La peine, prononcée par le juge Viktor Danilkine, court à partir de 2003 et se confond avec une précédente peine de huit ans de prison dont a écopé Khodorkovski, qui se retrouve ainsi en fait condamné à six ans de prison supplémentaires.
"Soyez maudits!"
Assis dans une cage en verre, Mikhaïl Khodorkovski a accueilli l'annonce de la peine avec le sourire, ne s'attendant pas à une relaxe après avoir été déclaré coupable de faits vivement contestés par la défense. "Notre exemple montre qu'en Russie il n'y a pas d'espoir de protection contre les bureaucrates", a-t-il réagi dans un communiqué lu par un de ses avocats à la sortie du tribunal. "Nous ne nous laissons pas décourager", a-t-il ajouté.
La réaction de la mère de Mikhaïl Khodorkovski a été plus émotionnelle: "Soyez maudits, vous et vos descendants!", a-t-elle hurlé à la lecture du prononcé de la peine. L'avocat de la défense, Iouri Schmidt a lui estimé que ce jugement était "illégal" et le fruit des pressions exercé par le Premier ministre Vladimir Poutine.
Un jugement remis en cause
L'ancien patron du groupe pétrolier Ioukos avait été déclaré lundi coupable de détournement de fonds et de blanchiment d'argent, à l'occasion de son second procès. Son ancien associé Platon Lebedev, lui aussi déclaré coupable, a été condamné à la même peine.
Ludmilla Alexeïeva, présidente du Groupe Moscou Helsinki, une organisation de défense des droits de l'homme, a dénoncé un verdict "très cruel et absurde". Il confirme "le fait bien connu que la Russie n'a pas de tribunaux indépendants. Un tribunal indépendant aurait acquitté les accusés et puni ceux qui ont fabriqué les charges", a-t-elle déclaré.
Il y a moins d'un mois, le Premier ministre russe Vladimir Poutine, président à l'époque du premier procès de l'oligarque, avait estimé que Khodorkovski était un criminel qui devait rester en prison. Vladimir Poutine n'a pas exclu de briguer à nouveau la présidence en 2012 après avoir cédé les commandes à son dauphin Dimitri Medvedev le temps d'un mandat. Il est donc soupçonné de vouloir maintenir derrière les barreaux jusqu'à après l'élection le patron du groupe pétrolier Ioukos, aujourd'hui démantelé.
Une "vengeance" de Poutine?
Khodorkovski, 47 ans, arrivait en effet au terme de sa peine de huit années de prison pour fraudes et évasion fiscale, et était dans ce cadre libérable en 2011. Cette condamnation avait été largement considérée comme une vengeance, l'oligarque étant puni pour avoir osé défier le pouvoir économique et politique du Kremlin de Poutine, et notamment pour avoir financé des partis d'opposition.
Aujourd'hui, sa nouvelle condamnation pour détournement et blanchiment de près de 27 milliards de dollars entre 1998 et 2003 devrait lui valoir de rester en prison jusqu'en 2017 au moins. Le Parquet russe a accusé Khodorkovski et Lebedev d'avoir détourné le pétrole produit par plusieurs filiales de Ioukos pour le vendre au prix fort à l'étranger.
La défense a qualifié de ridicules ces accusations. Et de nombreux témoins, y compris des responsables du gouvernement, ont répété pendant les 20 mois du procès que ces accusations étaient absurdes, et techniquement impossibles. "La décision du tribunal n'a rien à voir avec le droit et la justice. C'est une vendetta personnelle de Poutine", a estimé Boris Nemtsov, ancien vice-premier ministre passé aujourd'hui dans l'opposition.
La défense va faire appel
Les avocats de la défense ont annoncé leur intention de faire appel, procédure qui devrait durer des mois. Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev resteront en attendant incarcérés à Moscou. Après le premier procès, Khodorkovski avait été envoyé dans une colonie pénitentiaire en Sibérie orientale, près de la frontière chinoise à plusieurs milliers de kilomètres de Moscou.
Mardi, le ministère russe des Affaires étrangères avait qualifié d'"inacceptables" les commentaires en Occident après la nouvelle condamnation de l'ancien oligarque. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton avait estimé que le verdict "pose de graves questions sur des accusations sélectives et sur des considérations politiques éclipsant l'état de droit". Son homologue allemand Guido Westerwelle avait lui évoqué "un pas en arrière sur le chemin de la modernisation du pays".
agences/cer
L'UE critique le jugement russe
Le président du Parlement européen Jerzy Buzek a estimé que la lourde peine infligée à Mikhaïl Khodorkovski et à son principal associé Platon Lebedev montrait les limites de l'Etat de droit en Russie.
"Je suis très déçu. Les procès contre Mikhaïl Khodorkovski ont été le test décisif de la façon dont l'Etat de droit et les droits de l'homme sont traités dans la Russie d'aujourd'hui", a affirmé Jerzy Buzek dans un communiqué.
L'Allemagne a elle jugé que ce procès soulève "de sérieuses questions sur le respect de l'Etat de droit et représente un pas en arrière sur le chemin de la modernisation en Russie prônée par le président (Dmitri) Medvedev".
Le diplomatie française a appelé Moscou "à tenir pleinement compte des préoccupations", rappelant que "la consolidation de l'Etat de droit est une condition nécessaire à la réussite du processus de modernisation de la Russie".
Un oligarque au caractère bien trempé
Mikhaïl Khodorkovski, 47 ans, ex-patron du florissant groupe pétrolier Ioukos, considéré naguère comme l'un des oligarques les plus doués, est aujourd'hui le prisonnier le plus célèbre de Russie pour avoir osé tenir tête à Vladimir Poutine.
La carrière de cet homme aux fines lunettes et aux cheveux très courts résume la destinée des oligarques russes dans les années 1990. Ces nouveaux capitalistes ont émergé sous la présidence de Boris Eltsine et fait main basse sur des pans entiers de l'économie à travers de nébuleuses privatisations.
Avant la chute de l'URSS, Mikhaïl Khodorkovski fonde à 26 ans la banque Menatep qui lui permet de prendre le contrôle dans des conditions opaques du groupe pétrolier Ioukos. Il occupe aussi brièvement le poste de ministre de l'Energie en 1993.
Au début des années 2000, l'oligarque aux méthodes controversées change de stratégie et devient le premier en Russie à opter pour une gestion à l'occidentale, devenant la coqueluche des investisseurs. Il envisage alors un mariage entre Ioukos et la major américaine ExxonMobil, aide financièrement l'opposition russe et injecte des millions dans des programmes de soutien à la société civile.
Porté par le boom du marché pétrolier, Ioukos devient le numéro un russe du secteur et Mikhaïl Khodorkovski la plus grosse fortune du pays, avec quelque 15 milliards de dollars.
Début 2003, une rencontre au Kremlin entre une vingtaine d'oligarques et le président de l'époque Vladimir Poutine tourne à l'orage. Mikhaïl Khodorkovski, le seul à être venu sans cravate, appelle à agir contre la corruption au sommet de l'Etat et cite nommément des proches du président russe. Ce dernier réplique: "Mikhaïl Khodorkovski, êtes-vous sûr d'être en règle avec le fisc?". "Absolument!", rétorque l'intéressé. "Eh bien, on verra", dit Vladimir Poutine dans un silence glacial.
Le 25 octobre de la même année, Mikhaïl Khodorkovski est arrêté à l'aéroport de Novossibirsk (Sibérie), inculpé d'escroquerie à grande échelle et d'évasion fiscale.