"Nous avons de sérieuses indications selon lesquelles les violences n'avaient rien de spontané et qu'elles ont été dans une certaine mesure orchestrées, ciblées et bien planifiées à l'avance", a déclaré à la presse le porte-parole du Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme Rupert Colville.
L'une de ces attaques a visé une salle de sports fréquentée par les membres d'un gang criminel. "Au moins à l'origine, il semble faux de parler de conflit interethnique. Il semble qu'il y ait eu au départ d'autres motivations", a ajouté le porte-parole.
La violence a ensuite dégénéré selon un clivage ethnique entre Kirghizes et Ouzbeks. Le porte-parole a cependant évité toute accusation directe.
Plusieurs centaines de victimes selon la Croix-Rouge
Plusieurs centaines de personnes ont été depuis le début des violences jeudi dernier, selon le comité international de la Croix-Rouge (CICR). Le CICR a précisé ne pas disposer de chiffres précis, mais son porte-parole Christian Cardon a déclaré que le nombre de tués s'élevait à "plusieurs centaines".
Le gouvernement intérimaire à Bichkek a pour sa part accusé l'ancien président déchu en avril Kourmanbek Bakiev, réfugié au Bélarus, d'avoir mis le feu aux poudres.
Le porte-parole du Haut Commissariat a dénoncé les "assassinats indiscriminés" ainsi que de nombreux viols. "Il semble que des femmes kirghizes et ouzbèkes à la fois ont été violées", a-t-il précisé. Il a mis en garde contre la poursuite de violences dans une région où les groupes ethniques forment "une mosaïque très complexe".
Dans un communiqué, trois experts de l'ONU ont lancé un appel à la fin des violences. "La situation reste très précaire et dangereuse et l'on doit prendre des mesures rapides et appropriées pour rétablir le calme et prévenir d'autres explosions de violence", ont averti les experts, Gay McDougall (minorités), Philip Alston (exécutions sommaires), Githu Muigai (racisme).
Le HCR revoit le nombre de déplacés à la hausse
Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a pour sa part craint mardi une escalade de la violence dans la "poudrière ethnique" du Kirghizstan, où les récents affrontements auraient poussé quelque 275'000 personnes à fuir leur maison.
Le HCR, qui s'attend à ce que les violences poussent de nouvelles personnes à abandonner leur foyer, a décidé lundi d'envoyer une aide d'urgence à ces milliers de réfugiés. Quelque 240 tonnes de matériel seront ainsi envoyées en Ouzbékistan mercredi, selon Andrej Mahecic, un porte-parole du HCR.
La présidente par intérim tente de calmer le jeu
Pour la présidente par intérim du Kirghizstan, une force de maintien de la paix n'est pas nécessaire. Elle assure par ailleurs que le référendum sur la Constitution prévu le 27 juin sera maintenu en dépit des violences interethniques meurtrières.
Les violences entre Kirghizes et la minorité ouzbèke, qui ont fait au moins 170 morts depuis cinq jours, sont déjà en train de "diminuer", a observé Rosa Otounbaïeva.
agences/jeh
Vieilles tensions et nouvelles frustrations
Historiquement, les relations entre la minorité ouzbèke (15 à 20% de la population du Kirghizstan) et les Kirghizes sont tendues.
Les modes de vie différents entre ces deux communautés qui ont partagé les steppes et les montagnes d'Asie centrale avec difficulté durant des siècles sont au coeur des tensions.
"Historiquement, les Ouzbeks étaient sédentaires et les Kirghizes nomades, et il y a une sérieuse différence entre leurs civilisations", relève Arnaud Dubien, directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques à Paris.
Bien qu'ils ne représentent que moins de la moitié de la population du Sud du Kirghizstan, les Ouzbeks ont dominé l'agriculture et le commerce local, favorisant l'émergence de ressentiments chez leurs voisins kirghizes, selon des experts.
Mais d'un autre côté, les Ouzbeks se sont sentis sous-représentés au sein du gouvernement kirghiz, malgré l'importance de leur minorité.
Les récentes violences ont éclaté à environ deux semaines d'un référendum sur l'adoption d'une nouvelle Constitution prévu le 27 juin.
Dans ce nouveau projet de Constitution, aucun compromis n'a été fait en faveur du développement de la langue ouzbèke mais le russe est préservé comme seconde langue officielle.
Le crime organisé pointé du doigt
D'après les analystes, les tensions ethniques ne sont pas seules responsables des violences.
Certains ont accusé des groupes criminels, soutenant le président déchu, Kourmanbek Bakiev, d'être à l'origine des troubles dans le but de déstabiliser le nouveau gouvernement provisoire.
Les récentes violences entre Kirghizes et Ouzbeks sont les pires depuis celles des années 1990, qui avaient fait des centaines de morts dans la région d'Och, dans le Sud du Kirghizstan.