Place Tahrir, devenue une place-forte de la contestation du pouvoir au Caire, des milliers de manifestants ont continué à exiger le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, agitant des drapeaux égyptiens et brandissant des banderoles.
Les groupes de jeunes à l'origine du soulèvement ont formé une coalition et ont assuré qu'ils n'allaient pas lever leur occupation tant que le président n'aurait pas démissionné.
Des réformes "insuffisantes"
Sur le plan des efforts visant à mettre un terme à la crise politique, le pouvoir et les Frères musulmans -principale force d'opposition officiellement interdite - ont pour la première fois en un demi-siècle discuté publiquement, en présence d'autres groupes d'opposition.
Les participants à cette séance de "dialogue national" se sont mis d'accord sur "une transition pacifique du pouvoir basée sur la Constitution", a indiqué le porte-parole du gouvernement, Magdi Radi, dans un communiqué après la réunion.
Mais les Frères musulmans ont aussitôt dénoncé l'insuffisance des réformes proposées. "Ce communiqué est insuffisant", a déclaré Mohamed Mursi, haut responsable des Frères musulmans (à gauche sur la photo de tête), lors d'une conférence de presse.
"Les demandes sont toujours les mêmes. Ils (le gouvernement) n'ont pas répondu à la majorité des demandes, ils n'ont répondu qu'à certaines, et de manière superficielle", a précisé Essam al-Aryane, un autre haut responsable de la confrérie.
Un bureau pour les plaintes
Il y a eu "consensus" sur "la formation d'un comité qui comptera le pouvoir judiciaire et un certain nombre de personnalités politiques, pour étudier et proposer des amendements constitutionnels et les amendements législatifs requis (...) avant la première semaine de mars", a expliqué Magdi Radi.
Parmi les propositions figurent l'ouverture d'un bureau destiné à recevoir les plaintes concernant les prisonniers politiques, la levée des restrictions imposées aux médias et le rejet de "toute ingérence étrangère dans les affaires égyptiennes", a-t-il ajouté.
Le texte appelle aussi à la levée de l'état d'urgence, "selon la situation sécuritaire". L'état d'urgence en vigueur en Egypte a été décrété après l'assassinat du président Anouar al-Sadate en 1981 par des islamistes, et constamment reconduit.
ElBaradei pas invité
Ces décisions ont été prises au cours de discussions réunissant le régime, les Frères musulmans, le parti Wafd (libéral), le Tagammou (gauche), des groupes de jeunes pro-démocratie ayant lancé le mouvement de contestation ainsi que des figures politiques indépendantes et des hommes d'affaires, selon l'agence officielle Mena.
L'Egypte refuse les "diktats" de l'étranger, a affirmé dimanche son ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, après les appels répétés de plusieurs pays occidentaux à une transition politique ordonnée et rapide dans ce pays en proie à une contestation sans précédent.
La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a exprimé un soutien prudent au dialogue entre pouvoir et Frères musulmans préférant "attendre pour juger sur pièces de l'évolution". L'opposant égyptien le plus en vue, le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, a assuré pour sa part ne pas avoir été invité à ce dialogue, qualifiant ces discussions d'"opaques", sur la chaîne américaine NBC.
Timide retour à la normale au Caire
L'opposition a demandé au vice-président Omar Souleimane -nommé vice-président quelques jours après le début de la contestation populaire le 25 janvier- d'assumer les pouvoirs du président Moubarak, mais Omar Souleimane a refusé, selon un responsable d'un parti d'opposition qui s'exprimait sous couvert de l'anonymat.
Dimanche matin, sur la place Tahrir, toujours cernée par les chars, chrétiens et musulmans avaient prié ensemble. Dans la capitale qui compte 20 millions d'habitants, la vie a repris doucement, de nombreux commerces et banques ouvrant à nouveau leurs portes, et la circulation sur les routes et ponts étant rétablie.
Depuis le 3 février, les manifestations se déroulent le plus souvent dans le calme. Des heurts entre policiers et manifestants durant les premiers jours de la contestation, puis entre militants pro et anti-Moubarak le 2 février, ont fait au moins 300 morts, selon un bilan non confirmé de l'ONU, et des milliers de blessés, selon des sources officielles et médicales.
La chaîne de télévision satellitaire qatarie Al-Jazira a annoncé dimanche qu'un nouveau journaliste de son équipe avait été arrêté au Caire, où un de ses collègues est toujours retenu.
afp/sbo
Qui sont les Frères musulmans?
Les Frères musulmans sont la première force d'opposition en Egypte même s'ils sont officiellement interdits. Bannis de la sphère politique, ils sont tolérés dans les faits et disposent d'influents réseaux d'aide sociale.
Alors qu'ils disposaient de 88 sièges dans l'Assemblée sortante, après une percée aux législatives de 2005, ils ont boycotté le second tour des élections de décembre 2010. Ils ont dénoncé des fraudes massives et des violences au profit du parti au pouvoir du président Hosni Moubarak.
Le pouvoir n'avait pas caché sa volonté d'affaiblir leur représentation avant la présidentielle de septembre 2011. En novembre, un rapport du département d'Etat américain avait souligné que les Frères musulmans étaient "sujets à des détentions arbitraires et à des pressions de la part du pouvoir".
La confrérie est particulièrement active dans les mosquées, où elle mène des actions d'aide aux défavorisés, dans les universités et au sein des syndicats.
Il s'agit du mouvement le plus ancien de l'islamisme sunnite. Il a été fondé en Egypte en 1928 par Hassan al-Banna, et sa doctrine s'organise autour du dogme du "tawhid" (unicité de Dieu), la fusion du religieux et du politique.
Au cours de son histoire, il a oscillé entre l'opposition violente au pouvoir et la collaboration, entre plaidoyers pour un Etat islamique et assurances de respecter le jeu démocratique.
Dans les années 1940, il a perpétré des actes sanglants, dont l'assassinat du premier ministre Mahmoud Fahmi al-Noqrachi en 1948. Ses membres deviennent alors l'objet d'une répression brutale.
Le président Gamal Abdel Nasser leur porte ensuite des coups très durs entre 1954 et 1970, après une tentative d'assassinat contre sa personne, imputée au mouvement. Ses membres sont arrêtés par milliers.
Dès 1956, ils bénéficient d'une aide financière et militaire de la CIA américaine, prête à tout pour affaiblir un pouvoir soutenu par l'URSS.
En 1971, Anouar el-Sadate, qui vient de succéder à Nasser, fait libérer les Frères musulmans et proclame une amnistie générale. Mais ils vivent très mal le revirement de Sadate et les accords de paix avec Israël. En 1981, Sadate sera assassiné par d'ex-membres de la confrérie passés à l'extrémisme.