Modifié

La Tunisie tourne définitivement la page Ben Ali

Le président de la Chambre des députés Fouad Mebazzaa est chargé de la présidence de la république à titre transitoire. [Fethi Belaid]
Le président de la Chambre des députés Foued Mebazaa est chargé de la présidence de la république à titre transitoire. - [Fethi Belaid]
Le Conseil constitutionnel tunisien a proclamé "la vacance définitive du pouvoir" et la nomination de Foued Mebazaa, président du Parlement, au poste de président de la République par intérim. Le pays tourne donc la page Ben Ali, qui a fui vendredi son pays après 23 ans de règne sans partage.

Zine El Abidine Ben Ali est arrivé à Jeddah, en Arabie Saoudite, avec sa famille. "Le gouvernement saoudien a accueilli l'ex-président et sa famille dans le royaume" et ce "en considération pour les circonstances exceptionnelles que traverse le peuple tunisien", a indiqué un communiqué du palais royal saoudien.

Ryad exprime "son soutien à toute mesure bénéfique au peuple tunisien frère" et apporte "sa solidarité totale avec ce peuple et espère la cohésion de tous ses enfants pour surmonter cette conjoncture difficile".

Le président Zine El Abidine Ben Ali a par ailleurs été définitivement écarté du pouvoir en vertu d'une décision samedi du Conseil constitutionnel déclarant une "vacance du pouvoir", publiée par l'agence officielle TAP.

Changement d'intérim et élections en perspective

Désormais, c'est donc l'article 57 de la Constitution qui s'applique, lequel prévoit que c'est le président de la Chambre des députés, Foued Mebazaa, 78 ans, qui est chargé de la présidence de la république à titre transitoire. Et ce pour un délai maximum de 60 jours, le temps d'organiser des élections anticipées.

le Premier ministre Mohammed Ghannouchi (centre) avait annoncé vendredi assurer l'intérim à la présidence. Finalement, Foued Mbazaa (droite) a pris les rênes. [AFP - HO]
le Premier ministre Mohammed Ghannouchi (centre) avait annoncé vendredi assurer l'intérim à la présidence. Finalement, Foued Mbazaa (droite) a pris les rênes. [AFP - HO]

Le chef du parlement tunisien, Foued Mebazaa, a directement prêté serment samedi comme président par intérim de la Tunisie dans son bureau à l'assemblée. La prestation de serment dans laquelle il a juré de respecter la Constitution a eu lieu devant le président du Sénat, Abdallal Kallel, et de représentants des deux chambres du parlement. Mebazaa a aussi chargé le Premier ministre sortant, Mohammed Ghannouchi de former un gouvernement d'unité nationale.

Juste après départ du chef de l'Etat, vendredi, Mohammed Ghannouchi avait pourtant annoncé à la télévision qu'il assurerait l'intérim de la présidence jusqu'à nouvel ordre en vertu d'un décret signé par Zine El Abidine Ben Ali.

Ce retournement soudain de situation s'est appuyé sur l'article 57 de la Constitution et est intervenu à la demande de Mohammed Ghannouchi lui-même. Sa nomination en vertu de l'article 56 laissait la porte ouverte à un retour au pouvoir de Zine El Abidine Ben Ali et avait été contestée à la fois par des juristes, par une partie de l'opposition et par la rue.

Un délai extrêmement serré pour les élections

Le Parti démocratique progressiste (PDP), principale formation de l'opposition tunisienne, a estimé samedi qu'il était impossible de tenir des élections libres et indépendantes dans les deux mois. "Ce délai, nous ne l'acceptons pas parce qu'aujourd'hui, il y a eu une révolution en Tunisie et ils sont en train de la transformer en un coup d'Etat pour maintenir la main-mise du parti au pouvoir", a déclaré Iyed Dahmani, représentant en France du PDP.

"La constitution n'a pas été amendée dans un sens démocratique. La loi électorale ne permet qu'à ceux qui ont 30 députés au Parlement de se présenter", a-t-il souligné lors d'un entretien téléphonique. "Nous disons qu'il est impossible aujourd'hui d'organiser des élections sous deux mois", a-t-il insisté.

Le PDP exige la formation d'un "gouvernement de salut national qui amende la Constitution, qui appelle à des élections anticipées dans des délais raisonnables" ainsi que la création d'une "commission électorale indépendante avec la présence d'observateurs internationaux", a ajouté Iyed Dahmani.

L'Histoire s'emballe

Depuis jeudi, le président multipliait, sans succès, les annonces pour tenter de mettre un terme à un mois d'émeutes et manifestations, violemment réprimées. Les manifestants exigeaient toujours le départ immédiat de Ben Ali, ne se satisfaisant pas de ses promesses de quitter le pouvoir au terme de son mandat en 2014.

Avant son exil, Ben Ali a décrété vendredi l'état d'urgence et instauré le couvre-feu. [AFP - Fethi Belaid]
Avant son exil, Ben Ali a décrété vendredi l'état d'urgence et instauré le couvre-feu. [AFP - Fethi Belaid]

Et vendredi, les choses se sont accélérées. Le gouvernement a décrété l'état d'urgence dans l'ensemble du pays avec un couvre-feu de 18h00 à 06h00, l'interdiction des rassemblements et l'autorisation pour l'armée et la police de tirer sur tout "suspect" refusant d'obéir aux ordres.

