Zine El Abidine Ben Ali s'est envolé de Tunis pour une destination inconnue au terme d'un mois d'une contestation populaire, que les Tunisiens ont eux-mêmes appelée "Révolution du jasmin", et qui a été réprimée dans le sang au prix de plusieurs dizaines de morts.
Relais du Premier ministre
Quasi-simultanément, Mohammed Ghannouchi, Premier ministre sortant âgé de 69 ans, a annoncé dans le soirée à la télévision qu'il assurait l'intérim de la présidence jusqu'à nouvel ordre. Sur un ton solennel, il a aussitôt lancé un appel à l'unité: "j'appelle les Tunisiens toutes sensibilités politiques et régionales confondues à faire preuve de patriotisme et d'unité". Il s'est également engagé à respecter la Constitution.
"C'est le premier chef d'Etat arabe amené à fuir le pouvoir sous la pression populaire", a indiqué Zaki Laidi, directeur de recherches à l'Institut d'études politiques de Paris, sur la chaîne de télévision d'informations France 24. "C'est quand même un événement colossal dans une région du monde qui se caractérise par une longévité non démocratique des régimes, qui n'a aucun équivalent dans le monde", a-t-il souligné.
Destination inconnue
Le pays de destination du président sortant, âgé de 74 ans, n'était pas immédiatement connu. Mais son avion a survolé peu avant 19H00 GMT l'espace aérien maltais "en direction du Nord", a indiqué à l'AFP un porte-parole du gouvernement. Le pilote a "pris contact avec la tour de contrôle de l'aéroport de La Vallette, mais seulement pour survoler l'espace aérien et pas pour atterrir", a indiqué ce porte-parole du ministère maltais des Affaires étrangères.
On apprenait vendredi soir qu'un avion civil en provenance de Tunisie a atterri d'urgence à Cagliari, en Sardaigne, pour faire le plein de carburant et ses passagers ne sont pas clairement identifiés, a appris l'AFP de sources gouvernementales italiennes à Rome. Les autorités italiennes ont intimé l'ordre à l'appareil de repartir dès que le plein de carburant aura été effectué, selon ces sources qui ont dit "ne pas savoir si le président tunisien Ben Ali était à bord ou non".
L'Elysée n'a "aucune information" qui "atteste, à ce stade" de la venue de Ben Ali en France, a indiqué la présidence française vendredi soir. La France "prend acte de la transition constitutionnelle" en Tunisie, a indiqué vendredi la présidence française. Le peuple tunisien "a le droit de choisir ses dirigeants", a de son côté estimé à Washington la Maison Blanche.
Etat d'urgence
Depuis jeudi, le président sortant avait multiplié, sans succès, les annonces pour tenter de mettre un terme à un mois d'émeutes et de manifestations, violemment réprimées par des services de sécurité n'ayant pas hésité à tirer à balles réelles sur des civils. Des dizaines de personnes avaient été tuées, suscitant les vives inquiétudes de la communauté internationale. Les manifestants exigeaient toujours le départ immédiat de Ben Ali, ne se satisfaisant pas de ses promesses, formulées jeudi soir, de quitter le pouvoir seulement au terme de son mandat en 2014.
Et vendredi, les choses se sont accélérées. Le gouvernement a décrété l'état d'urgence dans l'ensemble du pays avec un couvre-feu de 18H00 à 06H00 du matin, l'interdiction des rassemblements sur la voie publique et l'autorisation donnée à l'armée et à la police de tirer sur tout "suspect" refusant d'obéir aux ordres.
Gouvernement dissous
Un peu plus tôt, le Premier ministre Mohammed Ghannouchi, cité par l'agence officielle TAP, avait indiqué que le président Ben Ali avait décidé "dans le cadre de mesures (d'apaisement) annoncées jeudi, de limoger le gouvernement et d'appeler à des élections législatives anticipées dans six mois". Il a ajouté avoir été chargé de former le nouveau gouvernement.
Mais ces annonces n'ont pas altéré la détermination des manifestants. De violents heurts se sont produits dans l'après-midi entre des groupes de manifestants et des policiers anti-émeutes pendant lesquels un photographe français a été blessé à la tête par un tir de grenade lacrymogène, selon des journalistes de l'AFP.
Les principaux partis d'opposition tunisiens, légaux comme interdits, avaient demandé vendredi "le départ de Ben Ali et l'instauration d'un gouvernement provisoire chargé dans les six mois d'organiser des élections libres" dans une déclaration commune publiée à Paris.
Secteur-clé touché
La révolte contre le pouvoir avait débuté après le suicide à la mi-décembre de Mohamed Bouazizi, un des nombreux diplômés chômeurs du pays, empêché d'exercer comme marchand ambulant par les forces de l'ordre. Les émeutes ont progressivement pris un tour politique, se sont étendues à tout le pays et ont gagné la capitale.
Les violences ont par ailleurs commencé à affecter le tourisme, secteur-clé de l'économie du pays, après des pillages jeudi dans la station balnéaire très fréquentée d'Hammamet (nord). Des rapatriements de touristes européens ont débuté vendredi.
Inquiétude pour 1374 résidents suisses
La présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey s'est pour sa part dit préoccupée par la situation des Suisses en Tunisie. "Il y a 1374 immatriculés aux ambassades suisses sur place, dont 70% de doubles nationaux", a-t-elle expliqué sur le plateau du 19:30 de la TSR.
"Des rapatriements ont été organisés vendredi matin. Heureusement, puisque désormais les aéroports sont fermés", a-t-elle précisé. On rappelle qu'une Suissesse de 67 ans a trouvé la mort mercredi en marge d'une manifestation.
agences/jzim
Les habitants de Tunis témoignent
"Mon quartier, à la Goulette, est maintenant atteint. C'est un chaos. Il y a des feux. On brûle les postes de polices et les propriétés du clan ou des proches de Ben Ali. Avec ma famille, ma femme et mes deux filles, nous avons manifesté au centre ce matin. Nous étions plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la rue depuis 10h. C'était pacifique. On dansait, on riait et on faisait les blagues habituelles sur Ben Ali. Mais tous voulaient une chose que Ben Ali prenne ses affaires et parte. Vers 16h, la police a commencé à tirer pour disperser la foule. Il y a eut à nouveau des morts"
Un professeur de l'Université de Tunis
"Je suis enfondrée. Il est bientôt 18h, le couvre-feu va commencer. Des gens ne le savent pas, ils sont encore dans la rue et j'entends depuis chez moi des tirs. C'est horrible, car il y aura encore des morts. C'est formidable, car enfin quelque chose bouge et le pouvoir est affaibli".
Une journaliste qui travaille pour un média officiel
Les funérailles de la Suissesse tuée par balle ont eu lieu
La Suissesse tuée mercredi en marge d'une manifestation en Tunisie a été enterrée vendredi dans le cimetière familial à El Gobba (nord-est), a indiqué son frère, Raouf Jerbi, à l'ATS. Ce dernier a affirmé qu'il déposerait plainte samedi matin contre les forces de sécurité. "
"L'autopsie a confirmé qu'elle est décédée d'une balle rentrée dans son crâne", a déclaré Raouf Jerbi. Selon lui, la police a volontairement visé sa soeur. "La police vise tout, même les chiens", a-t-il accusé jeudi.
Le DFAE a indiqué vendredi à l'ATS que "les autorités tunisiennes ont formellement assuré à l'Ambassadeur de Suisse en Tunisie qu'elles feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour déterminer les circonstances du décès."