La nécessité de légiférer sur les fonds détournés des
dictateurs a été constatée à la suite d'affaires dans lesquelles les Etats
requérants n'étaient pas en mesure de mener des procédures pénales nationales,
en raison de la défaillance de leur système judiciaire. Dans ces cas, la Suisse peut se voir forcée
de rendre les avoirs illicites des potentats à leurs proches.
Les fonds de l'ancien président zaïrois Mobutu ont ainsi été
remis à ses héritiers en 2009 au lieu de revenir à la population. Autre
problème, le Conseil fédéral doit se baser actuellement sur le droit de
nécessité inscrit dans la constitution pour pouvoir geler des avoirs.
L'UDC a combattu en vain la nouvelle législation, estimant
qu'elle mettait à mal plusieurs principes de l'Etat de droit. Faute d'avoir pu
enterrer le projet lors de l'entrée en matière, le parti a tenté, sans davantage
de succès, d'en affaiblir la portée.
1ère étape: bloquer l’argent
Trois étapes sont prévues dans la loi sur la restitution des
avoirs illicites, dont les Haïtiens devraient être les premiers à profiter.
Dans un premier temps, le Conseil fédéral pourra bloquer
l'argent litigieux lorsque l'entraide judiciaire internationale ne peut pas
aboutir. Les valeurs patrimoniales devront faire l'objet d'une mesure
provisoire de saisie et appartenir à des dirigeants politiques ou à leurs
proches. La sauvegarde des intérêts de la Suisse devra être en jeu.
La décision de bloquer les fonds pourra faire l'objet d'un
recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Celui-ci n'aura pas
d'effet suspensif. Une fois le blocage ordonné et pour éviter qu'il ne devienne
caduc, le Conseil fédéral aura au maximum dix ans pour ouvrir une action de
confiscation auprès du TAF.
Par 112 voix contre 58, le National a accepté que le
gouvernement puisse utiliser ce laps de temps pour rechercher une solution
transactionnelle en vue de restituer l'argent. Cette disposition a été décriée
à gauche, pour qui il n'est pas question de négocier avec la famille de
potentats.
"Je comprends vos soucis moraux, mais il faut une
certaine flexibilité", a répondu la conseillère fédérale Micheline
Calmy-Rey. Une solution transactionnelle ne deviendra pas la règle, a-t-elle
assuré. Mais, comme l'expérience l'a montré, cette négociation peut s'avérer
très utile lorsque l'on n'arrive pas à trouver une solution devant les
tribunaux.
2e et 3e étapes: confisquer et
restituer les avoirs
Deuxième étape, la confiscation des avoirs sera prononcée
par le TAF. Il y aura présomption de caractère illicite quand l'enrichissement
est exorbitant ou que la corruption est notoire. Mécanismes de restitution
Enfin, la nouvelle loi prévoit différents mécanismes pour
une restitution rapide de l'argent et éviter qu'il tombe entre les mauvaises
mains. Les fonds devront servir à améliorer les conditions de vie de la
population du pays concerné, à renforcer l'Etat de droit et à lutter contre
l'impunité des criminels. La restitution des avoirs se fera par le financement
de programmes d'intérêt public. Les modalités pourront faire l'objet d'un
accord entre la Suisse
et l'Etat d'origine.
A défaut, le Conseil fédéral fixera comment l'argent sera
rendu. Il pourra passer par l'entremise d'organisations internationales ou
d'organisations non gouvernementales. Une fois l'affaire terminée, la Confédération ou les
cantons pourraient recevoir un montant forfaire allant jusqu'à 2,5% des valeurs
confisquées pour couvrir les frais de blocage et de restitution.
Par 108 voix contre 50, la Chambre du peuple a refusé
que le gouvernement se retourne contre les banques. Le gauche a proposé en vain
qu'il puisse mettre à la charge des intermédiaires financiers qui ont géré
l'argent illicite tout ou partie du montant forfaitaire.
ats/bkel
Les Haïtiens en tête de liste
Les premiers à bénéficier de la nouvelle loi sur la restitution des avoirs illicites devraient être les Haïtiens. Sept millions de francs dorment encore sur des comptes en Suisse.
Le 12 janvier, la veille du séisme en Haïti, le Tribunal fédéral a estimé que les fonds Duvalier ne pouvaient pas être remis aux autorités de Port-au-Prince à cause d'une prescription. Réagissant à cette décision, le Conseil fédéral a de nouveau bloqué les avoirs de l'ancien dictateur.
Les dispositions transitoires de la loi prévoient que les fonds gelés lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle législation le resteront jusqu'à ce qu'une décision soit prise par le Tribunal administratif fédéral concernant leur confiscation.
Le Conseil fédéral aura un an à compter de l'entrée en vigueur pour ouvrir une action en ce sens.