Sept membres des services de sécurité et cinq assaillants ont aussi trouvé la mort lorsque les commandos irakiens ont donné l'assaut pour mettre un terme à la prise d'otages dans la cathédrale syriaque catholique.
Coup porté aux chrétiens
Cette attaque, l'une des plus meurtrières contre les chrétiens en Irak, devrait accélérer l'exode des membres de cette communauté, dont le nombre est passé de 800’000 à 500’000 depuis l'invasion de 2003 (lire ci-contre).
Elle a été revendiquée par un groupe d'Al-Qaïda qui a donné un ultimatum de 48 heures à l'Eglise copte d'Egypte pour libérer des musulmanes "emprisonnées dans des monastères" de ce pays, selon le centre américain de surveillance des sites islamistes (SITE).
Une source au sein du ministère de l'Intérieur a fait état de "46 tués parmi les fidèles, notamment des femmes et des enfants, et 60 blessés, dont une vingtaine dans un état grave". Concernant les assaillants, trois ont été tués et deux se sont suicidés en faisant détonner leur ceinture d'explosifs. Huit suspects ont été appréhendés, selon la même source.
"C’est inhumain"
Le vicaire épiscopal syriaque catholique de Bagdad, Mgr Pios Kasha, avait auparavant fait état de 42 fidèles tués, dont deux prêtres, précisant que moins de 80 personnes assistaient à la messe. "C'est un immense sentiment de tristesse qui m'envahit (...). C'est inhumain. Même les animaux ne se comportent ainsi entre eux", a déclaré à l'AFP l'évêque chaldéen de Bagdad, Shlimoune Wardouni.
La cathédrale Sayidat al-Najat (Notre-Dame du Perpétuel secours) ressemblait à un champ de bataille. "Nous n'avons plus notre place ici. Qu'est ce qu'ils veulent de nous? Que leur a-t-on fait? Ils ont tué des innocents qui priaient. Ils veulent nous faire partir et que fait le gouvernement? Absolument rien", a affirmé Mgr Kasha. "Tout le monde va partir".
"Comme chaque dimanche, la messe a commencé vers 17h00 (15h00 en Suisse). Un quart d'heure plus tard, nous avons entendu des explosions", "puis les terroristes ont pénétré (...) dans l'église", a raconté Bassam Sami Youssef, 21 ans, un rescapé de la tuerie. "Le père Wassim a (...) essayé de parlementer avec les assaillants mais ces derniers l'ont immédiatement abattu, ainsi que le père Athir", a-t-il ajouté.
"C'était la panique. Les terroristes ont jeté une grenade sur sept fidèles qui tentaient de s'échapper". Le commandement des opérations de Bagdad, cité par la télévision officielle, a annoncé lundi l'arrestation de deux employés de la chaîne Baghdadiya qui ont reçu une communication au cours de laquelle les assaillants ont détaillé leurs revendications.
afp/bkel
LES CONDAMNATIONS AFFLUENT
Lors de l'angélus place Saint-Pierre, le pape Benoît XVI a dit prier "pour les victimes de cette violence absurde, d'autant plus féroce qu'elle a frappé des personnes sans défense, réunies dans la maison de Dieu, qui est un lieu d'amour et de réconciliation".
Le porte-parole de la diplomatie américaine a condamné lundi la prise d'otages, la jugeant "particulièrement répréhensible" l'attaque d'un lieu de culte. Par ailleurs, l'armée américaine a démenti avoir participé à l'assaut pour mettre un terme à la prise d'otages, affirmant que ses soldats n'avaient agi qu'à titre de conseillers.
La Haute représentante de l'UE aux Affaires étrangères, Catherine Ashton, a elle aussi condamné la prise d'otages "inacceptable" dans une église catholique de Bagdad, qui a abouti à la mort de 46 "civils innocents".
Dans "ce moment difficile", l'UE réaffirme son "plein soutien à la population de l'Irak" et appelle "toutes les formations politiques irakiennes à oeuvrer ensemble contre la menace des violences", a-t-elle ajouté.
Le Premier ministre sortant Nouri al-Maliki a dénoncé un "crime lâche" et affirmé qu'"Al-Qaïda et les résidus de l'ancien régime (de Saddam Hussein) cherchent la déstabilisation, à raviver les conflits confessionnels et à inciter les Irakiens à quitter leur pays".
Après Rome et Paris dimanche soir, la Russie et la Jordanie ont également condamné lundi cette attaque, de même que le Conseil oecuménique des Eglises, qui s'est dit "profondément préoccupé par les souffrances permanentes des chrétiens d'Irak".
Le Hezbollah libanais a estimé pour sa part que "jamais la région (...) n'avait été témoin d'un tel crime odieux, jusqu'à l'occupation américaine de l'Irak".
Enfin, le ministre français de l'Immigration Eric Besson a indiqué lundi que la France était prête à accueillir 150 chrétiens irakiens, en priorité des "personnes blessées dans l'attentat et leurs familles".
L'exil des chrétiens d'Orient
Tiraillés entre Orient et Occident, entre les origines socio-culturelles arabes de leur pays et une religion qui les rapproche des peuples occidentaux, les chrétiens d’Orient sont constamment contraints au grand écart.
D’un côté, leur vie quotidienne est forcément liée à celle de leurs compatriotes musulmans. De l'autre, l’influence occidentale sur la région - directe ou indirecte - leur a souvent fait endosser l’habit de traîtres ou de peuple de seconde zone.
Cette situation difficilement tenable a forcé, à travers diverses vagues, l’exode de cette communauté modeste en nombre mais symboliquement essentielle sur une terre berceau des trois grandes religions monothéistes.
Selon les estimations, entre 10 et 20 millions de chrétiens vivent aujourd’hui au Moyen-Orient. Autant que ceux qui ont fait le choix du départ. La diaspora est principalement présente en Amérique du Nord, en Europe, en Amérique Latine et en Australie
Les chrétiens d'Irak en première ligne
Les chrétiens irakiens ont été particulièrement touchés ces dernières années suite à la dislocation du pays après l'invasion américaine. L’attentat perpétré dimanche à Bagdad s’inscrit dans une situation de danger perpétuel. Depuis les deux guerres contre le régime de Saddam Hussein, la population chrétienne a diminué d’un tiers.
L’événement tragique de dimanche incitera encore plus cette minorité à choisir la route de l’exil. Les plus aisés essayeront d’aller aux Etats-Unis, au Canada ou en Scandinavie. Les autres tenteront de s’installer au Kurdistan irakien – considéré comme plus sûr en termes de sécurité que le reste du pays, mais encore loin d’être idéal – ou en Syrie.
Les autres pays de la région connaissent, pour diverses raisons, également leurs exils chrétiens. Au Liban, depuis le début de la guerre civile en 1975, 40% des chrétiens ont décidé de quitter le pays. En Egypte, la minorité copte doit faire face à la progression des frères musulmans et souffre de diverses discriminations. La question du départ du pays n’est plus un tabou.
Ce n’est pas uniquement dans le monde musulman que la présence chrétienne vieille de deux millénaires s'érode inexorablement. En 1948, Jérusalem comptait environ un cinquième de chrétiens. Ils ne représentent aujourd’hui plus que 2% de la population de la ville "trois fois sainte".
Marc Renfer