Un peu plus tôt, le Premier ministre, cité par l'agence officielle TAP, avait indiqué que le président avait décidé "dans le cadre de mesures (d'apaisement) annoncées jeudi, de limoger le gouvernement et d'appeler à des élections législatives anticipées dans six mois".

Ces annonces n'ont pas altéré la détermination des manifestants. De violents heurts ont opposé dans l'après-midi manifestants et policiers anti-émeutes lors lesquels un photographe français a été blessé à la tête par une grenade lacrymogène.

Une première dans un pays arabe

Zine El Abidine Ben Ali avait quitté Tunis au terme d'un mois d'une contestation populaire, que les Tunisiens ont eux-mêmes appelée "Révolution du jasmin" et qui a été réprimée dans le sang au prix de plusieurs dizaines de morts.

"C'est le premier chef d'Etat arabe amené à fuir le pouvoir sous la pression populaire", a rappelé Zaki Laidi, directeur de recherche à l'Institut d'études politiques de Paris, sur France 24, soulignant: "c'est quand même un événement colossal dans une région du monde qui se caractérise par une longévité non démocratique des régimes".

La révolte contre le pouvoir avait débuté après le suicide mi-décembre de Mohamed Bouazizi, un des nombreux diplômés chômeurs du pays, empêché d'exercer comme marchand ambulant par les forces de l'ordre. Les émeutes ont progressivement pris un tour politique, se sont étendues à tout le pays et gagné la capitale.

Paris retourne sa veste

Nicolas Sarkozy a rencontré vendredi soir son Premier ministre François Fillon pour faire le point sur la crise tunisienne. [AFP - Thomas Coex]
Nicolas Sarkozy a rencontré vendredi soir son Premier ministre François Fillon pour faire le point sur la crise tunisienne. [AFP - Thomas Coex]

La France a rompu samedi avec son langage d'extrême prudence maintenu depuis le début de la crise en Tunisie, achevant de lâcher Zine el Abidine Ben Ali en affirmant pour la première fois son soutien à la révolution en cours. "Depuis plusieurs semaines, le peuple tunisien exprime sa volonté de démocratie. La France, que tant de liens d'amitié unissent à la Tunisie, lui apporte un soutien déterminé", a déclaré samedi le président Nicolas Sarkozy.

Grand ami de la France, où il a longtemps été loué pour sa politique de développement économique et de lutte contre les islamistes, l'ex-président tunisien y est désormais persona non grata. "On ne souhaite pas sa venue", a fait savoir vendredi une source gouvernementale française, justifiant ce refus par les possibles réactions de la communauté tunisienne installée en France.

Traque des suspects

Samedi, Nicolas Sarkozy a également appelé à "des élections libres dans les meilleurs délais" et promis que la France traquerait d'éventuels avoirs "suspects" de l'ancien président ou de son entourage en France. Les proches de l'ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali présents sur le sol français n'ont "pas vocation à rester" et "vont le quitter", a aussi assuré le porte-parole du gouvernement, François Baroin. Parmi eux, se trouve une des filles de l'ex-président.

La France a aussi pris "les dispositions nécessaires pour que les mouvements financiers suspects concernant des avoirs tunisiens en France soient bloqués administrativement", a poursuivi le locataire de l'Elysée.

agences/jeh/jzim

Publié Modifié

Réactions suisses et internationales

La situation en Tunisie a évolué de manière "déterminante" depuis vendredi après-midi, estime samedi le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Ces changements sont dus au "courage et à la détermination de la population", selon la diplomatie suisse.

La population tunisienne demande ses droits démocratiques, en particulier la liberté d'expression et de rassemblement, souligne le DFAE. La présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey appelle les Tunisiens "à garder leur calme durant cette phase de rupture".

Les Etats-Unis, qui ont été un allié de Zine El Abidine Ben Ali dans sa lutte contre l'islamisme, ont pour leur part appelé "le gouvernement tunisien à respecter les droits de l'Homme et à organiser dans un proche avenir des élections libres et justes qui reflètent la volonté réelle et les aspirations des Tunisiens".

L'Union européenne (UE) s'est elle aussi prononcée en faveur d'une solution démocratique "durable". Londres a lancé un même appel au calme, en demandant aux autorités tunisiennes de tout mettre en oeuvre pour une issue "pacifique" à la crise.

Enfin la Ligue arabe, qui siège au Caire, évoque dans un communiqué la "phase historique dont le peuple tunisien est témoin" et demande "à toutes les forces politiques, ainsi qu'aux représentants de la société tunisienne et aux officiels, d'être unis pour le bien du peuple et pour réaliser la paix civile".

Le colonel Kadhafi regrette le départ de Ben Ali

Mouammar Kadhafi a regretté samedi la chute du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali, dans un "discours à l'adresse du peuple tunisien".

Le dirigeant libyen a proposé aux Tunisiens l'application de son modèle de démocratie directe.

Le numéro un libyen a par ailleurs estimé que Ben Ali, définitivement écarté samedi du pouvoir en Tunisie par le Conseil constitutionnel, était "toujours le président légal" du pays.