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Algérie: flambée de violence contre la précarité

A Oran, la situation reste tendue entre jeunes et forces de l'ordre. [STR]
A Oran, la situation reste tendue entre jeunes et forces de l'ordre. - [STR]
Les émeutes lancées en Algérie par des groupes de jeunes contre la cherté de la vie se sont étendues jeudi soir et ont gagné en violence sans qu'il ait été fait état de victime, selon de nombreux témoins et la presse.

De nombreux quartiers d'Alger ont été touchés par les émeutes jeudi dans le centre et sur la périphérie, amenant nombre de commerces à baisser leurs rideaux dès le début de l'après-midi et le centre-ville était vide de voitures en début de soirée mais bondé de jeunes gens.

Un quartier chic algérois pris d'assaut

Le quartier huppé d'El Biar situé sur les hauteurs a été pris d'assaut par une quarantaine de jeunes armés de sabres qui se sont attaqués à de nombreuses boutiques en début de soirée, ont constaté des journalistes. Ils ont saccagé un restaurant et vidé une bijouterie emportant un important butin selon les habitants du quartier, avant de se retrouver encerclés par les forces de sécurité.

Le quartier populaire de Bab el Oued connaissait pour la seconde nuit consécutive d'importantes manifestations. La police lourdement armée et venue en nombre dès la fin de l'après-midi dans cette zone très densément peuplée, a dû faire usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, selon un témoin.

En Kabylie, à Bejaia, à quelque 260 km à l'est d'Alger, tout comme à Boumerdes, plus proche de la capitale, les manifestants avaient dès l'après-midi coupé les routes principales avec des arbres notamment ou des pneus enflammés. Selon un témoin, le tribunal d'Akbou, près de Bejaia a été incendié en fin de journée.

La nuit précédente à Beb el Oued, des dizaines de jeunes manifestants avaient attaqué le commissariat local à coups de pierres. Ils avaient également saccagé et incendié le magasin du concessionnaire de Renault réduisant en carcasses une dizaine de véhicules.

Lundi soir déjà, des milliers de jeunes avaient bloqué des routes de Tipaza (70 km à l'ouest d'Alger), pour dénoncer aussi leurs conditions de vie difficiles.

Les jeunes algériens n'ont pas hésité à se frotter aux forces de l'ordre dans les rues de la capitale. [KEYSTONE]
Les jeunes algériens n'ont pas hésité à se frotter aux forces de l'ordre dans les rues de la capitale. [KEYSTONE]

Et mercredi à Oran, à 430 km à l'ouest d'Alger, la tension était visible: des dizaines de jeunes ont brûlé des pneus, coupé les routes avec des troncs d'arbre et jeté des projectiles contre les automobilistes. Le Quotidien d'Oran a rapporté jeudi que les jeunes avaient forcé un dépôt pour en voler des sacs de farine, au moment où le prix du pain est en hausse et qu'une pénurie de blé pointe.

Problèmes sociaux

Pourtant, depuis une semaine que des petits groupes dénoncent un peu partout leur mal de vivre, le gouvernement se veut rassurant. Mercredi, le ministre du Commerce Mustapha Benbada a affirmé que l'"Etat continuera à subventionner les produits" de première nécessité. Il y a d'autres types de manifestations depuis des mois un peu partout dans le pays contre l'absence de logements sociaux, les passe-droits et la corruption.

Dans le même temps, des bidonvilles illégaux sont rasés. La presse s'est faite l'écho ces dernières semaines d'une série d'incidents violents, avec des blessés, autour de ces logements de fortune.

A l'aube de son troisième mandat, en 2009, le président Abdelaziz Bouteflika s'était engagé à construire un million d'appartements manquants depuis le séisme de 2003 et le triplement de la population (35,6 millions d'habitants) depuis l'indépendance en 1962. 10'000 habitations ont été livrées cette année à Alger.

Actuellement, 75% des Algériens ont moins de 30 ans et plus de 20% des jeunes sont chômeurs, selon le FMI. Cette situation les fait fuir vers l'Europe. Faute de visas, ils partent à bord d'embarcations de fortune au risque de leur vie. Tous les mois, les tentatives de dizaines d'entre eux échouent mais il n'existe pas de statistiques fiables sur cette émigration.

Sonnette d'alarme tirée

Mohammed Saib Musette, sociologue du Centre de recherches de l'économie appliquée au développement (CREAD), a tiré jeudi la sonnette d'alarme. "Je crains que la situation s'embrase", a-t-il souligné, alors que le pays vit sous l'état d'urgence depuis la décennie noire anti-islamiste des années 90.

Même constat chez son collègue Nacer Djabi pour lequel ces événements "peuvent déraper" même si "les émeutes sont devenues un sport national en Algérie". "Il y a un effet de contagion notamment quand on pense à ce qui se passe avec la Tunisie" où des manifestations violentes depuis décembre ont fait quatre morts, selon Mohammed Saib Musette, même si "la situation n'est pas semblable". "Il y a plus de libertés ici", compare-t-il, et "l'Algérie est un pays très riche" grâce à ses hydrocarbures.

Pour le sociologue Noureddine Hakiki, professeur à l'Université d'Alger, "ce qu'il faut c'est mettre un terme à l'assistanat de l'Etat. Les jeunes ont la vie facile et ils demandent plus".

afp/ap/jeh

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Colère en Tunisie aussi

Le jeune Tunisien, dont l'immolation par le feu le 17 décembre à Sidi Bouzid a déclenché une série d'émeutes contre le chômage, a été inhumé mercredi dans un climat de tension, après avoir succombé à ses blessures la veille dans un hôpital de Tunis.

Mohamed Bouazizi, 26 ans, s'était immolé devant les bureaux du gouverneur (préfet) de Sidi Bouzid pour protester contre la saisie musclée par la police de son étal de fruits et légumes qu'il vendait sans permis pour faire vivre les siens.

Les avocats tunisiens ont observé jeudi matin une grève à l'appel de leur conseil de l'ordre pour protester contre les agressions dont ils disent avoir fait l'objet vendredi dernier lors d'une manifestation de soutien à la population de Sidi Bouzid.

"Nous voulions une manifestation pacifique mais des affrontements nous ont été imposés par les agents de sécurité qui ont occasionné des dommages corporels et autres intrusions dans des cabinets d'avocats et à la maison du barreau", a déclaré le bâtonnier Abderrazak Kilani.

Jugeant "inacceptable" un tel comportement, il a demandé "l'ouverture d'une enquête pour déterminer les responsabilités de ce qui s'est passé".

La grève a été suivie à 95%, a affirmé Me Ahmed Seddik, l'un des avocats qui participaient à un rassemblement dans la salle des pas perdus du palais de justice de Tunis.

Plusieurs tribunaux fonctionnaient néanmoins en présence d'avocats "commis d'office ou appartenant au parti au pouvoir", selon Me Seddik.

Aucun incident n'a été enregistré lors du rassemblement dont la plupart des participants arboraient sur la poitrine un slogan appelant à "la défense de la dignité des avocats".