La libération d'Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix en 1991, n'est soumise à aucune condition de la part de la junte. L'opposante est donc entièrement libre, a affirmé à l'AFP un haut responsable birman sous couvert de l'anonymat.
Samedi vers 17h00 (11h30 en Suisse), des responsables officiels ont pénétré dans sa maison, rue de l'Université à Rangoon, pour lire à l'opposante l'ordre de libération de la junte, alors qu'arrivait à son terme sa dernière condamnation à 18 mois de résidence surveillée. Cependant, la prix Nobel de la paix peut refuser de signer cet ordre.
Partisans en liesse
Dans les minutes qui ont suivi, la police enlevait les barrières menant à la maison de la dissidente. Criant et applaudissant à tout rompre, des milliers de personnes se sont alors précipitées vers la vieille bâtisse familiale posée sur le bord d'un lac, en plein centre de Rangoon, attendant que la "Dame de Rangoon" se montre. Certains sont grimpé dans les arbres pour tenter de l'apercevoir alors que la présence policière a été fortement renforcée.
Un peu après 17h30, Aung San Suu Kyi, qui n'a jamais pu circuler librement depuis mai 2003, est finalement apparue devant les grilles de sa maison, souriant et riant. Elle a saisi une fleur qui lui avait été lancée et l'a glissée dans ses cheveux.
Premier discours
Aung San Suu Kyi s'est alors exprimée: elle a invité ses partisans à travailler "ensemble" pour l'avenir du pays, les invitant à venir l'écouter dimanche à midi (06h30 suisses) au siège de son parti.
"Si nous travaillons dans l'unité, nous atteindrons notre objectif. Nous avons beaucoup de choses à faire", a lancé l'opposante pacifiste, qui a prononcé quelques mots en birman pour remercier ses soutiens.
Les partisans d'Aung San Suu Kyi, qui se regroupent depuis vendredi, espéraient que l'opposante birmane soit déjà libérée vendredi, avec la signature de l'ordre de libération par la junte birmane.
Et après?
La libération d'Aung San Suu Kyi intervient un peu moins d'une semaine après les premières élections organisées dans le pays depuis 20 ans. Verrouillé par la junte, ce scrutin contesté a donné la victoire au Parti de la solidarité et du développement de l'Union (USDP, pro-junte). Lors des précédentes élections, en 1990, Aung San Suu Kyi avait conduit la LND à une éclatante victoire. Mais la junte avait ignoré le résultat du vote.
Aung San Suu Kyi va devoir faire face à de nombreux défis, de la contestation des résultats des élections à la possible réorganisation d'une opposition divisée. Pour l'heure, l'opposante aurait indiqué refuser une libération sous condition, ce qui pose un dilemme à la junte, qui se méfie de la dissidente mais tente de sortir le régime de l'isolement.
Réjouissance planétaire
Les réactions sont tombées de toute la planète après cette libération, largement saluée. Le secrétaire-général de Association des nations du sud-est asiatique (Asean), le Thaïlandais Surin Pitsuswan, s'est déclaré "très, très soulagé".
Le président américain Barack Obama a confié qu'Aung San Suu Kyi faisait partie de ses "héros" tandis que le Premier ministre britannique David Cameron a estimé qu'elle était "une inspiration pour tous ceux d'entre nous qui croient en la liberté d'expression, la démocratie et les droits de l'Homme".
La Suisse a dit attendre que l'opposante "puisse exercer librement ses droits humains et civiques, notamment en matière de liberté d'opinion, de rassemblement et de mouvement". Le président Nicolas Sarkozy a lui prévenu que l'Elysée serait "extrêmement attentif aux conditions dans lesquelles Aung San Suu Kyi jouira de sa liberté retrouvée".
De Ban Ki-moon à U2
"C'est un signal positif (indiquant) que les autorités birmanes sont prêtes à aller de l'avant avec le sérieux défi de la transition démocratique, et le besoin d'une réconciliation nationale", a déclaré pour sa part Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme. Amnesty International a tempéré, parlant de "la fin d'une condamnation injuste qui avait été prononcée illégalement".
La libération des autres prisonniers politiques a été réclamée de toute part, notamment par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, qui a qualifié l'opposante birmane d'"exemple" pour le monde.
Le groupe de rock irlandais U2, qui avait fait campagne pour la libération du Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, notamment en lui dédiant une chanson (Walk On), a salué avec prudence samedi l'annonce de sa libération.
"Tout au long de ces années nous avons craint pour sa vie et il nous faudra rester vigilants jusqu'à ce que les dirigeants birmans représentent plus fidèlement le peuple qu'ils gouvernent", souligne le communiqué du groupe.
agences/bri
Symbole de lutte
La "Dame de Rangoon", qui n'a jamais renoncé à la politique de non-violence, a passé plus de 15 des 21 dernières années privée de liberté, devenant le symbole de la lutte pour la démocratie en Birmanie.
Née à Rangoon le 19 juin 1945, Aung San Suu Kyi est la fille du héros nationaliste Aung San qui a combattu les troupes d'occupation japonaises et arraché l'indépendance au colonisateur britannique. Son père est assassiné quand elle a 2 ans, six mois avant la proclamation de l'indépendance.
Elevée en Birmanie et en Inde, elle a fait ses études à Oxford, où elle a rencontré son mari, un tibétologue britannique qui lui donnera deux garçons. Employée des Nations unies, elle retourne en Birmanie en 1988 pour s'occuper de sa mère mourante. En 1990, son parti remporte les élections, mais la junte nie les résultats.
La résidence surveillée en cours avait débuté en mai 2003, après que son véhicule eut été pris dans une embuscade dans le nord de la Birmanie par une foule manipulée par le gouvernement.
Sa détention devait se terminer en mai 2009. Mais elle avait alors été condamnée à trois ans de réclusion et de travaux forcés pour avoir enfreint les termes de son assignation à résidence, après qu'un Américain avait tenté de pénétrer dans sa maison sans y avoir été invité. La peine avait été commuée en une prolongation de 18 mois de sa résidence surveillée, jusqu'en novembre de cette année.
Aung San Suu Kyi va devoir redécouvrir un pays dont elle a été complètement coupée. Elle va réapprendre à connaître les jeunes Birmanes qui portent une minijupe, les téléphones portables, la petite scène musicale de Rangoon, les nouveaux immeubles, tout ce pays dont, pour certains, elle porte les espoirs mais qu'elle ne connaît plus.
Elle n'a pas vu non plus ses deux enfants qui vivent en Grande-Bretagne depuis près de dix ans, et avait renoncé à se rendre en 1999 au chevet de son mari mourant, de peur de ne plus pouvoir retourner en Birmanie.
L'opposante n'est pas la seule à avoir subi la répression de la junte, qui détient dans ses geôles 2200 prisonniers politiques. Un soulèvement populaire en 1988 avait été réprimé dans le sang faisant 3000 morts. En 2007, la "révolte safran", mouvement de protestation conduit par des moines bouddhistes, avait fait 31 morts et 74 disparus selon l'ONU.