Publié

Un vide juridique profite aux armées privées

Les soldats privés devraient bientôt être déclarés "personae non gratae" en Afghanistan.
Ce type de sociétés de sécurité privées est surtout actives en Irak et en Afghanistan.
La Suisse n'a pas de moyen juridique pour contrôler les armées privées qui s'établissent sur son sol, comme vient de le faire la société britannique Aegis à Bâle. Un professeur zurichois demande à la Confédération de créer des bases légales pour réglementer ce domaine.

"Il n'y a en Suisse aucune instance qui puisse établir des règles pour ce type d'entreprises", a indiqué mardi Albert Stahel, professeur d'études stratégiques à l'Institut de sciences politiques de l'université de Zurich.

Cette prise de position intervient alors que la presse a révélé lundi que la société de sécurité et défense britannique Aegis avait fondé une holding en Suisse, avec son siège à Bâle. Cette société a prétendu avoir choisi la Suisse "de par sa position géographique, sa transparence comptable et son système fiscal stable". Aegis voit également d'un bon oeil la proximité des institutions onusiennes et des ONG.

L'établissement de cette société en Suisse est légal du point de vue de la liberté de commerce, mais elle inquiète tout de même. Les autorités de Bâle-Ville ont ainsi demandé au Département de justice et police le bien-fondé de l'arrivée de ces sociétés sur terre helvétique.

Compatible avec la neutralité?

Un moyen de réglementer ces sociétés serait de leur imposer une licence, par le biais du droit de la société anonyme, explique encore Albert Stahel. Dans une interview à la Basler Zeitung mardi, le spécialiste critiquait déjà le fait que la société Aegis puisse évoluer en Suisse en dehors de toute surveillance étatique. Depuis que ces armées privées ont fait les manchettes pour des histoires douteuses, les gouvernements américain et britannique les ont davantage à l'oeil. D'où la logique de venir se mettre à l'abri dans un pays comme la Suisse, avance l'universitaire.

"Lorsqu'une société avec siège social en Suisse opère en Irak pour le compte des Etats-Unis, c'est pour le moins discutable du point de vue de la neutralité", souligne encore le spécialiste. La Suisse ne devrait être en lien avec aucun pays en guerre, selon lui. Pourtant Aegis est une armée de mercenaires qui va au front. Même au DFJP, on n'exclut pas que l'installation de ce type d'entreprises en Suisse pose des problèmes du point de vue de la neutralité ou de la politique humanitaire.

Le DFAE ne voit pas de problème

Selon Marc Schinzel, collaborateur scientifique au DFJP, il pourrait y avoir contradiction avec le Document de Montreux sur les entreprises militaires et de sécurité privées. Dix-sept Etats avaient décidé en 2008 à Montreux, sous l'égide de la Suisse et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de contrôler davantage les sociétés de sécurité privées. Ils s'engageaient également à les astreindre au respect du droit humanitaire international.

Si la Suisse devenait plus populaire auprès de ce type d'entreprises, il faudra réévaluer la situation, estime encore M. Schinzel. Le Département fédéral des affaires étrangères estime pour sa part que l'implantation de telles entreprises en Suisse est compatible avec la neutralité. Elle n'implique en effet pas la Suisse dans un conflit armé.

Exemptées de l'obligation de s'enregistrer

En mai 2008, le Conseil fédéral avait décidé que les sociétés de sécurité privées basées en Suisse et actives dans des zones de crise ou de conflit à l'étranger étaient à priori exemptées de l'obligation de s'enregistrer et d'obtenir une autorisation fédérale. Les raisons de cette exemption: l'importance très réduite du marché suisse pour ce type de sociétés et les dépenses disproportionnées qu'un tel contrôle exigerait.

Dans sa décision, le Conseil fédéral s'appuyait sur une étude du Center for the Democratic Control of Armed Forces à Genève et du Département fédéral de la Justice et Police. Un groupe de travail dirigé par le DFJP avait jugé peu élevé le risque d'incident qui serait dommageable pour la politique extérieure, de sécurité, voire pour la neutralité de la Suisse.

agences/boi

Publié

En Afghanistan aussi

En Afghanistan, le président Hamid Karzaï a décidé de sévir contre les compagnies privées de sécurité qui travaillent à l'intérieur du territoire. Et ce en accord avec la Force international d'assistance.

Selon son porte-parole, le chef de l'Etat va fixer une date limite après laquelle il va dissoudre ces compagnies privées, qui sont au nombre de 52 en Afghanistan.

Quelque 40'000 personnes travaillent en Afghanistan dans le secteur florissant de la sécurité, que ce sont des compagnies internationales ou des sociétés afghanes.

Ces sociétés travaillent souvent avec les forces internationales, le Pentagone, la représentation de l'ONU, les entreprises chargées de gérer les milliards de dollars de l'aide internationale, les ONG et les médias occidentaux.

Les employés de ces sociétés sont en majorité des Afghans, les étrangers, souvent d'anciens militaires, assurant l'encadrement.

A l'instar du conflit en Irak, où elles étaient apparues en force, elles sont devenues incontournables en Afghanistan, protégeant les convois de ravitaillement de l'OTAN ou le personnel expatrié qui travaille sur les programmes d'aide internationale, mais assurant également l'entraînement des forces afghanes de sécurité.

Elles ont mauvaise presse auprès des Afghans qui leur reprochent parfois leur brutalité, notamment sur les routes du pays.

Une des plus grandes sociétés au monde

Aegis Group Holding s'est enregistré en mars dernier comme société anonyme et conformément au droit fédéral, ajoute-t-il dans un communiqué.

Basée à Londres, Aegis est une des plus importantes armées privées du monde, qui emploierait environ 20'000 personnes.

Elle est principalement active en Irak et en Afghanistan, sous-traitant des activités en particulier pour le compte du gouvernement américain.

La société est dirigée par Timothy Spicer, ancien lieutenant-colonel du régiment des Scots Guards. Il a notamment servi en Irlande du Nord, durant la bataille des Malouines et en Irak.