 milliards de francs).
Stefano Pongan, RSI
Adaptation en français: Didier Kottelat