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Le Brésil refuse d'extrader Cesare Battisti

Cesare Battisti [Sergio Moraes]
Le sort de Cesare Battisti est entre les mains de la Cour suprême du Brésil. - [Sergio Moraes]
Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a décidé vendredi de ne pas extrader vers l'Italie l'ex-activiste d'extrême gauche et écrivain Cesare Battisti, provoquant la colère de Rome. Cesare Battisti avait été condamné en 1993 en Italie à la prison à vie pour deux meurtres et deux complicités de meurtres commis dans le cadre de son action pour le groupuscule "Prolétaires armés pour le communisme".

Dans une note diffusée par le cabinet de "Lula", le président brésilien explique que sa décision a été prise sur la base d'une section du traité d'extradition "qui cite, entre autres raisons de non-extradition, la condition personnelle" de la personne concernée. Aucune précision n'a été fournie sur la "condition personnelle" de Cesare Battisti, dont les avocats n'étaient pas joignables dans l'immédiat.

Berlusconi ne va pas lâcher

L'extradition de Battisti, 56 ans, était réclamée avec force par Rome où il a été condamné par contumace en 1993 à la réclusion à perpétuité pour quatre meurtres et complicité de meurtres commis en 1978 et 1979, crimes dont il se dit innocent.

La décision de Lula, 24 heures avant la fin de son mandat, "ne représente pas un affront envers un autre Etat", a souligné le ministre, tentant de désamorcer une crise avec Rome. Toutefois, l'Italie a vivement réagi vendredi à la décision attendue de Lula, la qualifiant d'"injuste et gravement offensante".

Le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, s'est engagé vendredi à poursuivre la "bataille" pour obtenir l'extradition de l'ex-militant d'extrême gauche, qualifiant de "contraire au sens le plus élémentaire de la justice" le refus du président brésilien Lula.

Le ministère italien des Affaires étrangères a annoncé qu'il allait rappeler pour consultations l'ambassadeur d'Italie au Brésil. "Les pires prévisions se sont avérées", a dit le ministre italien de la Défense Ignazio La Russa.

Le dernier mot à la Cour suprême

Peu avant, le Brésil avait déjà rejeté les critiques italiennes faites la veille, trouvant "très étranges les termes du communiqué de la Présidence du Conseil des ministres d'Italie du 30 décembre 2010" et qualifiant "d'impertinentes" les références au président Lula. Le gouvernement italien avait affirmé qu'un rejet de l'extradition de Battisti de la part de Lula serait "absolument incompréhensible et inacceptable".

Vendredi, le ministre italien de la Défense a souligné que l'Italie "tentera absolument tout" afin que le Brésil revienne sur sa décision, laissant augurer de nouvelles péripéties judiciaires. Ainsi, la décision prise par Lula, qui doit passer le relais samedi à Dilma Rousseff, ne signifie pas pour autant une sortie immédiate de prison de Battisti, incarcéré depuis mars 2007 près de Brasilia.

La Cour suprême doit en effet vérifier que le refus d'extrader l'ancien militant est bien conforme au traité d'extradition entre les deux pays, selon des déclarations du président de la Cour Cezar Peluso à la presse. Les juges de la Cour, actuellement en vacances judiciaires, ne doivent se réunir à nouveau qu'en février.

Activiste et auteur de polars

Les plus hauts magistrats brésiliens avaient remis en question, en novembre 2009, l'octroi de l'asile accordé à Battisti et donné le feu vert à l'extradition de l'Italien, jugeant que ses crimes n'étaient pas de nature politique. Ils avaient néanmoins laissé le président Lula décider en dernier ressort, et avaient précisé ultérieurement que sa décision devrait respecter le traité d'extradition liant le Brésil et l'Italie.

Cesare Battisti a été arrêté en mars 2007, à Rio de Janeiro, après presque trois ans de cavale. Il s'était enfui en août 2004 de France, où il s'était installé en 1990 et reconverti en auteur de romans policiers, pour échapper à une extradition vers l'Italie. Il s'était évadé d'une prison italienne en 1981, avant d'être condamné par contumace pour deux assassinats et pour complicité dans deux autres.

agences/cer

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L'asile, une tradition bien ancrée au Brésil

L'octroi de l'asile politique, comme celui accordé à Cesare Battisti, est une tradition bien ancrée au Brésil qui a accueilli des dictateurs latino-américains, des guérilleros d'extrême gauche ainsi que des sportifs et des musiciens fuyant Cuba. Le Brésil avait déjà accueilli, à la fin des années 1970, d'autres activistes italiens des "années de plomb" comme Pietro Mancini et Luciano Pessina.

Aujourd'hui, 4000 personnes bénéficient de l'asile politique concédé par le Comité national pour les réfugiés (Conare) ou le ministre de la Justice. La Constitution brésilienne octroie l'asile et empêche l'extradition d'étrangers pour des délits politiques ou d'opinion, sans distinction idéologique.

Le cas récent le plus polémique fut celui du Colombien Francisco Antonio Cadena Collazos, surnommé "le curé Camilo", considéré comme le contact de la guérilla marxiste des FARC au Brésil et qui a obtenu l'asile en 2006. La Colombie l'a accusé d'assassinats et d'enlèvements.

Le Brésil a aussi accueilli les athlètes cubains Rafael Costa Capote (hand-ball) et Michel Fernández García (cycliste) qui ont fait défection à l'occasion des Jeux Panaméricains de 2007, de même que trois musiciens cubains en 2008. Parmi les cas les plus connus, figure l'ancien dictateur du Paraguay Alfredo Stroessner qui a passé au Brésil les dix-sept dernières années de sa vie après avoir été renversé en 1989.

Le Portugais Marcelo Caetano, successeur du dictateur Antonio Salazar, s'est réfugié au Brésil après la "Révolution des oeillets" de 1974. L'ancien président du Conseil français Georges Bidault, activiste de l'Algérie française, a aussi trouvé refuge au Brésil de 1963 à 1967.