Aung San Suu Kyi, âgée de 65 ans, a passé 15 des 21 dernières années en détention. Elle aura purgé samedi sa dernière peine de dix-huit mois d'assignation à résidence. Elle a fait savoir mercredi par son avocat qu'elle refuserait toute condition posée par la junte à sa remise en liberté.
Situation floue
Selon des informations non confirmées diffusées sur internet et par certains médias, le numéro un de la junte, le général Than Shwe, a déjà signé l'ordre de relaxe. Mais rares sont les personnes, en dehors du premier cercle qui gravite autour du général, à savoir ce qui va se passer. Même les ministres semblent être dans l'ignorance de la décision qui sera prise, dit-on de source diplomatique.
"C'est la nature même de Than Shwe et de son régime", explique David Mathieson, spécialiste de la Birmanie à l'ONG Human Rights Watch (HRW). "Les gens du gouvernement ne savent pas, le parti de Suu Kyi ne sait pas, les experts ne savent pas non plus. Tout ce qu'on sait, c'est que l'assignation à résidence arrive à expiration samedi... Tout le reste n'est que spéculation", ajoute-t-il.
Environ 300 sympathisants se sont rassemblés autour de la maison de Suu Kyi à Rangoun, après des rumeurs faisant état d'une libération dès ce vendredi. Quelque 600 partisans de l'opposition, certains brandissant des photographies de Suu Kyi, se sont aussi rassemblés devant le siège de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), la formation de la dissidente qui s'est sabordée en tant que parti politique et n'a pas participé aux élections législatives de dimanche dernier.
Immenses défis
Fille du général Aung San, héros de l'indépendance birmane assassiné en 1947, Aung San Suu Kyi avait été condamnée en août 2009 à 18 mois supplémentaires d'assignation à résidence pour avoir laissé un ressortissant américain entrer trois mois plus tôt dans sa maison sur les bords du lac Inya.
Sa probable libération pose la question de ses intentions face aux défis qui l'attendent, de la contestation des résultats des élections à la possible réorganisation d'une opposition divisée.
"Si elle veut se battre contre le nouveau gouvernement, elle devra d'abord s'assurer de renforcer les partis d'opposition", plaide Pavin Chachavalpongpun, de l'Institut des études sur l'Asie du Sud-Est à Singapour. Et créer un nouveau parti en recrutant "de nouveaux et jeunes hommes politiques pour s'assurer que quelqu'un mettra en oeuvre son message".
Ce qui semble ne faire aucun doute pour les analystes, c'est que la population sera là pour l'accueillir. "Tout Rangoun voudra l'apercevoir", estime Maung Zarni. "Elle est comme Mandela, elle a toujours un pouvoir de mobilisation".
Votations critiquées
Le principal parti lié à la junte a remporté une écrasante victoire aux élections en recueillant environ 80% des sièges. Les deux plus importants partis pro-démocratie en lice pour ce scrutin ont concédé leur défaite tout en accusant l'armée d'avoir truqué les résultats.
Ce premier scrutin pluraliste depuis vingt ans en Birmanie a été très critiqué par le Japon, les Etats-Unis et l'Europe, qui y ont vu un simulacre de démocratie destiné à renforcer la dictature en place depuis un demi-siècle.
ats/hof/bkel
Portrait d'une dissidente aimée
La frêle silhouette d'Aung San Suu Kyi symbolise depuis plus de vingt ans la résistance à la junte. Mais si son aura a résisté au temps en Birmanie comme à l'étranger, l'opposante n'en est pas moins devenue une figure marginalisée, une icône à l'avenir politique incertain.
La lauréate du prix Nobel de la paix a parfois été comparée à Nelson Mandela, qui a conquis le pouvoir après 27 ans dans les geôles sud-africaines. Mais la toute puissance de la junte birmane et la dissolution du parti de la dissidente, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), qui a boycotté le scrutin législatif dimanche, semble l'écarter durablement du pouvoir.
Il y a vingt ans, beaucoup auraient pourtant parié sur le potentiel de la fille du héros assassiné de l'indépendance, le général Aung San, qui incarne depuis à elle seule la résistance à l'oppression. Quitte à en faire oublier les 2200 autres opposants emprisonnés, et la fondamentale impasse dans laquelle sont enfermées les minorités ethniques.
A l'époque, la LND avait humilié le régime militaire, remportant 392 des 485 sièges en compétition. Mais les généraux avaient refusé de s'incliner. Celle que les Birmans surnomment la "Dame" a depuis été privée de liberté pendant 15 des 21 dernières années.
A-t-elle échoué, cette figure gandhienne charismatique qui, en septembre 2007, sortait en pleurs de sa maison délabrée, devant des policiers anti-émeutes, pour saluer des milliers de moines bouddhistes qui manifestaient contre l'oppression et la vie chère?
"La démocratie n'est ni institutionnalisée, ni enracinée dans les pratiques quotidiennes de la Birmanie d'aujourd'hui", relève Renaud Egreteau, politologue à l'université de Hong Kong. "Mais on ne peut écarter son poids politique et idéologique ces deux dernières décennies. Elle, son parti, ses réseaux internes et externes ont créé une dynamique politique. Si l'on parle de droits de l'homme, de libertés civiles, ou de démocratie en Birmanie, elle y est pour beaucoup".
Née le 19 juin 1945, Aung San Suu Kyi a été élevée dans les meilleures écoles de Rangoun avant de poursuivre ses études en Inde - où sa mère avait été nommée ambassadeur en 1960 -, puis à Oxford. Assistante à l'Ecole des études orientales de Londres, elle épouse en 1972 un universitaire britannique, Michael Aris, avec qui elle aura deux enfants.
Elle revient en Birmanie en avril 1988 au chevet de sa mère malade et n'en repartira pas. Elle s'exprime pour la première fois en public en août, et transperce le coeur des Birmans par un discours simple et une dignité qui ne se démentira pas, même pendant les pires épreuves.
Soutenue par l'opposition et l'Occident qui prennent la mesure de son aura, elle sacrifie sa famille à la cause et restera en Birmanie en 1999, tandis que son époux mourait d'un cancer en Grande-Bretagne, de crainte de ne pouvoir rentrer chez elle.