Viktor Bout, ancien pilote de l'armée soviétique surnommé le "marchand de mort", avait été arrêté à Bangkok en mars 2008 après avoir rencontré des agents américains qui s'étaient fait passer pour des responsables de la guérilla colombienne des Farc.
Passible de la prison à perpétuité aux Etats-Unis, il est accusé d'avoir utilisé une flotte d'avions cargos pour vendre des armes en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient, mais affirme avoir développé une activité de transport cargo parfaitement légale (lire ci-contre).
"Bout a quitté le sol thaïlandais à 13h27 (06h27 GMT) de l'aéroport de Don Muang à Bangkok", a indiqué à l'AFP le colonel Supisarn Bhakdinarunart, commandant de la police criminelle. "Je l'ai moi même envoyé dans un jet américain (...) avec six responsables américains pour l'escorter".
Le dilemme thaïlandais
Une journaliste de l'AFP a vu le convoi transportant le Russe des services d'immigration jusqu'à l'aéroport, où l'attendaient des forces de sécurité en armes. "La prochaine destination de son vol est secrète mais la destination finale, c'est les Etats-Unis", a ajouté le colonel Supisarn.
Bangkok a donc fini par faire un choix entre Washington, allié aussi essentiel qu'historique, et Moscou, partenaire commercial et stratégique de premier plan. Le pays asiatique était soumis à des pressions constantes de la part des Américains, qui veulent juger celui qu'ils décrivent comme "l'un des trafiquants d'armes les plus prolifiques du monde", et de la part des Russes, déterminés à "faire tout le nécessaire pour qu'il rentre au pays"(lire encadré).
Viktor Bout, 43 ans a finalement été extradé en quelques heures. Le gouvernement thaïlandais a annoncé son feu vert, avant que le Russe ne soit sorti de prison, emmené aux services d'immigration, puis remis aux Américains. Alla Bout, épouse de l'accusé, est arrivée à l'aéroport trop tard avec son avocat thaïlandais. Elle est repartie peu après, en pleurs, a constaté une journaliste de l'AFP.
"Cela a été si vite, c'est étrange. Bien sûr, Alla est inquiète. Elle ne s'attendait pas à ça", a admis Andrei Dvornikov, chef de la section consulaire russe à Bangkok. La méthode finale, expéditive, tranche effectivement avec les tergiversations des autorités thaïlandaises à gérer ce dossier depuis mars 2008.
Recours déposé aux Etats-Unis
La justice du pays asiatique avait accepté en août que le Russe soit extradé en vertu de poursuites pour "terrorisme" aux Etats-Unis. Mais la procédure était bloquée depuis par un second dossier, ouvert pour "blanchiment" et "fraude" par Washington en début d'année, de peur que le premier échoue.
La cour criminelle de Bangkok avait finalement estimé que ce second dossier ne présentait "pas assez de preuves" et avait prononcé un non-lieu, ouvrant la voie à l'extradition. La défense de Bout a alors tenté un dernier appel. En vain. Son avocat russe a jugé l'extradition "illégale" mardi, tout en admettant qu'il serait "impossible d'annuler ou de contester cette décision" une fois Bout sur le sol américain.
agences/os
Impliqué dans de nombreux conflits
Le russe Viktor Bout personnifie le trafic d'armes international après avoir façonné son empire sur les ruines de l'ex-Union soviétique. L'homme aux sept pseudonymes est soupçonné d'avoir fait usage des six langues qu'il maîtrise pour livrer armes et équipements divers aux belligérants du monde entier, des guerres civiles africaines à la guérilla colombienne en passant par le Moyen-Orient.
Un destin hors du commun qui lui vaudra d'être le héros involontaire du film "Lord of War", campé par un Nicolas Cage des plus cyniques.
Né, selon un rapport des Nations unies, à Douchanbé (Tadjikistan) en 1967, Viktor Bout étudie à l'Institut militaire des langues étrangères de Moscou, avant d'entrer dans l'armée de l'Air. Il a toujours nié faire partie du KGB.
Selon l'ONU et les services occidentaux de renseignements, il a su profiter, après la chute du mur de Berlin, des offres à bas prix des armes soviétiques dans des bases militaires livrées à elles-mêmes. Son coup de génie a été, plutôt que d'en sous-traiter le transport, de constituer sa propre flotte d'avions cargo.
Selon Amnesty International, il aurait ainsi contrôlé une cinquantaine d'appareils à travers le monde. Le journaliste américain Douglas Farah, co-auteur du livre-enquête "Merchant of Death", décrit "un officier soviétique qui a su saisir la chance présentée par trois facteurs nés de l'effondrement de l'Union soviétique: des avions abandonnés sur des pistes entre Moscou et Kiev (...), d'énormes stocks d'armes gardés par des soldats que personne ne payait, et l'explosion de la demande en armes".
Ses avions ont été repérés sur des pistes en Afrique, en Afghanistan, en Amérique du Sud, dans des pays d'ex-Union soviétique. Farah assure qu'il a même, au début de l'invasion américaine en Irak et avec l'aval de tous, transporté des matériaux et des hommes pour le compte de sous-traitants de l'armée américaine. Mais il a nié farouchement avoir armé les milieux jihadistes internationaux.
C'est finalement la notoriété de Bout qui le condamnera. "Son nom est devenu une marque", indiquait à l'AFP en 2008 Alex Vines, chef du programme "Afrique" du centre de réflexion londonien Chatham House. "C'est un secteur d'activité qui se marie mal avec ce type de reconnaissance". Il est arrêté en 2008, dans un hôtel luxueux de Bangkok, où il se fera piéger par des agents américains prétendant travailler pour la guérilla colombienne des Farc.
Moscou en colère
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a jugé mardi que l'extradition de Thaïlande vers les Etats-Unis du trafiquant d'armes présumé Viktor Bout était "illégale", dénuée "d'explication rationnelle" et dictée par une "pression sans précédent" de Washington.
"Il n'y a aucun doute que l'extradition illégale de Viktor Bout est la conséquence de la pression politique sans précédent exercée par les Etats-Unis sur le gouvernement et la justice de Thaïlande", a-t-il indiqué dans un communiqué.
"Du point de vue du droit, ce qui se passe est dénué d'explication et de justification rationnelle", a ajouté le ministère, qui regrette que les autorités thaïlandaises aient "cédé aux pressions politiques étrangères".
Sergueï Lavrov s'est par ailleurs engagé à "prendre les mesures nécessaires pour assurer la défense des droits du trafiquant d’armes présumé, citoyen de la fédération de Russie". Viktor Bout a été extradé mardi de Thaïlande dans un jet spécialement affrété par les Etats-Unis, afin d’être jugé dans ce pays, après une décision du gouvernement thaïlandais.
Le consul russe à Bangkok a critiqué mardi le caractère "secret" de l'extradition: "Tout a été fait très rapidement, voire de manière urgente et en secret d'après nos impressions. Cela suscite l'étonnement", a déclaré le consul Andreï Dvornikov à l'agence Interfax.